Voici une analyse du chanoine Alban Denis (Institut du Christ-Roi) :
Ils nous avaient promis un monde sans barrière, un univers sans classe, du plaisir sans limite. Ils voulaient refaire le monde, changer d’air, dévoiler la plage sous les pavés. Ils avaient défilé en chantant une lutte qu’ils croyaient finale et proclamé leur désir de tendre leurs mains au genre humain. Ils avaient fustigé la violence policière et vomi le conformisme bourgeois. Ils s’étaient mobilisés pour que la Sorbonne soit rouverte aux étudiants et avaient organisé des comités de réflexion sur les planches de l’Odéon. Les acteurs de Mai 68 ambitionnaient d’offrir des lendemains qui chantent, ils avaient tout gagné : tenu tête aux forces de l’ordre, mis la France dans la rue et obtenu le soutien de l’opinion. Pour des « événements », oui c’était un événement.
Si l’on peut définir l’Histoire comme la somme des tragédies qui auraient pu être évitées, au bout d’un demi-siècle elle est en mesure de livrer ses leçons sur les acteurs de Mai 68. Leçons parfois impitoyables. Souvent pleines d’ironie. Car en fin de compte que reste-t-il de leurs promesses ? Le monde qu’ils avaient souhaité sans barrière réclame aujourd’hui davantage de frontières. Leur rêve d’univers sans classe avait pour modèle Mao Zedong dont ils portaient l’effigie en larges pancartes avant que la vérité historique révèle qu’il est l’homme aux 80 millions de morts, le dictateur le plus sanguinaire de l’Histoire. La jouissance sans entrave année après année se heurte dans nos sociétés modernes à une réalité statistique de suicides et de dépressions inconnue jusqu’alors.
En réalité, ils voulaient davantage défaire le monde ancien qu’en construire un de nouveau. De changer d’air, ils auront préféré tourner en rond dans Paris. En guise de plages, les riverains de la rue Gay-Lussac ou de la place Edmond Rostand assisteront à la transformation de leur quartier en décharge publique. Faute de transcendance, leur lutte était davantage nihiliste que finale. Ils fustigeaient la violence policière mais ils leur lançaient des pavés et des boulons. Ils réclamaient la réouverture de la Sorbonne, ils en feront le théâtre d’une kermesse aux milles utopies. Ils s’enthousiasmaient pour une culture libre et ouverte à tous, la scène de l’Odéon aura été le rendez-vous de tous les délires. Ouvrir leurs mains au genre humain ? Ils avaient choisi plutôt de tendre leur bras avec un poing fermé. Ils vomissaient le conformisme bourgeois, pour finir pire que leurs aînés, à profiter du système confortablement installés sur les plateaux de télévision, les bancs des assemblées, les antennes de radio quand ce n’est pas sur les marches de la croisette.
On nous parle d’une « Révolution joyeuse » comme s’il s’agissait d’étudiants rigolards assoiffés de liberté. 50 ans ont passé depuis le vacarme du mois de Mai, et place faite à la réflexion, on peut sans mentir parler plutôt d’une révolution silencieuse qui aura conservé toute la structure du monde ancien tout en y insufflant une matrice nouvelle. C’est moins voyant. Plus subtil. Le mariage existe toujours, mais il n’est plus nécessairement entre un homme et une femme. La famille reste le cadre de notre existence mais le modèle familial est multiple. Le régime est démocratique mais l’exercice du pouvoir apparaît en de multiples aspects totalitaire… etc.
La libéralisation des mœurs quant à elle n’a pas rendu l’amour conjugal plus solide tandis que les interdits qui nous entourent sont de plus en plus nombreux faute d’avoir poussé droit grâce à des principes fermes en guise de tuteurs. Tous les éducateurs peuvent en témoigner : les interdits mal compris dévoient l’appétit de liberté. Reste que les libertés mal vécues multiplient les interdits. Ils avaient écrit sur les murs « Il est interdit d’interdire ». L’héritage de Mai 68 interroge : sans aucune référence au Décalogue, l’autorité qui commande finit inévitablement par perdre sa crédibilité et son efficacité. Au risque d’une hyper législation.
Plus qu’un Mai 68, c’est le printemps pour nos âmes que l’enseignement constant de l’Eglise nous promet. Nous libérer certes. Mais en commençant par nous faire disciples. A l’école des commandements et de l’Evangile du Christ, il n’est plus question « d’être réaliste et de demander l’impossible » mais d’être convaincu que la Foi transporte les montagnes et qu’à Dieu rien n’est impossible.
La nuance est de taille.