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Manifeste de Notre-Dame de Chrétienté : la liturgie au pèlerinage

Manifeste de Notre-Dame de Chrétienté : la liturgie au pèlerinage

Suite à la polémique à propos de l’usage liturgique du Vetus Ordo (ou liturgie tridentine) au pèlerinage de Chrétienté, l’association publie une longue déclaration, reprise dans le JDD. En voici un extrait :

[…] Une certaine simplification médiatique laisse à croire que toute la question se résumerait à autoriser ou non certains prêtres à célébrer le Novus Ordo pour leurs messes personnelles au pèlerinage. Mais en fait, ce n’est pas d’abord de cela dont il s’agit. Les courriers reçus par l’association sont très clairs : il nous est demandé de transformer en profondeur l’esprit de notre pèlerinage traditionnel, en faisant du Novus Ordo la norme, et du Vetus Ordo l’exception tolérée, soumise à l’autorisation de l’évêque du lieu ou du dicastère pour le culte divin. Or, c’est cette même mutation qui est exigée depuis quatre ans à toute notre famille spirituelle que l’on désigne (assez mal d’ailleurs) par le mot de « traditionalistes ». Car il faut replacer cette récente polémique, qui peut sembler anecdotique pour beaucoup, dans la perspective d’autres évènements que nous avons refusé de médiatiser pour ne pas durcir le dialogue que nous espérons avoir avec les autorités hiérarchiques. Cette année, pour le pèlerinage de Chartres comme pour de nombreux pèlerins venus de toutes nos provinces, des restrictions à l’usage de la liturgie tridentine se multiplient pour endiguer l’élan formidable des apostolats qui veulent œuvrer au service de l’évangélisation missionnaire des régions de France. L’accès à certains sacrements selon l’ancien rituel est limité voire interdit dans une partie des diocèses. Bien sûr, la portée de ces restrictions varie, selon la bienveillance de l’évêque du lieu, preuve en est qu’une lecture tolérante de Traditionis Custodes est possible. Mais dans certains diocèses pleuvent les décrets et les interdits, selon une application ultrarestrictive du Motu Proprio, avec une froideur juridico-canonique bien éloignée du « soin pastoral et spirituel des fidèles » qu’évoque ce même texte (art 3, § 4). Ce que l’on nous dit aujourd’hui en fait, c’est que la liturgie tridentine, en son unité rituelle, sacramentelle et spirituelle est un mal, une anomalie, dont il faut que l’Église guérisse et se purifie.

« Vous ne pouvez pas être dans la communion de l’Église, si vous n’adoptez pas le Novus Ordo, partiellement ou totalement. Dura lex, sed lex. Rentrez dans le rang : l’Église a parlé, obéissez. » Mais nous avons souvenir, quant à nous, d’une autre parole, certaine, de l’Église, qui plus est une promesse, dans laquelle notre famille spirituelle a mis toute sa confiance. En 1988, alors que Mgr Lefebvre sacrait quatre évêques contre l’avis de Rome, les laïcs organisateurs du pèlerinage de Chrétienté ont pris la décision profondément douloureuse de s’écarter de cette voie pour rester unis de façon visible au Saint-Siège. C’est au nom de l’unité de l’Église, qu’on nous accuse aujourd’hui de mettre à mal, que ces laïcs et ces prêtres, profondément attachés aux pédagogies traditionnelles de la foi, se sont tournés vers le saint pape Jean-Paul II. Ce jour-là, le Saint Père leur a dit que leur attachement était « légitime » ; il a évoqué la beauté et la richesse de ce trésor de l’Église ; et pour faire honneur à cette démarche filiale, il a fait la promesse de garantir et de protéger, de manière large et généreuse, les aspirations des fidèles attachés aux formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine, sans aucune contrepartie d’ordre liturgique, sinon de reconnaître le Concile Vatican II et la validité du Novus ordo. L’Église catholique, prenant en considération les personnes, et leur histoire, nous a dit que nous sommes en communion avec l’Église en faisant le choix de la liturgie tridentine comme chemin véritable de sanctification. Nous ne pouvons douter de cette parole, dont la valeur demeure car elle dépasse les douloureuses contingences historiques de 1988.

Aujourd’hui encore, malgré les vexations multiples, notre famille spirituelle conserve une paisible espérance dans cette parole de l’Église, de qui elle a appris qu’en justice naturelle, pacta sunt servanda (la parole donnée doit être tenue). On nous dit que nous avons rompu le pacte, en durcissant nos positions, en refusant les mains tendues. Mais depuis 1988, nous n’avons rien changé de ce délicat équilibre entre fidélité envers le Siège de Pierre et attachement aux pédagogies traditionnelles de la Foi.

On a peu approfondi en quoi consistait cet « attachement » aux pédagogies traditionnelles de la foi. Certains le minimisent, le réduisant à une sensibilité, à une catégorie politique, à une nostalgie craintive ou une peur de la modernité qui passera avec le temps et la génération suivante. D’autres l’exagèrent, nous reprochant de faire de la liturgie une fin en soi, ou de l’instrumentaliser telle une arme au service d’un combat. Nous savons bien pourtant, nous pèlerins, que la fin c’est le Ciel, qu’il ne faut pas confondre le but d’avec la route qui y conduit, et qu’il y a plusieurs chemins qui mènent au Sanctuaire de tout repos. Mais nous croyons en l’importance des médiations dans l’ordre du Salut, en la valeur intrinsèque de celles-ci. Nous croyons en la liberté des enfants de Dieu pour user, selon leurs besoins et leur prudence, des richesses que l’Église leur propose depuis 2000 ans. Or, pour notre famille spirituelle, la liturgie traditionnelle est purement et simplement le milieu surnaturel de notre rencontre avec le Christ. Ses mots, ses sacrements, sa messe, ses offices, sa catéchèse ont été pour beaucoup d’entre nous la matière première de notre foi, le vecteur de la grâce, l’expression instinctive de notre relation à Dieu : en un mot, notre langue maternelle pour parler au Seigneur, mais aussi pour l’entendre. Pour d’autres, ces harmoniques ont été la cause, seconde mais providentielle, d’une conversion, ou d’un renouvellement radical de la foi. Pour beaucoup de prêtres, cette liturgie est devenue “viscérale”, au sens biblique, pénétrant de façon totalisante chaque fibre de leur être sacerdotal. Il n’est pas question-là de vague sentimentalité esthétique, mais de vie, de respiration, d’expression incarnée de la foi. Qui croit que le christianisme est une religion de l’Incarnation comprend que ces médiations ne sont nullement accidentelles, accessoires ou interchangeables à coup de décrets et d’interdits.

Le pèlerinage est un lieu, dans l’Église, où des laïcs et des prêtres viennent pour faire l’expérience de cette respiration et de ce langage particuliers dans l’Église. Il n’est d’ailleurs pas que cela : il est aussi une occasion formidable pour 19000 pèlerins de proposer à nos contemporains un témoignage lumineux de la beauté de la foi catholique, de ferveur spirituelle, à travers ses processions, ses adorations, ses confessions, ses messes. Il est aussi un lieu d’amitié chrétienne internationale, de vie de chapitres, de retrouvailles, de dépouillement, de pénitence joyeuse. Il est enfin ce lieu de l’expérience d’une chrétienté, les pèlerins partageant la conviction qu’il est urgent de promouvoir la royauté sociale de Notre Seigneur sur les sociétés temporelles. Il est tout cela à la fois, dans une harmonie qui n’est pas une fin en soi, mais qui n’est en aucun cas secondaire à nos yeux lorsque l’on considère les fruits spirituels qu’elle porte. Certes, on nous le rappelle avec force, les laïcs n’ont pas d’autorité en matière de liturgie. Mais ils demeurent libres en droit de fonder des associations, d’y inviter qui ils souhaitent, et de choisir de valoriser certains thèmes comme moyens privilégiés de mettre en œuvre la finalité de tout apostolat laïc : « le renouvellement chrétien de l’ordre temporel » (Apostolicam actuosem, 7). Nous citons à dessein ce texte de Vatican II qui reconnaît une juste autonomie de l’apostolat des laïcs et de ses choix d’actions, le protégeant du danger toujours menaçant d’un dangereux cléricalisme. Nous ne trompons personne ; nous n’avons jamais masqué nos spécificités ; et nous savons que ces thèmes sont loin d’être partagés par tous les chrétiens. Mais le pèlerinage de Chartres ne convient pas à tous les chrétiens ! Nous n’avons jamais eu l’audace de nous considérer comme apportant une réponse universelle qui parle à tout le peuple de Dieu. Nous sommes nous-mêmes surpris par l’attractivité de cette œuvre, pourtant si spéciale à de multiples égards. Et fort heureusement, il existe d’autres œuvres dans l’Église, qui valorisent d’autres expressions de la foi, utilisant des moyens qui leurs sont propres et qui ne sont pas les nôtres, mais qui apportent une complémentarité, avec un dynamisme missionnaire ou un élan caritatif qui peut forcer l’admiration. Nous entretenons d’ailleurs avec certaines d’entre elles d’excellentes relations de collaboration, et jamais il n’a été exigé entre nous que, pour travailler ensemble, il fallait être tous pareil et diluer nos particularismes. Car le mystère du Verbe Incarné est trop riche pour être dit en un seul langage ; et, pour reprendre les propos pertinents d’un théologien qui n’appartient certainement pas à notre famille d’esprit, « il n’y a rien de plus contraire à la véritable unité chrétienne que la recherche de l’unification. Celle-ci consiste toujours à vouloir rendre universelle une forme particulière, à enfermer la vie dans une de ses expressions. »

Cette expression particulière de la foi dont nous faisons l’expérience à Chartres est aujourd’hui à nouveau menacée. Aujourd’hui une partie du peuple chrétien suffoque, parce qu’on cherche à entraver la respiration de son âme par une sorte de violation de sa conscience. On sait pourtant les dégâts qui peuvent se produire dans une âme, lorsqu’on veut la priver autoritairement de la médiation connaturelle et sensible à travers laquelle elle a appris à toucher le Dieu invisible : c’est ce qui s’est passé en 1969 par exemple. Rien n’est plus violent, spirituellement, que de s’entendre dire que notre « langue » ne pourra plus désormais être parlée que de façon exceptionnelle au cœur même du pèlerinage de Chartres. Ou de sentir, comme plusieurs nous l’ont affirmé directement, qu’elle est suspecte d’hérésie, que ses sacrements seraient de fait invalides, que la célébration de cette messe devrait être interdite. Car tout cela nous a été dit. En revanche, rarement est reconnue la valeur intrinsèque de la liturgie traditionnelle, et les bienfaits positifs qu’apportent ces pédagogies aux pèlerins l’espace de trois jours. Notre spécificité est masquée, voire niée, considérée comme anecdotique ou accessoire à l’esprit du pèlerinage ou à son succès ; elle serait la fixette d’une vieille génération qui n’est aucunement partagée par la jeune selon le slogan mainte fois entendu : « Les jeunes ne viennent pas pour cela ». Toujours est-il que c’est « cela » que nous proposons pendant trois jours depuis 43 ans, et que nous n’inscrivons personne de force. Nous entendre dire qu’une messe selon le Vetus Ordo peut aisément être remplacée par une messe selon le Novus Ordo en latin, ad orientem, avec de l’encens et du grégorien : cela témoigne douloureusement du peu de considération qui est fait du lien vital et spirituel qui lie harmonieusement les pédagogies traditionnelles de la foi. On nous dit que le pèlerinage sera enfin pleinement « d’Église » lorsqu’il s’ouvrira au Novus Ordo. Nous recevons cela avec la même violence que lorsque l’on dit à une minorité qu’elle sera enfin acceptée par la majorité lorsqu’elle renoncera à sa culture, lorsqu’elle diluera sa richesse pour se fondre dans la masse. Ce que la société civile est parvenue à faire pour protéger l’identité des minorités au nom de la justice naturelle et du respect des personnes et des cultures, nous avons la certitude que l’Église peut aussi y parvenir sans ruiner son unité.

Contrairement à ce qui a été écrit, nous ne posons pas d’interdits liturgiques au pèlerinage : nous en subissons nous-même suffisamment. Mais nous souhaitons que le pèlerinage continue d’être un lieu ou la liturgie traditionnelle est aimée et mise en avant, notamment par les cadres, et donc par les prêtres. Cette année encore, plusieurs prêtres nous disent qu’ils sont heureux d’apprendre cette liturgie pour venir au pèlerinage. Nous avons un contact direct avec chacun en amont de leur inscription, et nous leur demandons deux choses : de se mettre au service de tous les pèlerins et non de leurs propres fidèles, pour être tout à tous et pour qu’aucun chapitre ne manque du ministère de la confession, et de valoriser auprès des pèlerins le thème de la chrétienté et la liturgie tridentine. Nous leur demandons de jouer le jeu de l’esprit propre à ces trois journées d’amour et de mise en avant de ces trésors spirituels, et non pas d’essayer de changer le pèlerinage. Nous distinguons bien entre ceux qui ne veulent pas partager ces fondamentaux et ne manifestent pas d’intérêt pour eux – ceux-là ne viennent pas d’eux-mêmes – et ceux qui apprécient sincèrement le pèlerinage et ses piliers mais ne peuvent pas encore célébrer la forme tridentine, soit par manque de temps pour l’apprendre, soit parce qu’ils sont interdits de la célébrer. Pour eux, aussi rares soient-ils, nous avons toujours essayé de trouver des solutions pour exercer l’hospitalité liturgique et leur permettre de venir.

Pour poser des bases saines au dialogue que nous appelons de nos vœux, il faut encore dire ceci. Si nous sommes attachés aux pédagogies traditionnelles de la foi dans leur intégralité, ce n’est pas uniquement parce que nous avons pour elles un attachement viscéral ; mais c’est aussi parce nous constatons que l’Église traverse depuis trop longtemps une crise majeure, une crise doctrinale et liturgique. Il y a là une difficulté dont nous sommes conscients : l’existence des communautés traditionnelles apparaît à certains comme un « reproche vivant » vis-à-vis d’autres méthodes pastorales et liturgiques dans lesquelles on voudrait, de force, nous diluer. Précisons donc les choses. Oui, nous recevons intégralement le Concile Vatican II et le magistère récent de l’Église, nous l’étudions dans nos livrets de formations, nous l’interprétons, selon le vœu de Benoît XVI, à la lumière de la Tradition, rejetant les interprétations erronées que l’on peut faire de certains passages ambigus du texte conciliaire4 . Nous ne sommes pas de ceux qui souhaitent établir une rupture entre « Église préconciliaire » et « Église postconciliaire ». Nous croyons en la Tradition vivante (que nous ne confondons aucunement avec les traditions humaines), au développement organique du dogme, mais nous savons que l’Église ne peut modifier, au nom du progrès ou de l’adaptation au monde, la doctrine du Jésus sur les points aussi essentiels que la théologie de la messe, la doctrine du sacerdoce, l’indissolubilité du mariage ou la morale catholique. Nous sommes profondément inquiets de voir que le relativisme doctrinal et le progressisme moral continuent de prospérer en de nombreux lieux de l’Eglise aujourd’hui encore. Nombre de nos pèlerins, même dans la très jeune génération, reconnaissent n’avoir rien reçu en formation doctrinale, se considèrent comme des générations sacrifiées, ont l’impression qu’on leur a caché le contenu de leur foi, et viennent trouver au pèlerinage des réponses claires. Le « kaïros » que nous vivons demande que nous ayons le courage de poser un constat lucide sur cette crise de la transmission de la foi qui continue aujourd’hui, et de réfléchir ensemble sur les moyens à mettre en œuvre pour en sortir, car l’unité de l’Église est d’abord une unité dans la foi. […]

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