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Pays : Russie

L’Ukraine près de s’effondrer

L’Ukraine près de s’effondrer

Extrait d’une analyse de Jacques Baud,un ancien colonel d’État-major général, ex-membre du renseignement stratégique suisse, spécialiste des pays de l’Est :

[…] Les initiatives de Zelensky pour ouvrir un dialogue avec la Russie ont été systématiquement sabotées par l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Le 25 février 2022, Zelensky laisse entendre qu’il est prêt à négocier avec la Russie. Deux jours plus tard, l’Union européenne arrive avec un paquet d’armes de €450 millions pour inciter l’Ukraine à se battre. En mars, même scénario : le 21, Zelensky fait une offre qui va dans le sens de la Russie, deux jours plus tard, l’UE revient avec un deuxième paquet de €500 millions pour des armes. Le Royaume-Uni et les États-Unis font alors pression sur Zelensky pour qu’il retire son offre, bloquant ainsi les négociations d’Istanbul.

Or, la réalité du terrain pousse les militaires occidentaux à plus de réalisme. Le 24 mars, le général Mark Milley, chef du Joint Chiefs of Staff, avait tenté d’appeler le général Valeri Gherassimov, chef de l’état-major général russe, mais s’était heurté à une fin de non-recevoir. Le 13 mai 2022, Lloyd Austin, secrétaire à la Défense américain, appelle son homologue russe, Sergueï Choïgou, afin de lui demander un cessez-le-feu. C’est la première fois que les deux hommes se parlent depuis le 18 février.

Les militaires américains sont donc demandeurs : ils voient venir le désastre pour l’Ukraine et tentent de gagner du temps. Mais ils n’ont pas la crédibilité suffisante pour que les Russes entrent en matière. Ces derniers sont dans une dynamique qui leur est actuellement favorable et les propositions des militaires américains ne semblent pas avoir d’écho auprès du secrétaire d’État. À ce stade, pour convaincre les Russes il faudrait des gestes concrets que personne n’est en mesure ou n’a envie de faire.

L’effet des sanctions

Non seulement les sanctions peinent à avoir un effet concret sur l’économie russe, mais leur impact sur nos économies commence à se ressentir au niveau politique. C’est le cas en Estonie, au Royaume-Uni, aux États-Unis, et, dans une certaine mesure, en France. Aux Etats-Unis, la perspective des mid-term encourage les Républicains à remettre en question ces sanctions qui affectent le pouvoir d’achat, le rôle du dollar et, plus globalement, l’économie américaine.

Quant à l’économie russe, elle ne semble pas souffrir des sanctions. Le journal britannique The Guardian, virulent adversaire de la Russie, doit constater que « la Russie est en train de gagner la guerre économique ». […]

[L]es armes livrées à l’Ukraine n’arrivent pas aux combattants de première ligne. Plusieurs raisons à cela.

– Premièrement, une partie de ces armes qui arrivent en Pologne pour être ensuite expédiées vers l’Ukraine, sont détournées sur le sol européen. Ainsi les missiles antichars FGM-148 Javelin, porteurs des espoirs occidentaux contre les forces russes, sont revendus sur le darknet à 30 000 dollars l’unité par des éléments du gouvernement ukrainien.

– Deuxièmement, il n’y a pas vraiment de mécanisme pour distribuer ces armes, dont les meilleures sont données aux unités de l’ouest du pays, au détriment des combattants du front.

– Troisièmement, les stocks ukrainiens tombent rapidement dans les mains des Russes. Ainsi, ces derniers ont récupéré des quantités considérables de Javelin qu’ils ont remis aux milices du Donbass, où ils sont désormais en dotation ! Ce ne sont pas les seuls. Ainsi, certains hélicoptères ukrainiens cherchant à évacuer les combattants de Marioupol ont été abattus par des missiles anti-aériens Stinger, fournis par les Américains…

De fait, même les services de renseignements américains ne savent pas où vont les armes livrées à l’Ukraine. Cette situation alarme Juergen Stock, secrétaire-général d’Interpol, qui craint que ces armes aillent vers des organisations criminelles. Or, ceci se fait avec la complicité des gouvernements occidentaux qui rechignent à mettre en place des garde-fous et des mécanismes de vérification sur l’emploi de ces armes.

Quant à leur capacité à modifier le rapport de forces sur le terrain, c’est discutable. Tout d’abord, leur quantité est loin de remplacer les centaines d’équipements ukrainiens similaires que les Russes ont détruits depuis février 2022. Ensuite, du fait qu’elles sont différentes de celles pour lesquelles l’armée ukrainienne a été formée, elles rendent difficiles une uniformisation des méthodes d’apprentissage et nécessitent des maintenances différenciées. En d’autres termes, elles permettent sans doute de provoquer des pertes russes, mais elles rendent également la gestion du combat plus compliquée pour les Ukrainiens. Leurs effets positifs sont donc d’ordre tactique, mais leurs inconvénients sont de nature opérative. Or, comme nous l’avons vu, la faiblesse ukrainienne se situe déjà au niveau opératif. Ce problème est évidemment apparent aux militaires ukrainiens, c’est pourquoi le gouvernement semble avoir émis une directive interdisant aux militaires de critiquer publiquement les équipements livrés par les Occidentaux !

Le rôle des médias

Une particularité de la crise ukrainienne est qu’elle est dominée par les politiciens et les médias, mais n’accorde qu’une place limitée aux militaires et aux services de renseignement. Depuis quelques semaines, l’irrationalité d’une conduite occidentale prête à sacrifier ses propres valeurs pour combattre Vladimir Poutine, sans pour autant chercher à améliorer le sort des Ukrainiens, pousse les militaires à donner de la voix. Tout cela n’est possible qu’avec un travail de censure (interdiction de publier), de propagande (diffusion de messages partisans) et la désinformation (diffusion de fausse information).

Le dernier carré des combattants du régiment Azov à Azovstal avait une valeur doublement symbolique pour Kiev. Tout d’abord, il figurait la détermination de la résistance ukrainienne à l’invasion russe ; ensuite, il permettait de dire que Marioupol n’était pas tombée. Erigé en exemple de manière exagérée, le mythe s’est effondré avec sa reddition (entre le 16 et le 20 mai), créant un véritable choc.

Pour l’Ukraine, l’image de sa détermination à résister est entachée. Pour les Occidentaux, cet événement a montré que la détermination ukrainienne est essentiellement portée par des volontaires paramilitaires néo-nazis appelés pudiquement « militaires ukrainiens » par des médias peu scrupuleux. Les images de leurs tatouages exposaient ce que l’on savait depuis longtemps : leur attachement à des idéologies nauséabondes. Pour compenser, il a fallu déclarer qu’il y avait également des néo-nazis du côté russe. C’est pourquoi, dès le 22 mai, fleurissent des articles sur le sujet, dans le Berliner-Zeitung et dans le Spiegel.

Le fait qu’il y ait des néo-nazis en Russie est reconnu. Le fait qu’il y ait des néo-nazis dans les forces armées est très possible. Mais à la différence de l’Ukraine, la Russie interdit ces mouvements et il n’y a pas d’unités constituées des forces armées qui revendiquent des idées néo-nazies. On évoque bien évidemment des liens – invérifiés – avec le célèbre mais très flou groupe WAGNER, qui serait actif en Ukraine, mais dont la présence n’a jamais été démontrée.

Les vidéos de témoignages dénonçant les crimes commis par les volontaires Azov sont systématiquement censurés sous prétexte qu’ils « incitent à la haine ». Ceux qui apportent une information alternative et plus équilibrée de la situation sont immédiatement qualifiés de « complotistes », par des individus (journalistes) qui relaient des idées « nazéabondes » et dont aucun ne critique les éliminations ciblées ou les crimes contre la population ukrainienne du Donbass, pas plus que le fait que Henry Kissinger ait été placé sur la liste noire du site Mirotvorets, plusieurs fois dénoncée par les organisations internationales, car elle livre à la vindicte populaire les « ennemis de l’Ukraine », violant présomption d’innocence et le droit à la vie privée, lorsque ce n’est tout simplement pas le droit de vivre.

On observe une claire différence dans le traitement de la crise ukrainienne entre les médias francophones et anglophones. Les premiers tentent d’écarter toute opinion discordante en qualifiant les individus de « complotistes », alors que les seconds tentent davantage de traiter la question sur le plan de la substance.

Pour certains, la crise ukrainienne a renforcé l’unité européenne, le lien transatlantique et l’importance de l’OTAN. Les sanctions ont été unanimement appliquées dans l’euphorie et la perspective d’un effondrement rapide de la Russie.

Mais la Russie ne s’est pas effondrée et les sanctions commencent à avoir des effets pervers sur les pays occidentaux, qui ne peuvent plus faire marche arrière sans perdre la face. L’unité européenne n’est qu’une façade que l’inflation créée par les sanctions pourrait bien fissurer davantage dans les mois qui viennent. Aux États-Unis et en Europe, les commentateurs commencent à remettre en question la gestion de la crise et l’alignement sur Washington qui semble avoir été totalement dépassé par les événements. Quant à l’OTAN, la réaction de la Turquie aux candidatures de la Suède et de la Finlande met en évidence deux choses.

– Tout d’abord, l’incroyable dilettantisme des dirigeants suédois et finlandais qui ont totalement négligé de consulter les divers membres de l’Alliance – et la Turquie en premier lieu – pour sonder leur soutien. Au début des années 1990, alors que la Suisse s’interrogeait sur l’adhésion au Partenariat pour la Paix (PPP) de l’OTAN, une de nos premières visites a été à Moscou, afin de sonder leur perception de la neutralité suisse dans cette nouvelle situation.

– Ensuite, la légèreté de la lecture stratégique des pays nordiques, qui tendent à se croire au centre des préoccupations stratégiques de la Russie. Leur lecture pourrait être celle de la Pologne, voire de l’Allemagne. Mais pour la Suède en particulier, une adhésion à l’OTAN constituerait une péjoration de sa posture stratégique.

Selon le service de renseignement allemand (BND), l’Ukraine serait prête à s’effondrer dans les prochaines semaines. Les livraisons d’armes ne font que prolonger inutilement le conflit au prix de vies qui sont essentiellement ukrainiennes.

Contrairement à ceux qui annoncent de manière péremptoire depuis février que la Russie cherche à conquérir l’Ukraine, son objectif final n’est pas vraiment connu. On peut s’attendre à ce que les forces russes poussent jusqu’à la Transnistrie, comme l’avait annoncé le ministère de la Défense russe. Ainsi serait plus ou moins reconstituée la Novorossiya qui avait eu une très éphémère existence en 2014.

En octobre 2014, les rebelles du sud de l’Ukraine joignent leurs forces pour créer les « Forces conjointes de Novorossiya ». La rébellion est rapidement matée par les nouvelles autorités de Kiev. Cet épisode est « oublié » de nos médias, car il montre que la résistance au « coup » de Maidan n’était pas limitée au Donbass, mais concernait presque tout le sud du pays. C’est probablement à l’intérieur de ces frontières que pourrait émerger un nouvel « État », sous la houlette de Moscou.

On s’achemine vers une situation où l’Ukraine et les Occidentaux devront faire des concessions dont ils n’ont pas encore mesuré l’importance. L’idée que le statut de la Crimée, du Donbass, voire le sud de l’Ukraine, peut encore être négociable est une illusion. C’était le message de Henry Kissinger lors du World Economic Forumde Davos en mai.

Il est très vraisemblable que si l’on avait laissé Zelensky négocier comme il l’entendait avec la Russie dès le début de l’offensive, l’Ukraine aurait pu maintenir la plus grande partie du sud sous sa souveraineté. Aujourd’hui, la combinaison de l’acharnement occidental à prolonger le conflit et du refus ukrainien d’engager un processus de négociation place la Russie en position de force. L’incapacité des Occidentaux à juger leur adversaire de manière rationnelle semble conduire l’Ukraine à la catastrophe.

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