Le cardinal Barbarin, qui revient sur son récent voyage en Irak dans Figaro Vox, célèbrera la messe ce soir à Notre-Dame des Sans-Abris :
"(…) En repensant à ces visites, ces rencontres, ces visages, je crois en effet que nous sommes venus à eux, comme des étrangers pour visiter une crèche, des crèches, des centaines de crèches.
Comme des mages venus d'Occident, nous voulions leur apporter l'encens de notre prière, non pas seulement une prière pour eux, mais une prière à vivre avec eux.
Nous voulions apporter l'or de l'entraide, cet argent qui contribue au relogement (…).
Mais nous ne voulions pas leur apporter la myrrhe, cet aromate qui embaume les corps morts comme une promesse d'éternité, parce que justement nous croyons qu'ils doivent pouvoir rester, vivants, chez eux. Nous avons tous quelque chose à faire pour que «les roseaux de Dieu, qui plient mais ne rompent pas» comme l'a dit le Pape, ne soient pas déracinés.
En fait de cadeaux, nous nous sommes trouvés démunis, désarmés devant le sourire et les larmes du peuple irakien, fragile comme un nouveau-né, merveilleux et inconsolable. Nous croyions lui apporter quelque chose, mais cet enfant qui était là nous révélait notre suffisance, notre manque de foi et l'état de notre société…
Car tandis qu'on se querelle ici sur la présence de quelques crèches dans l'espace public, on ne s'indigne pas beaucoup de ces milliers de crèches vivantes, non seulement en Irak, mais aussi en Syrie, et chez nous… en France. Bien sûr, il ne s'agit pas de grotte ou d'étable, mais de voitures ou de cartons sur nos places, dans nos rues, dans des espaces publics qui restent pourtant souvent à l'abri de nos regards. Des hommes et des femmes dorment dehors, naissent dehors, et meurent dehors. Et la voix de l'abbé Pierre nous manque terriblement pour nous réveiller.
Mgr Louis-Raphaël Sako, patriarche des chaldéens de Babylone, a parlé de notre pèlerinage comme d'une visite au corps souffrant du Christ: «J'étais nu, malade, sans abri… et vous m'avez visité.» Je m'incline religieusement devant l'enfant de la crèche, à côté du sapin, des cadeaux, des bûches… Me prosternerais-je aussi devant l'enfant de la rue? Jésus y est pourtant bien plus présent que dans un morceau de plâtre peint.
N'allez pas croire que je n'aime pas la crèche! Au contraire, il y a dans la géniale invention de François d'Assise comme un condensé de la Révélation: le Verbe s'est fait chair et cette chair est une nourriture… Et voilà, sous nos yeux, Dieu qui atterrit sur terre dans une mangeoire, à Bethléem, la maison du pain.
Certes, la crèche a probablement revêtu aussi une dimension culturelle, mais si elle n'est que culturelle, elle ne m'intéresse guère. La crèche n'est pas un «objet religieux non identifié» ; elle a bel et bien été inventée pour susciter ou conforter un acte de foi en Dieu, l'Éternel qui se fait tout petit au milieu de nous. La présenter au regard de tous s'harmonise très bien avec la loi de 1905 qui a su trouver un bel équilibre dans notre société, elle qui dans son article 28 précise qu'«il est interdit d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit… à l'exception des musées ou expositions.» Cette phrase toute en nuances est à l'image de la loi: claire et souple à la fois… Et une crèche n'est-elle pas par nature une exposition?
Même Jean-Paul Sartre, alors prisonnier, écrit dans un texte resté célèbre: «Vous avez le droit d'exiger qu'on vous montre la Crèche», parce qu'il y a dans cette représentation une dimension qui excède le visible, le fini, l'absurde de notre condition. Avec lui, nous devrions exiger d'ouvrir les yeux sur les crèches vivantes qui sont la honte de notre monde.(…)"