De l’abbé Danziec dans Valeurs Actuelles :
A regarder Michel Houellebecq, on ne discernera chez lui rien d’un théologien. Ni la profondeur du regard, ni la clarté des yeux. Ni encore une forme de candeur intérieure. Pas plus qu’une respectable hygiène de vie… Mais à lire certaines de ses analyses, on comprend mieux l’air songeur que trahissent les plis de son front. Il a beau sentir le chaos, son regard n’est pas vide. Il apparaît plutôt tourmenté du néant que notre monde propose, ce qui est bien différent. A l’instar d’un saint Augustin ou d’un Charles de Foucauld, l’écrivain connait le goût amer du désordre et de l’excès. Et, comme eux, il sait en parler mieux que beaucoup. La misère affective des temps présents est son sujet. L’enlaidissement du cœur, son thème favori.
Pour le prêtre, il s’agit d’un pain quasi quotidien. Dans l’exercice de son ministère sacerdotal, derrière la grille d’un confessionnal ou dans le calme apaisant d’un jardin de presbytère, nombreux sont ceux qui viennent ouvrir leur cœur et confier leurs blessures. Les chaines de télévision et maisons de production quant à elles, voient dans cette fragilité émotionnelle une vague sur laquelle surfer. En éveillant les bas appétits des hommes, elles savent s’assurer de nombreux clients. Décidément, le scrupule est démodé.
L’appauvrissement des sentiments, ou plutôt le manque de noblesse dans leurs expressions, figure ainsi en bonne place sur le podium des tares de la postmodernité. Et il faut le dire sans fard, l’apparition de la téléréalité y est pour beaucoup. Opération séduction, L’île de la tentation, Greg le millionnaire et autres : ces émissions des années 2000 ont depuis fait florès. D’autres aux noms tout aussi éloquents et aux contenus toujours plus indigents s’affichent sur les programmes : La bataille des couples, Les princes de l’amour, La villa des cœurs brisés. L’amour n’est plus une idée sérieuse mais un sujet de mascarade. Tel ministère ou telle action gouvernementale pourra multiplier les éducateurs sociaux sur le terrain ou les animateurs dans les lycées pour parler du vivre-ensemble et vanter les bienfaits de la fraternité entre tous, pendant ce temps-là les mêmes décideurs politiques laissent la misère affective s’étaler sur les écrans. On désapprend à aimer.
L’émission de téléréalité L’amour est dans le pré, présentée par Karine Le Marchand, résume à elle-seule les travers du monde présent. Si le principe de l’émission peut paraître altruiste (trouver une âme-sœur à des paysans-candidats qui sont célibataires faute de lien social, de temps libre ou de confort matériel), il donne surtout l’occasion de jouer sur les contrastes. Et de s’en amuser. Les délaissés de la mondialisation qui labourent les champs, les oubliés des start-up qui traient les vaches, font face, le temps d’une trentaine d’épisodes, à la pimpante Karine Le Marchand. Il n’y a qu’à voir la vidéo de présentation de Didier, agriculteur aveyronnais qui participe à la 14ème saison cette année. Avec son accent, son épaisseur, sa tenue, la bête de foire, c’est lui. Le rire de l’animatrice ne saurait cacher une certaine condescendance.
J’avoue avoir eu beaucoup de peine pour cet homme en imaginant les sourires goguenards, les moqueries faciles et le sentiment de supériorité que pourront éprouver certains téléspectateurs amateurs de voyeurisme. Car Karine Le Marchand a beau s’en défendre, elle anime bien une émission de télé-réalité qui surfe sur la détresse des agriculteurs. Pour faire de l’audience, elle offre le spectacle intime de leur solitude. Tout est scénarisé pour accentuer le décalage. Ici, les sentiments n’ont rien de bio. L’amour n’a rien de courtois. L’élan, rien de chevaleresque. Le cadre se veut pittoresque, le message n’en est pas moins surfait, artificiel.
Hier comme aujourd’hui pourtant, le cœur de l’homme est fait pour la noblesse et l’élégance. West Side Story, inspirée de Roméo et Juliette, reste la comédie musicale la plus jouée au monde. Tristan et Yseult, Don Rodrigue et Chimène, Roxane et Cyrano nous l’enseignent avec grâce : si l’amour dilate et transporte, il ne permet pas tout. Il engage. Oblige. Et parfois impose des sacrifices.
L’amour n’est pas dans le pré, il est à l’image du sol que l’on cultive et relève de la même logique. A trop le malmener, on finit par l’épuiser. A l’irriguer de réalités virtuelles, on pollue son principe. A aller trop vite, on menace la plante. L’esprit de 68 laissait croire que l’on pouvait jouir sans entrave. 50 ans plus tard, on assiste à une misère affective sans limite. D’autres diraient du glyphosate au cœur.