"Les Etats-Unis viennent d’introniser leur 45ème Président. Quel regard portez-vous sur la politique américaine des 10 dernières années au Moyen-Orient ?
La diplomatie américaine, qui prétendait assurer la stabilité du Moyen-Orient, avorta au cours de quatre événements majeurs : la guerre du Golfe (1991), la question afghane, l’occupation de l’Irak (2003) et les Printemps arabes (2011) ; quatre faits qui ont généré la mort de près d’un demi-million d’individus et l’eondrement de quatre pays (Irak, Syrie, Yémen, Libye). On ne saurait donc exagérer en disant que le bilan est peu convaincant, d’autant que la stratégie régionale de Washington visait à faire la guerre au terrorisme pour protéger les États-Unis et ses alliés (Israël notamment), en restructurant le Moyen-Orient sur la base de la démocratie libérale. À l’origine de ce projet, qualié de « Grand Moyen-Orient », l’enjeu pétrolier était secondaire, mais il prit une importance croissante par la suite. Malgré ses prétentions à rétablir la paix avec les pays arabo-musulmans, Barack Obama a continué d’épouser les théories du « regime change » à l’américaine, c’est-à-dire qu’il voulut faire conance aux révoltes de 2011, puis à des surages universels manipulés, pour démocratiser la région. Là encore, l’échec se révéla patent : en quelques mois, le « regime change » déboucha partout sur le délitement politique et l’islamisation, ainsi en Syrie, en Libye, au Yémen. Par désir d’économie budgétaire et aveuglé par sa conance dans ses alliés locaux, Obama laissa l’Afghanistan et l’Irak dans les mains de gouvernements décriés et retira ses troupes. Aussitôt, les deux pays implosèrent. Depuis les victoires de Daech en 2014, l’administration Obama a paru faire amende honorable en renouant avec un certain pragmatisme, notamment en acceptant de facto un partage du ciel syrien avec la Russie, ou encore en coopérant implicitement avec le régime syrien. La Russie ciblait Fatah al-Cham et sa nébuleuse, tandis que Washington s’en prenait d’abord à Daech. Mais l’annonce le 10 décembre 2016 par John Kerry d’une qualication de crime de guerre et de crime contre l’humanité visant Bachar al-Assad bouleverse la donne. À la veille de céder le pouvoir, l’administration Obama a été reprise par les premiers axes de sa géopolitique. En accusant le régime syrien de crimes contre l’humanité, les États-Unis et la France défendent les principes onusiens, les droits de l’homme et la démocratie. Mais ils réactivent une diplomatie idéaliste déconnectée de la réalité et de la violence réciproque que mènent le régime et les rebelles, dont une majorité est jihadiste. Les crimes contre l’humanité étant imprescriptibles, John Kerry ruine toute tentative de coopération américano-russe, pousse l’Égypte et Israël dans l’orbite de Moscou, coupe l’herbe sous le pied de son successeur en janvier, et remet à après-demain l’issue de la guerre (2019 ? 2020 ?). En refusant de choisir un camp et de le soutenir, les États-Unis prolongent la guerre. Le bilan de l’action américaine depuis 1991 est donc un asco complet et ruine toute la crédibilité de la puissance pour de nombreuses années, désormais concurrencée par la Russie.
Quelles actions positives et négatives la France a-t-elle eues au Moyen-Orient depuis 10 ans ?
En prenant le pouvoir en 2007, Nicolas Sarkozy bénéciait de la popularité record – mais pas toujours méritée – de Jacques Chirac au Moyen-Orient. Souvent raillé par ses opposants, Sarkozy manifesta pourtant jusqu’aux Printemps arabes un grand sens politique dans la région, ainsi lorsqu’il lança l’Union pour la Méditerranée, noua de nombreux accords sur les migrations africaines, ou encore en réintégrant la Libye dans le concert des nations. Malgré un bon bilan international au Sahel et en Afrique du Nord, il fut incapable d’agir avec sérénité et hauteur de vue dès que les premières révoltes commencèrent dans le monde arabe en 2011. Il commença par conrmer son soutien à Ben Ali en Tunisie, avant de se dédire, puis de déclencher en mars 2011 les opérations militaires contre le colonel Kadha en Libye, prélude à l’eondrement du pays, lui qui avait été à l’origine du retour en grâce diplomatique du dictateur. Face à une situation complexe et inédite, Nicolas Sarkozy réagit comme savent le faire les Français : en suivant ses utopies et en voulant tordre la réalité. La présidence de François Hollande fut parcourue par les mêmes contradictions. Au Moyen-Orient, la diplomatie de Laurent Fabius voulut être celle du panache et de la morale, mais déboucha sur la posture et l’inefficacité. C’est au nom de ces principes qu’il s’opposa à toute concession envers Bachar al-Assad, alors que les États-Unis négociaient déjà en 2015. Il fut l’un des artisans de la ligne dure contre Téhéran, au moment où le régime, en raison de son action militaire contre Daech, parvenait à faire lever les sanctions et à apaiser les inquiétudes américaines sur la puissance iranienne. L’opiniâtreté anti-Bachar a coûté à la France sa place dans la région, puisqu’elle a été dépassée par le dynamisme russe et le pragmatisme américain. En fermant son ambassade à Damas et en refusant toute négociation, même parallèle, Paris s’est privé de tout levier semi-officiel en Syrie et a dû se rabattre sur les groupes rebelles qui, dès 2012, étaient tous pénétrés par l’idéologie djihadiste. La France est allée jusqu’au bout de sa logique mais, depuis la fin des blocs, les principes ne sffiusent plus à déterminer le camp du Bien et le Moyen-Orient est trop complexe pour supporter le manichéisme. […]"
L’opiniâtreté anti-Bachar a coûté à la France sa place au Proche-Orient
Olivier Hanne, islamologue, chercheur-associé à l’Université d’Aix-Marseille, a été interrogé dans la lettre Security Defense Business Review. Extrait :