"Illustration de la distance qui existe entre le monde politico-médiatique et le réel: à aucun moment, dimanche soir sur France 2, Nicolas Sarkozy ou son intervieweur n'ont abordé le défi posé par l'Etat islamique, ni les menaces de troisième guerre mondiale qu'il fait pourtant peser. Ce lundi matin, le porte-parole du califat, que les autorités françaises préfèrent nommer Daesh afin de gommer sa filiation islamiste, s'est rappelé au bon souvenir des Occidentaux angéliques, en invitant «les musulmans» à tuer les «mécréants», civils ou militaires ; et spécialement «les méchants et sales Français» coupables de faire partie de la coalition internationale mise en place pour combattre le groupe djihadiste en Irak et en Syrie. «Comptez sur Allah et tuez l'incroyant de n'importe quelle manière», déclare Abou Mohammed al-Adnani. Il vient contredire au passage la récente injonction de Laurent Fabius appelant à «mener un combat idéologique pour dire que Daesh n'a rien à voir avec la religion musulmane qui est une religion de paix». Le porte-parole du califat donne même des instructions pour bien assassiner l'ennemi: «Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d'un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le». Un millier de jeunes français ont déjà rejoint, en Irak ou en Syrie, ces enragés. Ceux-là ont donc des réseaux au cœur même de la république. Ils ne sont pas, c'est entendu, représentatifs de la communauté musulmane. Mais ils sont aussi musulmans, parfois convertis, et se fondent parmi eux.
«Ceci n'est pas l'islam», répètent les prestidigitateurs, comme Magritte le disait de son tableau représentant une pipe. L'oubli du journaliste et de l'homme politique, hier soir, procède de ce même déni des apparences qui permet d'évacuer les sujets sensibles. Or l'islam n'est pas seulement une religion, pratiquée sereinement le plus souvent. C'est aussi un code juridique, une constitution, une idéologie de conquête ayant entamé une guerre de civilisation. Depuis ce lundi, elle menace explicitement la France. Il aurait été opportun que Sarkozy s'en inquiète auparavant, pour preuve de sa lucidité. Traiter l'Etat islamique de «barbare» au détour d'une phrase n'est pas suffisant. La parole politique restera vaine et déconnectée des urgences si elle persiste à se réduire à des opérations de communication et d'auto-valorisation, comme l'a été en fait la prestation du candidat à la présidence de l'UMP: 8,5 millions de téléspectateurs ont suivi les trois-quarts d'heure du show de Sarkozy, qui se flatte également d'avoir un million de «like» sur Facebook. Ces performances sont à la hauteur de cet excellent acteur, qui a repris son jeu comme s'il ne l'avait jamais quitté. Mais son discours est resté flottant et contradictoire. Comment assurer à la fois vouloir prendre de la hauteur et se proposer de relancer (»Si je ne le fais pas, qui le fera?») un parti en jachère? Sur quels sujets porteraient les référendums promis? Dans quels sens iraient les alliances? Sarkozy a comme atout d'être confronté à un paysage dévasté. Encore faudrait-il qu'il désigne toutes les causes de ces désastres s'il veut vraiment les combattre."