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Culture : cinéma

L’Ombre de Staline

L’Ombre de Staline

Les salles de cinéma ouvrent à nouveau. Alors revoilà les critiques de Bruno de Pazzis.

Londres en 1933. Journaliste gallois, Gareth Jones est un des conseillers aux affaires étrangères auprès du Premier ministre britannique David Lloyd George. Après avoir alerté sans succès des dangers que représentait la prise de pouvoir d’Hitler, qu’il venait d’interroger, celui-ci voit son poste supprimé suite à d’importantes coupes budgétaires dues à la crise économique. Il décide alors de partir en Russie, espérant interroger Staline au sujet du fameux miracle soviétique. A son arrivée, il déchante : anesthésiés par la propagande, ses contacts occidentaux se dérobent. Il se retrouve surveillé jour et nuit, et son principal intermédiaire disparaît. Une source le convainc alors de s’intéresser à l’Ukraine. Parvenant à fuir, il saute dans un train, en route vers une vérité inimaginable…

Avec : James Norton (Gareth Jones), Vanessa Kirby (Ada Brooks), Peter Sarsgaard (Walter Duranty), Joseph Mawle (George Orwell), Richard Elfyn (officier de police), Beata Pozniak (Rhea Clyman), Celyn Jones (Matthew), Julian Lewis Jones (Major Jones), Patricia Volny (Bonnie), Krzysztof Pieczyński (Maxime Litvinov), Billy Holland (le livreur de journaux), Sabrina John (le gallois Town Person), Christopher Bloswick (un journaliste américain), Kenneth Cranham (David Lloyd George), Michalina Olszanska (Yulia). Scénario : Andrea Chalupa. Directeur de la photographie : Tomasz Naumiuk. Musique : Antoni Lazarkiewicz.

Pour son 18ème long métrage, la réalisatrice polonaise s’inspire librement d’un passage de la vie du journaliste britannique Gareth Jones (1905-1935) dont le court parcours sur Terre peut se résumer comme suit d’après Wikipedia… : « du pays de Galles, Gareth Jones découvre l’Ukraine dans les récits que lui fait sa mère, qui a servi de préceptrice aux enfants d’Arthur Hughes, le fils de l’homme d’affaires gallois John Hughes, le fondateur de la ville de Yuzovka. Il étudie à l’université d’Aberystwyth, puis à l’université de Cambridge, dont il sort diplômé avec mention (first-class honours) en français, en allemand et en russe en 1929. L’année suivante, il entre au service du Premier ministre David Lloyd George en tant que conseiller dans le domaine de la politique étrangère, et se rend pour la première fois à Yuzovka2. Ce voyage donne lieu à ses premiers articles publiés dans le Times et le Western Mail. Après un voyage en Union soviétique durant l’été 1931 pour le compte d’Ivy Lee, Jones retourne travailler auprès de Lloyd George et participe à la rédaction de ses Mémoires de guerre. Alors qu’il prévoit de retourner en Ukraine, l’actualité le conduit en Allemagne en janvier 1933. Il est le premier journaliste étranger à voyager dans l’avion privé du nouveau chancelier, Adolf Hitler, en fin février. Jones réalise ensuite son troisième et dernier séjour en Union soviétique, durant laquelle il assiste aux conséquences de la famine qui touche l’Ukraine, appelée Holodomor et organisée par le pouvoir soviétique. Il révèle la situation dans un communiqué de presse le 29 mars 1933, qui attire rapidement l’attention. Reprenant la propagande des autorités soviétiques, les correspondants des journaux occidentaux à Moscou l’accusent d’avoir grandement exagéré les choses, à l’image de Walter Duranty du New York Times. Après ce coup d’éclat, Jones se voit interdit de retour sur le sol soviétique. Fin 1934, Jones repart en voyage, cette fois-ci au Japon et en Chine, afin de documenter l’expansionnisme japonais. Alors qu’il traverse la Mongolie-Intérieure, il est enlevé par des brigands, qui cherchent à le rançonner, de même que son compagnon de route, un docteur allemand. Ce dernier est relâché, mais Jones est tué par ses ravisseurs dans des circonstances troubles dans lesquelles il faut peut-être voir la main du NKVD. »

Le miracle soviétique…

La réalisatrice ne s’intéresse qu’à la période au cours de laquelle Gareth Jones, licencié en 1933 du ministère de David Llyod George pour des raisons budgétaires va se débrouiller pour obtenir un visa pour aller en Russie et se rendre sur place pour essayer d’obtenir un entretien avec Staline comme il avait réussi auparavant à en obtenir un avec Adolph Hitler. C’est la période au cours de laquelle il découvre sur place l’Holodomor, nom associé au génocide ukrainien qui fit entre 2,6 et 5 millions de morts en 1932-33 sous Staline. L’un des premiers intérêts du film est de montrer au cinéma ce qu’a été l’Holodomor qui n’a semble-t-il, du moins jusqu’à présent, jamais été décrit au cinéma : Littéralement, « Holodomor » signifie en ukrainien “extermination par la faim”. Wikipedia… : « Depuis l’ouverture des archives soviétiques, la négation de l’Holodomor a cessé, mais son ampleur et le caractère intentionnel de la famine est contesté. Bien avant que le nom de « Holodomor » ne soit forgé, la famine avait été décrite, dès 1935, par Boris Souvarine, et faisait partie de la mémoire collective mais clandestine des populations concernées (seules les publications dissidentes, les samizdats, l’évoquaient par écrit). Quarante ans plus tard, elle est à nouveau révélée par la publication de L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne. Au début du XXIe siècle, la responsabilité des autorités soviétiques dans la genèse et l’ampleur de la famine (à travers la collectivisation, les campagnes de « dékoulakisation », les réquisitions excessives de denrées alimentaires auprès des paysans et les limitations aux déplacements imposées en pleine famine) est généralement reconnue. Fin 2006, l’Ukraine a officiellement qualifié le Holodomor de génocide, qualification reconnue par un certain nombre de pays dont les États-Unis, mais le caractère génocidaire de cette famine est contesté par le Kazakhstan et la Russie. La négation de l’Holodomor comme génocide, concerne l’importance relative des différents facteurs engendrant la famine, ainsi que les intentions de Staline. L’aspect intentionnel de la famine est nié par les défenseurs de ce dernier. Le Parlement européen a reconnu en 2008 l’Holodomor comme un crime contre l’humanité, jugeant qu’il s’agissait d’une famine provoquée et d’un « crime contre le peuple ukrainien et contre l’humanité. »

Le film d’Agnieszka Holland permet donc à un plus grand nombre de connaître mieux les horreurs commises par le camarade Staline.

De Gareth Jones à … Edward Snowden et bien d’autres…

Agnieska Holland montre également le jeu pervers joué par les journalistes occidentaux en poste à Moscou, qui se taisent sur la réalité du régime, rendant en cela services aux gouvernements occidentaux. Elle montre également le rôle précurseur de lanceur d’alerte joué par Gareth Jones, ce qui donne à ce récit un écho très contemporain. Elle insiste particulièrement sur le rôle joué par un certain Walter Duranty, journaliste au New York Times et accessoirement tout juste auréolé de son prix Pulitzer (1932) pour ses reportages sur l’Union Soviétique… : En accord avec la propagande soviétique, il nie l’existence d’une famine généralisée en Ukraine, contredisant les témoignages de Gareth Jones mais aussi de Malcolm Muggeridge, correspondant sur place à cette époque du Manchester Guardian. La vérité sur Walter Duranty n’apparaîtra au grand jour que beaucoup plus tard. II est à présent totalement reconnu que ce sinistre personnage rencontre assez tôt à Paris Aliester Crowley et qu’il participe à ses rituels magiques. Il déclare très vite à cette époque avoir « cessé de croire en quoi que ce soit » ! A partir de cette époque il organise des orgies où sexe et drogue se mêlent. Son action journalistique en défense du régime stalinien a été certainement un élément à l’origine de la décision prise en 1933 par le président Roosevelt d’accorder une reconnaissance officielle à l’Union Soviétique… La réalisatrice décrit très bien le comportement à Moscou de ce personnage bisexuel et quasiment démoniaque.

Le scénario est sérieusement documenté et accroche très vite le spectateur qui éprouve rapidement de l’empathie pour ce journaliste non conformiste et impétueux. La mise en scène allie avec adresse la restitution de l’aventure humaine de Gareth Jones et l’ambiance des films d’espionnage. On peut toutefois regretter que la cinéaste est moins insisté sur les luttes d’influences dans cette affaire en étant plus longue, et sans doute même un peu trop, sur l’épisode ukrainien qu’elle décrit avec des images à la fois belle et très fortes. Sa mise en scène peut être jugée trop classique, mais le travail sur la photographie est remarquable, privilégiant par moment les couleurs froides et les ombres au point d’approcher du noir & blanc. La reconstitution des années 30 est parfaite. Le résultat est tout simplement impressionnant et édifiant.

Bruno de Seguins Pazzis

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1 commentaire

  1. Magnifique film que je suis allé voir hier et que je recommande vivement même si je me doute bien que les lecteurs du salon beige sont déniaisés sur ce sujet depuis longtemps. Une piqure de rappel de temps en temps ça ne fait pas de mal.

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