De Pierre-Antoine Pontoizeau, pour le Salon beige:
Il serait interdit d’analyser la situation politique ukrainienne car certains veulent réduire le monde à ce dualisme enfantin, avec les forces du bien du côté de l’Ukraine et les forces du mal du côté russe.
Or, la situation de l’Ukraine résulte d’une succession de choix effectués par les mauvais maîtres de l’Ukraine depuis l’indépendance. L’Ukraine vit en effets les ultimes soubresauts d’un régime en faillite qui précipite chaque jour un peu plus les populations ukrainiennes dans le chaos. Nous nous appuyons sur une documentation institutionnelle publique, une note de la direction du Trésor français du 22 décembre 2020 par exemple, les données publiques de la banque mondiale et du FMI, ainsi que les analyses d’institutions financières, dont les organismes de notation qui publient régulièrement, dont nous faisons ici synthèse.
La destruction des activités productrices
Au 30e anniversaire de l’indépendance, ce pays disposait d’un potentiel économique, scientifique et de ressources considérables. Il est devenu l’un des plus pauvres de toute la région eurasiatique. Le constat est sans appel. Sur le plan industriel déjà, des activités ont sombré des années 90 aux années 2020. Plusieurs exemples l’illustrent parfaitement. Les productions de bus de Lviv ou d’automobiles de Zaporojié ont été abandonnées. Le géant industriel Antonov n’a pas produit le moindre avion depuis 2015. Les chantiers navals de la mer Noire ont quasiment disparu.
L’appauvrissement des populations
La Banque mondiale fait état d’une jeune génération au niveau d’éducation faible avec un système de santé très déficient. Sur le plan démographique, le taux de natalité s’effondre depuis l’indépendance, alors que le taux de mortalité ne cesse de s’envoler : hygiène, défaut de soins, malnutrition, etc. Les jeunes aspirent à travailler dans les États voisins, dont la Pologne où le nombre de travailleurs immigrés a sensiblement cru depuis 2014. Les institutions internationales signalent que le taux de chômage, officiellement de 10%, est en fait bien supérieur aux statistiques de l’Etat. Plus grave encore, l’indice du capital humain n’a pas évolué favorablement depuis 2010. L’Ukraine est en dessous de ses principaux voisins d’Asie centrale.
La mauvaise gestion générale du pays s’observe dans une hausse incessante des prix à la consommation, plus de 10 % en 2021, donc avant la guerre, sur les produits de première nécessité. Certains produits ont même doublé. Le gaz a augmenté d’un tiers. Les institutions internationales disaient déjà que le pouvoir d’achat de l’Ukrainien était un des plus faibles d’Europe en 2019, avant la guerre là encore. Ces institutions estiment que le pouvoir d’achat a baissé de 30% depuis l’indépendance, mettant les Ukrainiens loin derrière les Russes, les Biélorusses ou les Kazakhs.
L’Etat ruiné et endetté
Sur un plan plus financier, les décisions récentes des organismes de notation (Fitch et Standard & Poors) de positionner l’Ukraine en quasi risque de défaut, entérinent autant cette situation catastrophique, antérieure à la guerre, que l’incapacité de l’Ukraine à supporter et prolonger le prix de la guerre, au lieu de négocier. L’économie avait plongé en 2014 et 2015, montrant une fois encore que les révolutions coutent chères. La monnaie s’est aussi effondrée, presque divisée par 4 face au dollar de 2013 à 2021. Les incertitudes politiques, dont le climat hostile au respect des accords de Minsk, a conduit les entrepreneurs et les investisseurs à anticiper le risque de guerre, affaiblissant plus encore l’économie du pays. Or, rappelons-le, il appartenait autant au pouvoir ukrainien de respecter ces accords qu’à la partie russe – ce qui n’a pas été fait.
Une oligarchie prédatrice hostile au bien commun
Le bilan sur trois décennies démontre la nocivité d’une oligarchie prédatrice qui accaparent les fonds publics, bradent des activités, détruit les outils industriels. La dégradation est très profonde. Les analyses les plus récentes, mais toujours avant la guerre, faisait état d’un « pic mortel », d’un point de rupture d’une économie à l’agonie. Alors, la guerre serait de ce point de vue une véritable fuite en avant, la stratégie du maquillage d’une oligarchie qui a ruiné le pays en trois décennies pour ses intérêts personnels. Voilà une réalité politique et économique dont je redis au lecteur inattentif une dernière fois, qu’il s’agit du bilan de l’indépendance à 2020, donc avant la guerre. La menace du défaut de paiement est donc antérieure à la guerre là aussi. Les investissements sont faibles attestant bien d’une économie de prédation des oligarques sans projets économiques pour le pays, et d’une faible attractivité pour les internationaux, du fait des notations en matière de corruptions et des pratiques mafieuses peu encourageantes.
Une guerre évitable mais la fuite en avant se poursuit
Alors pourquoi aller à la guerre plutôt que de respecter les accords de Minsk et de protéger les populations des désastres d’une guerre évitable ? Là est la vraie question et la vraie responsabilité des élites ukrainiennes. Le ministre des Finances ukrainien, Serguii Martchenko, craignait le coût insupportable de la guerre au-delà de quelques mois. Le FMI et la Banque mondiale estiment que le PIB chutera de 50% à fin 2022, ruinant le pays. On estime que chaque mois de guerre coûte a minima 10 milliards de dollars. Il était donc imprudent et irresponsable d’aller au conflit et de créer les conditions de l’agression. Aucun géopoliticien ne peut nier aujourd’hui que la violation des accords de Minsk est un fait avéré résultant des décisions des dirigeants ukrainiens.
Outre l’incapacité à assumer économiquement le coût de la guerre, la guerre elle-même induit une dévastation des infrastructures et la perte probable de près de 80.000 à 100.000 hommes jeunes déjà, au rythme de quelques centaines par jour, depuis près de 200 jours de guerre, sans oublier les handicapés à vie. Est-ce un hasard si l’Ukraine lance actuellement un recrutement de masse des hommes en âge de se battre ? Là, j’ose évoquer comme Raphaël Lemkin (juriste international fondateur du concept et des définitions du génocide) des décisions au caractère génocidaires, à l’encontre de son propre peuple. Fuite organisée des populations, déplacement forcé, persécutions des minorités en cours, envoi à la mort de toute la jeunesse ukrainienne. Or, un Etat peut toujours éviter la guerre, négocier, arrêter le massacre et envisager la paix, c’est aussi l’honneur d’un dirigeant. Les plus récents propos des dirigeants ukrainiens poussent au sacrifice une jeunesse déjà dévastée.
Concluons. De 1991 à 2020, avant la guerre, ce pays a été ruiné par des dirigeants qui préfèrent maintenant la guerre à la négociation. La responsabilité de la situation incombe autant à ces dirigeants ukrainiens qui ont refusé l’application des accords de Minsk qu’à la volonté impériale de Poutine qui a saisi l’occasion, comme un féodal aux aguets. Il est simplement infantile et irresponsable de maintenir le fantasme du gentil et du méchant. Il est coupable de refuser le sens du discernement et l’analyse historique de ce pays. C’est même un peu criminel vis-à-vis des populations ukrainiennes que de prolonger indéfiniment un sacrifice absurde qui maquille les forfaits d’une élite contre son peuple, un peuple aujourd’hui autant martyrisé par les décisions de leur dirigeant et leur entêtement que par l’action des Russes.
Appel à la paix et résistance à la haine et à la guerre, devoir des chrétiens du monde entier
Voilà pourquoi il est urgent de faire un appel à la raison, un appel à la paix, l’appel à la raison d’être même des institutions européennes qui se sont construites sur « plus jamais ça ». Or, ces institutions trahissent leur raison d’être pour aller à la guerre et pousser à la haine. Nous devons nous élever et exiger de l’Europe et de nos dirigeants nationaux qu’ils soient des promoteurs de paix par la diplomatie. L’hiver sera terrible pour eux, peut-être pour nous sans aucune raison légitime. Pendant ce temps, d’autres puissances dans le monde poursuivent leurs coopérations et leurs développements. Certains sont devenus fous, bêtes et méchants. Ne cédons pas à leur piège sordide : vindicte, haine, misère, révolte et incitation à la guerre.
Cro-Magnon
Fort intéressant mais quel dommage ces fautes d’orthographe permanentes… Désolé mais je ne m’y habitue pas et ne veux pas m’y habituer.
Cordialement quand même !
sivolc
Article très convaincant ! En le lisant je me disais que la décadence de la France a plusieurs points de ressemblance avec celle de l’Ukraine décrite par l’auteur. Et je me demande qui tire les ficelles……..
D'Haussy
QUI ?!
https://m.youtube.com/watch?v=ht6wtOkkNmA
sivolc
J’ai actionné le lien, D’Haussy . Cette video date de plus d’un an et, je vous le dis tout de suite, est vraiment ridicule et honteuse. Non, ceux qui tirent les ficelles ne sont pas les Juifs, mais tout simplement le diable notre ennemi commun le diable, le diviseur qui utilise tout ce qu’il trouve sous sa griffe, mais il est caché, d’où mon point d’interrogation. L’appât du gain attire toutes sortes de gens , et pas seulement en Ukraine.
Dans ce pays et bien avant le XXème siècle, les Juifs se taquinaient entre ceux de Kiev – les intellectuels – et ceux d’Odessa -les commerçants. Selon les circonstances la posture sociale exigeait d’être soit de Kiev soit d’Odessa, c’est en tout cas ce qu’on m’a raconté quand j’étais jeune. Maintenant le diable me préoccupe bien davantage
Astragal
On avance sur un volcan .
La mort “accidentelle” de Daria Douguine pourrait être l’étincelle qui mettra le feu aux poudres.
Mais rien n’y fait. C’est : “tous à Moscou !” comme en 1914 “Tous à Berlin”.
J’admire la patience, la retenue des Russes, devant pareils irresponsables.
C.B.
“La Banque mondiale fait état d’une jeune génération au niveau d’éducation faible”
Or si l’on en croit quelques vidéos montrant de jeunes réfugiés ukrainiens en cours d’adaptation (visiblement sans peine, trouvant que l’école en France c’est facile) dans nos classes, cela en dit long sur le niveau des élèves français.
zongadar
C’est aussi ma réflexion, mêmes type de ‘chefs’ et de décadence au sommet, mêmes effets.
poine
Quand bien même l’Ukraine serait vraiment dans un état si pitoyable, avec des dirigeants si indignes, rien absolument rien ne peut justifier l’effroyable agression russe. Cause d’un océan de sang et de haine, exemple tentant pour les bellicistes de tout poil, la force brutale déchaînée ne doit en aucun cas l’emporter.
Ydelo
Sans vouloir prendre le parti de la Russie, vous oubliez que le conflit dure depuis 8 ans, le Dombass a été bombardé régulièrement par l’Ukraine (14.000 morts), les accords de Minsk n’ont pas été respectés.
Et au lieu de chercher la paix, l’OTAN alimente le conflit au prix de la vie des ukrainiens, et de la paix sociale en Europe. D’ici quelques mois on récoltera les conséquences de cette désastreuse politique de sanction, pauvreté, faillite des états, voire guerre civile.
RobertD
Le Donbass a été bombardé par l’Ukraine, mais si la Russie n’avait pas manifestement empêché l’Ukraine de mater la rébellion en 2014, ce conflit ne se serait pas éternisé, et vraisemblablement un ordre normal aurait été restauré. Faire porter au seul pouvoir central ukrainien tout le chapeau est pour le moins simpliste.
Ydelo
“Ordre normal”, c’est une question de point de vue.
Est-ce que la révolution de 2014 soutenue par des parties étrangères était un ordre normal ?
Est-ce que les accords de Minsk n’auraient pas été un ordre normal ?
Ydelo
Visiblement la relecture de la Bible ne vous inspire pas la Charité dans la forme de vos écrits.
Sur le fond, sans être pro-Russie, je pense que la Russie n’est pas plus mal lotie que la France matériellement, et qu’elle est certainement moins décadente sur le plan moral.
Quant au Figaro, il n’est pas peut-être pas d’extrême-gauche, mais c’est la fausse droite : aucune fermeté de conviction sur les sujets de société.
RobertD
Cet article a l’air de décrire une situation apocalyptique, une descente aux enfers depuis 30 ans. Pourtant, et sans prétendre bien évidemment que tout serait rose en Urkaine, si on regarde par exemple l’évolution du PIB par habitant, ça ne semble pas si net, comme on le voit par exemple sur ce graphe :
https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.PCAP.PP.KD?end=2021&locations=UA-RU&start=1987&view=chart
–> la courbe est un peu différente selon comment on exprime la grandeur ($ courants, PPP,…, ça m’échappe un peu), mais on ne voit pas la chute continue voire accélérée que l’article semble suggérer. J’ai mis la Russie sur le graphique pour comparer, il me semble qu’on voit pas mal de corrélation.
Les chiffres russes semblent indiquer plus de richesse qu’en Ukraine. Cependant j’ai pu lire que les soldats russes avaient beaucoup pillé des biens parfois surprenant, voire s’étonnaient des maisons ukrainienne presque toutes en dur. Peut-on envisager que la moyenne de PIB par habitant fausse la perception ? (par exemple si 1 personne reçoit énormément, et 1000 autres presque rien, qu’apprend-on de la moyenne?)
Je n’ai pas recherché des chiffres lus indiquant des taux d’accès à l’eau chaude, ou autres installations sanitaires, qui paraissaient très étonnament bas pour la Russie.
Mais la Banque Mondiale donne une évolution de l’indice de Gini, qui cherche à indiquer dans quelle mesure la distribution du revenu est égalitaire ou inégalitaire. Un index de 0 représente l’égalité parfaite, un index de 100 l’inégalité parfaite :
https://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI?locations=UA-RU-FR
–> Pour France, Russie et Ukraine des courbes assez différentes, mais pour 2018 les valeurs sont :
Ukraine : 26,1
France : 32,4
Russie : 37,5
Je ne sais pas trop qu’en conclure. Peut-être que pour la Russie ça correspond au fort décalage entre le niveau de vie dans les grandes villes par rapport au reste du pays?
J’ai voulu voir aussi ce qu’il en était de la mortalité, voilà la courbe pour l’Ukraine, ainsi que la Russie et la France :
https://data.worldbank.org/indicator/SP.DYN.CDRT.IN?locations=UA-RU-FR
–> on voit que la courbe ukrainienne est assez similaire à la Russie, même si depuis une dizaine d’année la Russie semblait meilleure. Les deux courbes sont très différentes de la courbe française.
Par curiosité, la mortalité infantile, dont il me semble qu’un article récent du SB notait que le taux augmentait en France :
https://data.worldbank.org/indicator/SP.DYN.IMRT.MA.IN?locations=UA-RU-FR
–> effectivement ça augmente pour la France. Par contre le taux russe comme le taux ukrainien sont en baisse très forte si on prend l’évolution de ces trentes dernières années, avec pour les deux une décennie difficile entre 1990 et 2000, suivie d’une nette reprise de l’amélioration (ie baisse du taux de mortalité)
L’article indique que “La Banque mondiale fait état […] le taux de mortalité ne cesse de s’envoler ” : je suppose que soit j’ai mal compris, et l’auteur ne prétend pas que la Banque Mondiale indique une envolée “sans cesse” du taux de mortalité, soit il le prétend, et alors je l’engage respectueusement à aller voir les courbes que je viens d’indiquer et qui proviennent du site… de la Banque Mondiale.
# L’espérance de vie?
https://data.worldbank.org/indicator/SP.DYN.LE00.IN?locations=UA-RU-FR
–> grosso modo similaire entre Ukraine et Russie, léger avantage à l’Ukraine si on prend les 30 dernières années, mais la Russie l’a dernièrement rattrapée.
# Pourcentage des individus utilisant internet :
https://data.worldbank.org/indicator/SP.DYN.LE00.IN?locations=UA-RU-FR
–> l’Ukraine est en retard, avec 75% en 2020 contre 85% pour la Russie comme la France
# Un petit point sur la corruption
sur ce site on voit une évolution sur environ 25 ans d’un indice de perception de la corruption :
https://tradingeconomics.com/ukraine/corruption-index
*/!\Plus l’indice est haut, moins il y a de corruption/!\*
(je mets l’avertissement car des sources l’ont lu à l’envers, et tiré des conclusions inverses…)
–> ça ne bouge pas des masses, et ça va plutôt en s’améliorant
Pour comparer (pour ce que vaut une comparaison sur ce point là), en décembre 2021:
Ukraine : 32
Russie : 29
France : 71
Royaume-Uni : 78
Vénézuela : 14
Soudan du Sud : 11
Danemark: 88
Pour conclure, si l’article commence avec “certains veulent réduire le monde à ce dualisme enfantin, avec les forces du bien du côté de l’Ukraine et les forces du mal du côté russe.”, j’ai pour ma part du mal à comprendre pourquoi on lit tant d’articles, commentaires ou avis tellement hargneux vis à vis de l’Ukraine, noircie plus que de raison et pas très sérieusement, ou portant aux nues la Russie, la “sainte Russie” fantasmée (pas celle qui envoie ses djihadistes tchétchènes scander Allah akbar sur les ruines des villes envahies je suppose). Pourquoi vouloir réduire ce monde à un dualisme enfantin, avec les forces du bien du côté de la Russie, et les forces du mal côté ukrainien? La situation est à l’évidence bien plus complexe.