L'évêque de Bayonne propose, dans Famille chrétienne, d’emprunter une troisième voie, inscrite au cœur de l'homme, où la loi est d’abord un chemin de croissance.
"Que faut-il penser du Synode ?
"Permettez-moi de commencer par un bémol. Un rapport du Synode, au lieu d’être un instrument interne pour guider la réflexion des groupes de travail, a été inopportunément publié à mi-parcours. Ses formules, même si elles pouvaient être généreuses, étaient hasardeuses et pleines d’ambiguïtés. Elles ont logiquement prêté le flanc à un embrasement des médias qui ont cru que l’Église admettrait les couples homosexuels et l’accès aux sacrements pour les divorcés remariés. (…) Il valait mieux ne rien publier du tout et attendre la fin du synode, c’est de l’amateurisme. Cela dit, le pape a fait état des discussions animées qui ont traversé l’assemblée synodale, en précisant qu’elles sont saines, ce qui prouve que la parole a été libre et constructive."
Malgré cette erreur de communication, le bilan du Synode est-il positif ou négatif ?
"J’ai été déçu de ne pas retrouver l’immense trésor de l’enseignement de Jean-Paul II sur la famille. Même s’il est cité dans le rapport final, on n’a pas l’impression que la théologie du corps, fruit d’une puissance intellectuelle et d’une expérience pastorale extraordinaires, soit mise à la disposition des familles.
C’est dommage, car cette théologie, redécouverte aujourd’hui par des jeunes couples qui ne viennent pas forcément du « sérail », offre une aide puissante pour les relations interpersonnelles, le langage du corps, le lien intime, source de bonheur entre relation sexuelle et ouverture à la vie, l’amour conjugal et la procréation."
Qu’avez-vous pensé du discours final du pape qui a fustigé les « traditionalistes » comme les « progressistes » ?
"Cette opposition dialectique dans laquelle le monde nous enferme fonctionne comme un piège. On n’a pas l’impression qu’on puisse sortir de cette opposition entre la doctrine et la pastorale. Entre ce qui relève de la vérité et ce qui relève de la miséricorde. C’est un peu comme si on ne pouvait sortir de cette opposition entre loi et liberté que par une négociation qui aboutirait à « un accord sur le désaccord » – pour reprendre la formule du pape adressée aux évêques d’Asie.
Certes, le chemin de crête reste difficile à trouver, mais il manque une troisième voie. Elle est cependant magistralement explicitée par Jean-Paul II dans Veritatis splendor, et a servi de lumière à Familiaris consortio, Evangelium vitae et même au Catéchisme de l’Église catholique dans sa partie morale. En effet, il dit que la vérité sur le mariage, l’amour conjugal et la famille, n’est pas d’abord une norme extérieure qui s’impose à la liberté de l’homme comme un fardeau lourd à porter, et insérée dans une culture du péché. Au contraire, elle est inscrite dans le cœur de l’homme, comme un sens inné du beau, du bien et du vrai.
La vérité morale qui resplendit dans le Verbe incarné n’est pas seulement une idée, un idéal à atteindre, elle est déjà présente dans l’intention. L’homme a besoin de principes pour éclairer son agir, et cette voie rejoint beaucoup mieux qu’on ne le pense les réalités concrètes du terrain. C’est une miséricorde qui ne méprise pas la capacité de tout homme à la perfection, même s’il vit des situations difficiles et qui présente la loi comme un chemin de croissance."
Comment peut-elle s’appliquer aux personnes qui sont aux périphéries de l’Église ?
"Tout l’art de l’accompagnement d’Evangelii gaudium, l’exhortation du pape François, consiste à aider toutes les personnes, quelles que soient les situations qu’elles vivent, à retrouver ce désir de perfection qui se cache au fond de leur conscience parfois étouffée par le péché, les passions, le milieu ambiant. L’accompagnement demande temps, patience, douceur et compassion, mais il aide la personne à trouver en elle-même les ressorts de son agir.
À la source de sa liberté, il y a ce sens inné du bien et du mal. Cette liberté n’est pas indifférence au bien et au mal. Cette conception de la liberté a engendré deux morales, la morale de l’obligation qui s’impose de manière extérieure à l’homme – et qui ne correspond plus à la requête d’autonomie de l’homme moderne –, et la morale de la conscience où chacun décide par soi-même. Jean-Paul II disait qu’entre ces deux morales, la morale chrétienne est une morale de la « théonomie participée », c’est-à-dire que la raison de l’homme a le pouvoir de déchiffrer et de formuler la loi de Dieu."
Les familles vont-elles profiter quand même du Synode ?
"Un des aspects positifs est que l’encyclique Humanae vitae, tant décriée, est ressaisie par l’ensemble du synode. Ce texte était prophétique, une vraie lumière pour l’ouverture à la vie. Dans le rapport final du synode, le témoignage des couples et des familles qui, sans être des élites, vivent le sacrement de mariage, est mis en valeur.
Finalement, il rejoint les aspirations qui sont dans le cœur de tout homme et peuvent répondre aux couples et aux familles qui ne savent pas comment agir. L’accent est mis également sur l’importance de la préparation au mariage, le témoignage de ceux qui vivent de la grâce de Dieu par la prière, la vie sacramentelle et des décisions pratiques de leur vie. Cela souligne l’importance du témoignage des personnes séparées qui demeurent fidèles, même si le rapport n’en parle pas assez."
Quelles suites aura le synode en France ? Les évêques vont-ils parler d’une seule voix ?
"Les conférences épiscopales et les diocèses vont être consultés avant la convocation de la seconde assemblée en octobre 2015, à Rome. Il y aura un débat entre nous, ce qui est positif à partir du moment où nos affirmations sont fondées.
Nous devons simplement veiller à rester fidèle à l’enseignement de l’Église, ne rien dire qui mette en discussion le mariage indissoluble fidèle, ouvert à la vie. Mais nous en saurons plus lors de la prochaine session plénière le 4 novembre à Lourdes, avec le retour de Mgr Pontier et du cardinal André Vingt-Trois qui ont participé au Synode."