Normalien, agrégé et docteur en histoire, Pierre Vermeren, spécialiste des sociétés berbères et arabes contemporaines, estime que l’islam politique continue de progresser. Il écrit dans Le Figaro :
[…] Au plan international, le salafo-djihadisme a remporté deux grandes victoires stratégiques en six mois avec les retraits successifs des Américains d’Afghanistan puis des Français du Mali (retraits pour autant nécessaires). Dans les pays du front du djihad – comme il y a des fronts pionniers en Amazonie -, les nouvelles sont désastreuses. Au Nigeria, pas une semaine sans enlèvements de jeunes chrétiennes, assassinat de prêtres, de fidèles ou destruction d’églises : on y déplore 900 chrétiens tués ces trois derniers mois. À l’autre bout du monde musulman, au Pakistan, les islamistes s’emploient à harceler les communautés chrétiennes subsistantes, par enlèvement de jeunes chrétiennes, violées, converties et mariées de force, comme cela se fait depuis des siècles. En Inde, les islamistes répondent frontalement aux hindous pour ne tolérer aucune atteinte à la sacralité coranique (le meurtre d’un tailleur hindou ce 28 juin a déclenché une tempête). En Europe, pas un mois ne passe sans un attentat ou un assassinat attribué à une personne plus ou moins liée à la mouvance de l’islam radical.
Qu’en est-il sur le territoire de la France ? Dans ces colonnes, j’avais écrit après les grands attentats de 2015 qu’au regard de leurs objectifs communautaristes, les attentats étaient un succès pour les salafistes : si le pays a tenu, ils ont néanmoins renforcé le communautarisme islamique des jeunes musulmans – ainsi qu’en attestent de nombreuses études -, rendu visible par le voilement des jeunes musulmanes. Chez elles, le voile, qui se limitait, il y a dix ans, à quelques villes du nord et de l’est du pays, est devenu la norme dans de nombreux quartiers (cités d’Île-de-France) ou villes (comme à Lille), et s’est même implanté à Bordeaux et en Bretagne.
Cet islamisme en action est piloté de concert et en rivalité par les salafistes et par les Frères musulmans, auprès desquels rivalisent leurs soutiens et bailleurs étrangers (États du Maghreb et du Golfe). Par ailleurs, la Commission européenne et les autorités américaines, aussi surprenant que cela paraisse, le considèrent avec bienveillance : la promotion du hidjab est à Bruxelles et à Strasbourg l’objet d’une intense communication. Or, dans une Europe ouverte où circulent les valises de billets des milliards d’euros du cannabis – le continuum entre réseaux mafieux et djihadisme armé ayant été démontré lors des attentats de Paris et Bruxelles -, l’islamisme est entré depuis 2015 dans une phase hyperactive. Encore faut-il accorder une intelligence collective et une détermination à ses concepteurs, à ses agents et à ses militants.
L’objectif le plus visible est que l’on parle chaque jour, dans chaque média français, de l’islam, de l’islamisme et des musulmans, que ce soit en bien ou en mal ; cela n’a aucune importance au regard des principes de base du marketing. L’espace public est saturé par la querelle à rebond sur le burkini, le voile à l’école (avec épreuves de force et invectives de fonctionnaires à la clef), la conversion de Diams, le feuilletonnage de l’affaire Abdeslam, la diffusion mystérieuse, générale et simultanée, ce printemps, du jelbab – alias la djellaba – dans les lycées de France, la fréquentation de piscines publiques par des groupes d’une dizaine de femmes en burkini, le déploiement de groupes d’une quinzaine de jeunes filles en jelbab immaculé – sous bonne garde – dans Paris pour distribuer de la nourriture aux SDF, la circulation quotidienne de femmes voilées autour des grandes universités parisiennes – au demeurant tout à fait légale, mais d’autant plus surprenante que nombre d’entre elles semblent étrangères à ces institutions. Autant de signaux dits faibles.
À cela, il faut ajouter des choses indicibles dans notre société médiatique pleine de scrupules et bien élevée. Ainsi a-t-on « pudiquement » tu, cette année, trois assassinats terribles qui ont endeuillé deux familles juives et une famille de médecin militaire (à Sarcelles, Lyon et Marseille), commis au nom de l’islam dans au moins deux cas, mais que l’on a préféré psychiatriser et occulter. Rappelons que sous François Mitterrand, la « seule » profanation du cimetière juif de Carpentras avait ému et mobilisé la France entière. Désormais, rares sont ceux qui s’étonnent de la quasi-disparition des croix et plaques chrétiennes dans tant de cimetières de banlieues – brisées puis jetées -, sans parler des départs de feu et profanations d’églises hebdomadaires qui, dans certains cas, peuvent avoir un mobile islamiste (mais dans d’autres cas relèvent d’individus ou de groupes n’ayant rien à voir avec l’islam).
Nombre de faits identifiés doivent être relevés et interrogés. Ainsi en est-il de la disparition des charcuteries et boucheries non-halal dans nombre de villes de banlieues ou de petites villes possédant une « cité » : à force de crachats ou de gestes malveillants, l’artisan quitte en silence le terrain et va s’installer dans un quartier bourgeois ou une petite ville où son activité recherchée fait à nouveau florès. L’exemple est reproductible à bien des professions, y compris de médecin. Et qui envoie et filme des militantes voilées dans des restaurants pour y provoquer un scandale en cas de problème ? L’application du droit d’aller et venir est une chose. L’instrumentalisation de femmes pieuses et pudiques mises en scène en est une autre.
Dans cette offensive soutenue, la symbolique de l’État est au centre de micro-agressions comme de méga-agressions. Ainsi, quand le président se déplace à la rencontre des Français, il est désormais fréquent d’observer une femme voilée à la mode islamiste dans sa proximité immédiate, question de visibilisation. Méga-agression à l’inverse, quand des centaines de jeunes de la banlieue nord (nationaux ou étrangers, notamment « mineurs non accompagnés » issus du Maghreb et non déférés) détroussent les touristes-spectateurs, humilient les forces de l’ordre et l’État au Stade de France devant des centaines de millions de téléspectateurs. La puissance publique en est restée sans voix. Cet affrontement multiforme, que d’aucuns jugent fantasmatique ou inexistant, répond objectivement aux considérations guerrières théorisées dans la mouvance salafo-djihadiste : faire la guerre par tous les moyens à ces « sales Français » , dans la logorrhée de Daech.
Évoquons enfin l’attitude repérée dans tant d’établissements scolaires, qui consiste, dès le plus jeune âge des élèves, à refuser les cours de musique, de natation, l’enseignement de faits historiques capitaux (Shoah, génocide arménien, histoire religieuse), la théorie de l’évolution, l’éducation sexuelle, etc. Pour les salafistes, le refus de l’école laïque n’est pas une coquetterie : Boko Haram ( « livre interdit » ) dit tout haut ce qu’ils pensent. Pour eux, le Coran est le seul livre légitime, surtout s’il est enseigné en arabe sans nécessité de le comprendre – Allah n’a pas à être compris à leurs yeux – ; au Sahel et en Afghanistan, des centaines d’écoles sont détruites ou boycottées ; en Tunisie, le pouvoir islamiste (tombé le 25 juillet 2021) a déscolarisé 1 million d’enfants en dix ans, rendus à l’analphabétisme et à l’exploitation économique.
Quand l’objectif n’est pas d’émanciper mais d’enfermer dans l’ignorance pour gouverner les âmes à coups d’oukases et de normes simplistes imposées, l’école à la française est (encore) une entrave. Faire taire les professeurs est une chose, mais plus efficace est de les faire fuir. Dans les académies de Créteil et de Versailles, constatons que des milliers de professeurs manquent à l’appel dans les REP (ex-ZEP) : les remplaçants abandonnent, de jeunes professeurs démissionnent, laissant place à des non-diplômés issus des quartiers faisant fonction d’enseignants, vulnérables aux pressions d’idéologues locaux, voire soumis à ceux-ci. Le cas Lemaire a dévoilé la stratégie qui consiste à faire fuir les républicains. Fin juin, l’État a cru calmer les tensions en signant une convention d’enseignement de l’arabe avec Alger, pays dans lequel les cours d’arabe sont en réalité très souvent des cours d’islamisation. Enseigner l’arabe à des élèves berbérophones ou darijaphones (langue du Maghreb) en famille est une prise de pouvoir. L’apprentissage du français et de l’anglais dans nos classes est déjà souvent en échec, ce qui ne laisse aucune chance à l’arabe, langue difficile que les étudiants du Maghreb eux-mêmes maîtrisent mal après quinze ans d’études. Le recrutement de professeurs mal payés, peu soutenus, non titulaires et de bas niveau, alliés à l’absentéisme d’élèves et à la colère des parents aboutissent chez certains élèves à une sous-culture de 1 000 mots, ce qui correspond à l’objectif tacite d’ignorance chez les idéologues salafistes.
Au regard de ces maux, le soulagement éprouvé par les Français et leurs dirigeants devant la disparition des grands attentats n’est pas dépourvu de lâcheté. On ne tue pas sans objectifs précis des centaines de personnes avec la quasi-certitude de mourir dans ces attentats. En près de huit ans, la France a beaucoup changé, et le seuil de tolérance à l’inacceptable monte un peu plus chaque année. Les études d’opinion indiquent que nombre de jeunes Français acceptent étrangement cette situation, tandis que nos gouvernants regardent ailleurs. Mais il est des combats jamais assouvis.
chrisfree
Dans votre article vous mentionnez la profanation du cimetière juif de Carpentras qui “avait ému et mobilisé la France entière”. Il faut préciser surtout que c’est parce qu’aussitôt le “coupable” avait été désigné à travers le F.N. et son président J.M. Le Pen (je me souviens lors d’une manifestation était brandit une pancarte montrant une caricature de ce dernier, hilare avec pour légende “Carpentras c’est moi Ha! Ha! Ha!”). Mais une fois découvert que les coupables de cette sinistre mascarade n’avaient rien à voir avec le F.N. ou l’extrême droite (c’étaient en fait de vulgaires paumés oisifs en soif de sensations fortes)… l’affaire du cimetière juif de Carpentras allait rapidement tomber aux oubliettes.
chrisfree
A ce sujet il faut ne pas ignorer l’action des lobbies “anti racisme” grassement subventionné, et, malgré leurs caractères hors la loi, ne seront jamais dissout (contrairement à ceux qui veulent défendre leur pays et leur peuple).
cadoudal
la djihad , le grand cadeau antiraciste de la Licra fait aux Gaulois;
avec la bénédiction de Dingoglio.
zongadar
manipulation de l’opinion, belle explication de la fenêtre d’Overton (déplacement de la fenêtre du politiquement correct) : https://odysee.com/@Radio-Quebec:a?view=content regardez la vidéo, “l’information nous libère” du 11mai notamment à partir de la 35 minute.
Arwen
Intéressante analyse qui fait ressortir que la diminution des attentats islamistes de masse ne doit en fait pas nous réjouir: c’est bien plutôt parce que certains de leurs objectifs sont atteints que les islamistes se calment…
Pour une fois, l’adjectif « glaçant » si galvaudé me semble adéquat!