Travaillant sur les méthodes d’apprentissage de la lecture, Elisabeth Nuyts, logothérapeute, a développé des exercices qui obligent ses élèves à parler, à se parler, à analyser ce qui les entoure. Elle explique dans Monde et Vie :
"La parole intériorisée n’est pas innée. Dans la petite enfance, elle passe par le questionnement. Autrefois les enfants intériorisaient la voix de l’adulte qui s’occupait d’eux, puis, petit à petit, leur propre voix, leur propre raisonnement. Mais cela se faisait à la condition qu’ils aient pu poser beaucoup de questions et qu’on leur ait répondu ; qu’ils aient beaucoup joué en parlant tout seuls, en faisant des jeux de rôle tout seuls, sans qu’ils leur soient imposés.
Actuellement, avec la poussette tournée à l’envers, sans interaction avec la maman, avec la sucette posée dans la bouche qui empêche la langue de prendre l’habitude de refaire les sonorités entendue, et les comptines de « fermeture » – comme La comptine du silence qui fait que l’on impose à l’enfant de fermer sa bouche à clef et de « jeter la clef » – quelquefois dès la crèche et sinon en maternelle, la pensée langagière est empêchée de se mettre en place. Si au moment où ils apprennent à lire, ils n’apprennent pas à poser des questions, à analyser un texte finement, ils ne « monteront » pas cette pensée langagière. Je reçois de plus en plus d’enfants et même d’adultes qui sont dans ce cas. C’est catastrophique dans tous les domaines, et notamment dans le domaine de la relation à Dieu. Comment voulez-vous prier si vous ne pensez pas avec des mots? Les images ne suffisent pas, on ne peut pas les approfondir sans parler. Nous recevons de plus en plus de religieux ou de gens qui ont été dans des communautés religieuses, qui ont déprimé, voir « éclaté » parce qu’on leur imposait le silence… alors que, dans leur tête, il y avait aussi le silence. Après cela c’est facile de dire que la foi se perd !
Au Forum économique de Davos qui réunit les grands de ce monde, les sessions ont commencé par une séance de méditation : une méditation où on vide la tête et on arrive à une forme de détachement total sans mots, sans parole. Cela fait furieusement penser aux religions orientales. On est en train de transformer le cerveau occidental par le biais de cette méditation qui fait le vide. Quand on analyse les philosophies orientales, on s’aperçoit que leur but est de se fondre dans le grand tout, et donc de se vider du « je ». Il est facile d’empêcher un enfant d’apprendre à avoir conscience de son « je ». L’adulte, s’il ne parle plus de ce qu’il voit, de ce qu’il entend, de ce qu’il vit, ne va plus pouvoir penser personnellement, il va être rempli du monde extérieur en faisant le vide de soi. Ne subsiste que le présent: le présent de celui qui lui parle, sans possibilité de penser ni de s’exprimer par soi-même. […]"