Louis (1823-1894) et Zélie (1831-1877) Martin, parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, n’ont élevé leurs filles que « pour le ciel ». Pendant leur vie, ils désiraient déjà devenir des saints, comme Zélie l’écrit dans une de ses lettres : « Je veux devenir une sainte, ce ne sera pas facile, il y a bien à bûcher et le bois est dur comme une pierre. Il eût mieux fallu m’y prendre plus tôt, pendant que c’était moins difficile, mais enfin mieux vaut tard que jamais. »
Du Père Jean-Marie Simar, Recteur du sanctuaire Louis et Zélie d’Alençon et membre de la communauté missionnaire « Famille de Marie » :
Marie-Zélie Guérin a grandi en Normandie. C’est la fille d’un gendarme. La vie religieuse l’attire ; elle aimerait se dévouer au service des malades et des pauvres. Or, quand elle demande son admission chez les Filles de la Charité d’Alençon, la supérieure lui rétorque sans l’ombre d’un doute que ce ne sont pas les desseins de Dieu. La jeune fille présente alors la requête suivante au Bon Dieu : « J’entrerai dans l’état du mariage pour accomplir votre Volonté sainte. Alors je vous en prie, donnez-moi beaucoup d’enfants et qu’ils vous soient tous consacrés. »
Zélie qui est très jolie et talentueuse apprend à confectionner les fameuses dentelles d’Alençon (Orne). Elle n’a que 22 ans quand elle ouvre sa propre boutique et livre ses ouvrages jusqu’à Paris pour répondre à la demande. Quatre ans plus tard, elle croise sur un pont un jeune homme dont la noblesse des traits la frappe.
Zélie perçoit intérieurement une voix : « C’est celui-là que j’ai préparé pour toi. » Cet étranger est horloger, né à Bordeaux, fils d’un officier profondément croyant ; il a 35 ans, aime la nature et la littérature. À l’âge de 22 ans, son amour extraordinaire pour Dieu l’avait amené lui aussi à pousser la porte d’un monastère – et ce n’est qu’en raison de ses carences en latin qu’il n’avait pas été admis chez les chanoines de saint Augustin au Grand-Saint-Bernard. Il s’appelle Louis-Joseph Martin. Depuis huit ans il mène une vie presque monacale dans son magasin d’horlogerie et de bijouterie à Alençon. Il est tellement comblé par sa vie intérieure qu’il n’a jamais pensé à se marier jusqu’à ce qu’intervienne la Providence. Louis et Zélie font connaissance. Trois mois plus tard leurs dispositions de cœur sont telles qu’ils peuvent échanger devant Dieu leur consentement, ce qui a lieu le 13 juillet 1858 en l’église Notre-Dame d’Alençon.
Bien que tous deux aient toujours aspiré à la vie religieuse, ils parviennent avec l’aide de leur confesseur à une profonde compréhension du mariage chrétien. Ils peuvent désormais exprimer leur abandon à Dieu en lui donnant des enfants. En dix ans, Zélie a la joie d’avoir huit grossesses. Cependant, elle a aussi la douleur de voir quatre de « ses petits anges » mourir dans ses bras. C’est l’occasion pour elle de s’unir de plus en plus profondément à la volonté de Dieu, de tout recevoir sans douter le moins du monde de sa bonté et sans rien désirer d’autre que de conduire à Dieu ses enfants chéris. Au décès d’Hélène, âgée de 5 ans, la maman écrit dans une lettre : « Quand Louis est rentré et qu’il a vu sa pauvre petite fille morte, il s’est mis à sangloter en s’écriant : « Ma petite Hélène, ma petite Hélène ! » Puis nous l’avons offerte ensemble au Bon Dieu. »
Dans toutes ses épreuves, Zélie reçoit l’appui de son mari en voyant sa fermeté d’âme et ses dispositions d’ouverture spirituelle. Elle n’en manifeste que plus sa propre grandeur d’âme et son courage. Elle abat le travail de trois personnes et sait relever les défis de la vie quotidienne avec intelligence et calme en y ajoutant une fine pointe d’humour. Louis apporte un solide soutien à son épouse, déjà professionnellement en l’aidant à la confection de dentelles, un métier fatigant. Ils s’entendent tous deux à faire prospérer leur commerce mais n’y voient qu’un moyen pour assurer à leurs filles une bonne formation et une dot. Comme ils ont placé Dieu au centre de leur activité quotidienne, les époux s’emploient à mettre de côté une partie de leurs biens pour assurer un logement aux pauvres et secourir les plus défavorisés.
La vie chez les Martin est régie par les liens d’affection et de parfaite union d’âme des époux. Cela se vérifie dans les lettres qu’ils s’adressent l’un à l’autre : « Je t’embrasse de tout mon cœur, je suis si heureuse aujourd’hui, à la pensée de te revoir que je ne puis travailler. Ta femme qui t’aime plus que sa vie. » « Chère amie, le temps me paraît long, il me tarde d’être auprès de toi. Inutile de te dire que ta lettre m’a fait grand plaisir, sauf d’y voir que tu te fatiguais beaucoup trop. Ton mari et vrai ami, qui t’aime pour la vie. » Ils ont su aussi trouver pour l’éducation de leurs enfants un merveilleux équilibre entre fermeté et tendresse. Leur exemple héroïque est suffisamment éloquent, surtout quand il s’agit d’apprendre à leurs filles à faire plaisir à Jésus en faisant de petits sacrifices dans la vie quotidienne par amour pour lui, en lui offrant des « perles pour sa couronne ».
Dieu a la première place. Louis et Zélie ont l’habitude de commencer leur journée par la sainte messe à 5h30. Les voisins qui entendent la clé tourner dans la serrure de la porte, se disent alors : « Ce sont les saints époux Martin qui se rendent à l’église. Nous avons encore le temps de dormir ! » Le soir, on prie ensemble devant la statue de la Sainte Vierge, on lit des livres pieux, on discute sur les sujets du jour selon le calendrier liturgique, on s’entretient sur les choses spirituelles, tout cela avec bonne humeur. Cet effort intensif de vie chrétienne au sein de la famille n’empêche pourtant pas les parents de se retirer de temps à autre, séparément, dans un couvent, pour y être seul avec Dieu.
Déjà en 1864, se manifestent chez cette jeune maman de 32 ans les premiers symptômes d’une grave maladie qui va l’emporter. Huit ans plus tard, d’un commun accord avec son mari qui n’en reste pas moins inquiet, Zélie se décide pourtant à accueillir un neuvième enfant. Le 2 janvier 1873, Thérèse vient au monde et va bientôt être le rayon de soleil de la famille. À peine quatre ans plus tard tombe le diagnostic qui ébranle tout le monde : c’est un cancer inopérable. La famille est sous le choc. Zélie reçoit la nouvelle avec courage et prend la décision : « Je veux tirer profit de ce temps. » Elle accomplit ses tâches avec une volonté de fer et cherche à garder son entrain malgré les douleurs qui ne font qu’augmenter. Un jour, elle écrit dans une lettre : « Le mieux est de remettre toutes choses entre les mains du Bon Dieu et d’attendre les évènements dans le calme et l’abandon à sa volonté. C’est ce que je vais m’efforcer de faire. » Par amour pour ses proches, elle espère avec retenue pouvoir guérir : « Si le Bon Dieu veut me guérir, je serai très contente, car au fond, je désire vivre ; il m’en coûte de quitter mon mari et mes enfants. Mais d’autre part, je me dis : si je ne guéris pas, c’est qu’il leur sera peut-être plus utile que je m’en aille. »
Elle se prépare quand même aux adieux et prête à tout, elle pense avec dévouement à la troisième de ses filles, Léonie, qui a un caractère difficile : « S’il ne fallait que le sacrifice de ma vie pour que Léonie devienne une sainte, je le ferais de bon cœur. » Dans la nuit du 28 août 1877, après être passée par de grandes souffrances, Zélie rend l’âme, doucement, à Alençon, aux côtés de son cher Louis. Le lendemain, Louis devenu veuf à l’âge de 54 ans, amène sa petite Thérèse de quatre ans au chevet de la dépouille de sa maman. Voici la relation qu’elle en fait plus tard : « Il me prit dans ses bras en me disant : « Viens embrasser une dernière fois ta pauvre petite Mère. » Et moi, sans rien dire, j’approchais mes lèvres du front de ma mère chérie. »
Pour Louis, après 19 ans de bonheur conjugal, un monde s’écroule. Il déménage à Lisieux et se consacre entièrement à l’éducation de ses filles, secondé par l’aînée, Marie qui a déjà 17 ans. Dans les années qui suivent, c’est lui qui a le privilège de voir les merveilleux fruits spirituels issus de sa vie avec Zélie, à savoir les vocations religieuses de leurs filles les unes après les autres. Marie et Pauline entrent au Carmel de Lisieux. Il est surtout durement marqué par le départ de sa « petite reine » qui n’a que 15 ans : « Dieu seul peut exiger un tel sacrifice… ne me plaignez pas, car mon cœur surabonde de joie. » Même Léonie entre à la Visitation. Quand sa cinquième fille, Céline, lui fait part elle aussi de son désir de devenir carmélite, il s’exclame : « Allons ensemble devant le Saint Sacrement remercier le Seigneur des grâces qu’il accorde à notre famille… Oui le Bon Dieu me fait un grand honneur en me demandant tous mes enfants. Si je possédais quelque chose de mieux, je m’empresserais de le lui offrir. »
Avant que Céline ne réalise son vœu, elle soigne son père jusqu’à ses derniers jours. Après plusieurs attaques cérébrales consécutives, Louis commence à souffrir une vraie passion. Son mental ne fait que s’obscurcir et il tombe de plus en plus souvent dans des états imprévisibles de confusion, voire de folie. On est contraint d’interner le patient dans un asile psychiatrique pendant trois ans. Ses filles en sont comme anéanties mais comprennent que ces tourments qu’elles endurent ensemble « sont de nature à nous rendre des saintes ». Louis lui-même avait un jour exprimé son point de vue à propos de ce type de maladie. « Un destin aussi avilissant, disait-il, c’est la plus grande épreuve qu’un homme puisse subir ! » Il passe à présent par des phases de lucidité intérieure qui lui donnent la possibilité de « goûter » à « l’amertume et l’humiliation de ce calice » comme l’appelle Thérèse, et à s’offrir en toute liberté à Dieu. Il confie à ses filles que pour toutes les grâces et les bienfaits reçus, il avait fait un jour la prière suivante : « Mon Dieu, c’en est trop ! Oui, je suis trop heureux, il n’est pas possible d’aller au ciel comme cela, je veux souffrir quelque chose pour vous ! Et je me suis offert… » Thérèse évoqua dans ses souvenirs : « Le mot « victime » expira sur ses lèvres, il n’osa pas le prononcer devant nous mais nous avions compris. »
Louis passe encore deux années en fauteuil roulant avant de rejoindre son épouse Zélie au ciel le 29 juillet 1894 à Lisieux, à l’âge de 71 ans. Il n’a pas eu parmi ses enfants le prêtre et missionnaire qu’il désirait mais il a donné à l’Église Thérèse de l’Enfant-Jésus, patronne des missions et Docteur de l’Église. Du Carmel, les filles de Louis lui rendirent cet hommage : « Ô toi le meilleur des pères, qui donnes à Dieu sans compter tout l’espoir de ta vieillesse… Nous te glorifierons comme tu mérites d’être glorifié, en devenant des saintes ! »
Louis et Zélie Martin constituent le premier couple canonisé non martyr. Béatifiés le 19 octobre 2008 à Lisieux, ils ont été canonisés à Rome le 18 octobre 2015, à l’occasion du synode des évêques sur la mission de la famille dans l’Église et dans le monde. L’église Notre-Dame d’Alençon où ils se sont mariés a été élevée au rang de basilique le 6 décembre 2009.
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