Un article d’Antoine Bordier pour Le Salon beige :
Il a été nommé par le Pape Jean-Paul II évêque de Fréjus-Toulon, le 16 mai 2000, avant d’être ordonné le 17 septembre à La Castille. Au sein de la Conférence des Evêques de France, il fait partie de ceux qui ont le plus d’expériences. Aimé, critiqué, ses proches disent que c’est un homme « libre », profondément « chaleureux et humain ». Pour tracer son portrait, nous sommes allés à la rencontre de cet évêque, qui a su faire le grand-écart entre le monde moderne, les mouvements charismatiques, dont il est issu, et l’Eglise traditionnelle. Nous avons, aussi, interrogé quelques-uns de ses proches. Immersion dans les eaux vives de Mgr Dominique Rey.
Sa poignée de main est chaleureuse et franche. Son sourire est large et généreux. Du haut de son 1,83 m, l’adoration et la prière, au fil des années, l’ont un peu voûté. Mais, il a gardé l’allure vive. Il impressionne et met à l’aise à la fois. Il sourit et répond avec beaucoup de sérénité. Il n’a pas de sujet tabou. Il sait parler aux grands de ce monde, comme aux personnes SDF, qu’il croise sur son chemin. Quand il se rend au Brésil, les médias locaux le reconnaissent et l’invitent sur leur plateau, hors-programmation, de façon inopinée. Depuis, quelques années, nous le suivons sur beaucoup de sujets. Les derniers en date : la question de l’Islam et l’avenir de l’Eglise de France confrontée à la chute de ses vocations sacerdotales et à sa déchristianisation. Son parcours est riche et teinté de rencontres, de projets, de réalisations. Récemment, à La Castille, le 19 septembre dernier, il ordonne les derniers prêtres et diacres du diocèse. L’année 2020 l’a comblé :
« Je suis heureux, car avec ces dernières ordinations ce sont, en tout, 9 prêtres et 7 diacres qui sont envoyés vers le peuple de Dieu. En juin, j’avais déjà officié les premières ordinations ».
La Castille, qui se situe à 13 km de Toulon, est un lieu privilégié, propice au bien-être humain et spirituel. On y trouve un château, un séminaire, une chapelle, un oratoire, une hôtellerie, et, un vignoble de près de 200 hectares. Il y fait bon vivre. Les séminaristes s’y épanouissent. Ils sont près de 80. C’est là que Mgr Joseph Madec, son prédécesseur, décédé en 2013 dans sa Bretagne natale, lui a légué les clefs de son diocèse le 17 septembre 2000.
« Mon père s’appelait Joseph »
Joseph, c’est un premier point commun entre les deux hommes. Comme Dominique l’explique :
« Mon père s’appelait Joseph, et, ma mère Marie. Je suis le petit dernier d’une fratrie de 7 enfants. J’ai 2 frères et 4 sœurs. J’ai reçu beaucoup d’affection de la part de mes parents, et, de mes frères et sœurs. Nous avions une vie de famille très modeste. Mon père était typographe, il travaillait comme contremaître dans une imprimerie de saint Etienne. Même si j’avais beaucoup d’écart d’âge avec mes frères et sœurs, nous avons été très heureux. Ce qui m’a beaucoup marqué dans mon enfance, c’est d’avoir vu mes parents prier, et, s’engager ensemble dans l’Eglise. Ils s’aimaient tendrement. Mon père était, en outre, engagé comme visiteur de prison, et, au Secours Catholique. Je me souviens, encore, le voir à genoux, dès l’aube, dans la cuisine, avant d’aller au travail. Il priait son chapelet. Ma mère était très prise par les charges familiales, et, s’investissait, malgré tout, dans la vie paroissiale. »
Dominique est né le 21 septembre 1952, à saint Etienne. Dans les années 50, cette ville est en pleine croissance.
« Saint Etienne, explique-t-il, est une ville industrielle marquée par l’activité d’exploitation du charbon, la manufacture d’armes et le textile. J’y ai fait toutes mes études. Puis, je suis allé à Lyon, où j’ai obtenu une maîtrise en économie. Ensuite, j’ai poursuivi jusqu’au doctorat à Clermont-Ferrand. »
Pendant son enfance, le jeune Dominique, s’investit, aussi, dans sa paroisse de Notre-Dame de Lourdes. Il pratique le scoutisme et participe aux activités du patronage de saint Joseph. Pudique, il parle peu de sa vocation. D’ailleurs, à l’époque, il n’y pense pas encore.
Des pères de famille viennent se confient à saint Joseph, lors du pèlerinage à Cotignac, le 5 juillet 2020
Les prémices de sa vocation : au Tchad !
A la fin de ses études en Economie, il part faire son service militaire. Il choisit de le faire en tant que vsn, volontaire du service national, à N’Djamena, la capitale. Là, une rencontre le marque à tout jamais : celle d’un pasteur évangélique.
« C’est la première fois que je quittais mon pays pour me rendre dans un pays que je ne connaissais pas. C’était fantastique. J’ai rencontré le pasteur Giraud, qui m’a touché par son zèle apostolique. Il m’a donné un nouveau regard sur la manière de vivre ma foi catholique. Je suis rentré à la fin de l’année 1977 à Paris, où je rencontre pour la première fois la Communauté de l’Emmanuel. »
C’est dans cette communauté qu’il reçoit l’appel à tout quitter, à suivre le Christ et à devenir prêtre. Cette communauté le fascine et le réjouit en même temps :
« J’ai compris que c’est là où Dieu m’appelait. Parce que j’y retrouvais l’esprit missionnaire, la vie fraternelle, et, l’attachement profond à l’Eglise catholique. C’était, en plus, une jeune communauté, remplit d’enthousiasme et de nouveautés apostoliques. Puis, j’ai quitté mon travail au Ministère des Finances, et, avec d’autres jeunes nous avons ouvert la branche sacerdotale de la communauté. »
La communauté est accueillie à Paris au sein du couvent Dominicain, au 222, rue du Faubourg Saint-Honoré.
« Doux et humble de cœur »
Au cours de ses années de formation, le désir de se consacrer totalement au Seigneur se fait de plus en plus fort. Rentré à l’âge de 28 ans, après une brève carrière à la Direction Générale des Impôts, Dominique est ordonné prêtre à Notre-Dame de Paris, par le cardinal Jean-Marie Lustiger, le 23 juin 1984. Il devient aumônier du lycée Stanislas de Paris, puis, vicaire à Sainte-Marie-des-Batignolles. Entre 1986 et 1988, il est supérieur des chapelains de Paray-le-Monial. De 1988 à 1995, il est prêtre-accompagnateur des séminaristes et des prêtres de l’Emmanuel. Il retrouve Paris en 1995, et devient curé de la paroisse de la Sainte-Trinité de 1995 à 2000. En 2000, il quitte, définitivement, Paris pour Toulon où il est nommé. C’est le cardinal Jean-Marie Lustiger qui le consacre. Sa devise, qui le définit bien également : « Doux et humble de cœur ». Parmi ses nombreux amis et proches, il y a, d’abord, des convertis. Des hommes et des femmes qui ont changé de vie en l’écoutant, en se laissant toucher par sa prière.
« Grâce à lui, j’ai retrouvé la foi »
Dominique Le Romain en fait partie. Elle s’est convertie, quand il était curé de la Sainte-Trinité à Paris. Elle témoigne :
« Il m’a impressionné lors de notre première rencontre. Dominique est un motard et cela m’a touché qu’il puisse à la fois être sur 2 roues, rouler à vive allure, et prendre le temps de vous écouter. Grâce à lui, j’ai rencontré le Seigneur. Si j’avais à le définir, je dirais qu’il est à la fois secret et public. C’est un grand frère. Il a une grande capacité d’écoute et d’empathie. Il vous regarde comme s’il vous connaissait depuis toujours. Il est humble et très spirituel. Et, c’est aussi un grand poète. »
Poète, le mot reviendra sans cesse dans la bouche de ses proches. Comme Hélène de Laage qui vit entre Paris et Toulon. A plus de 90 ans, elle parle de lui en gardant le souvenir intact de sa fidélité priante et sacramentelle au chevet de son mari malade. Elle l’a connu à Paray-le-Monial, lors du lancement du festival Magnificat dans les années 80. Puis, elle le retrouve quelques années plus tard, à la Sainte-Trinité, par l’intermédiaire de son fils Hilaire et de sa belle-fille Claire, engagés auprès de Dominique Rey, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse en 1997, à Paris. Elle reste, aujourd’hui, « fascinée par lui, par son énergie ». Ce qu’elle aime chez lui, c’est « sa grande bienveillance. C’est aussi un poète, et, il a une vraie sensibilité artistique. Il aime beaucoup les jeunes. Il les comprend et c’est réciproque. » C’est ce que pense aussi Michael Lonsdale, le célèbre comédien, oscarisé en 2011 pour le film Des hommes et des dieux :
« Dominique est un ami toujours fidèle dans les bons et dans les mauvais moments de la vie. Il aime les artistes. Il a lancé des groupes de prières sur Paris. C’est comme cela que je l’ai connu. Il venait prier au milieu d’artistes que je réunissais chez moi à Paris ».
Michael n’en dira pas plus. Il est très fatigué. A l’approche de ses 90 ans (en 2021), il semble s’éteindre petit-à-petit. Dominique et lui se connaissent depuis une trentaine d’années. Ensemble, ils ont vécu de nombreux évènements artistiques, à Paray-le-Monial, à Lérins et à Toulon, notamment.
Hélène de Laage, Jean-Philippe Taslé d’Héliand, Claire de Laage et Agnès de Joigny
Un curé « sexy » ?
Revenons à Claire et Hilaire de Laage, qui ont « connu Dominique juste après les JMJ de Paris, en 1997. Les JMJ ont marqué fortement notre vie et nos relations. Nous y avons vu de grandes grâces et quelques conversions. Nous aimons Dominique parce qu’il donne gratuitement, continuellement. C’est un don de Dieu ». Aubry, ancien publicitaire, fait partie de ces personnes qui se sont convertis à ce moment-là
« Je l’ai rencontré au moment des JMJ, parce que la paroisse de La Trinité avait une problématique de communication. A l’invitation de Claire et d’Hilaire, je me retrouve à la paroisse pour les aider sur le sujet. Lors de cette soirée, j’étais à contre-courant de tous ces catholiques pratiquants que je trouvais vieux-jeux. Pour moi, Dominique n’était pas un curé sexy. J’avais des aprioris sur lui. Je le rencontre finalement. Nous avons un échange qui m’a mis sur le chemin de la conversion. Je lui présente un texte que j’avais écrit : 1000 raisons pour ne pas venir aux JMJ. Et, là au lieu de mal le prendre, il me challenge, devient encore plus iconoclaste que moi. C’est à ce moment que commence notre amitié et ma conversion. »
Aubry se lance à fond avec Dominique Rey, et, d’autres amis dans de nouveaux projets, comme les soirées Espérances, le groupe de prières Ephphata.
Le globe-trotter de Dieu
Paris-Toulon c’est près de 1000 kms. Ses amis l’y rejoignent, le suivent et l’encouragent. Ensemble, ils organisent des pèlerinages. Ils participent à des missions d’évangélisation. Dominique ne s’enferme pas dans son évêché. Ses amis sont unanimes sur un point : « Mgr Rey est un homme libre, profond, et, en mouvement ! » Jean de Puybaudet et Jean-Philippe Taslé d’Héliand le répètent chacun à leur façon :
« Dominique est un homme qui a une grâce particulière pour communiquer sa joie de vivre. Il est heureux. Quand je suis parti avec lui à Tamanrasset, au Brésil, en Ukraine, en Russie, en Thaïlande ou au Canada, je l’ai vu se pencher sur la misère humaine. C’est un homme très profond, animé par la compassion. Sa capacité à trouver Dieu chez les pauvres m’a beaucoup apporté. Il nous relie ensemble, à Dieu. »
Jean-Philippe, qui a rencontré le Seigneur grâce à Dominique Rey est aussi parti en voyage avec lui.
« Je lui dois ma conversion. Une amie m’avait invité à La Trinité. Je traînais les pieds. Dominique Rey m’a touché dans son homélie. J’ai eu l’impression qu’il me parlait personnellement. Il m’a dit : « laisse-toi aimer. Laisse-toi guider ». Dominique, c’est l’homme de la reliance. Il est pontife dans le sens où il crée des ponts entre les hommes, et, entre Dieu et les hommes. »
Lui-aussi est allé à Tamanrasset en 1999. Dans les années 2000 avec une trentaine de personnes, ils iront en Jordanie et en Turquie. Puis, Mgr Rey aura un coup de cœur pour les chrétiens d’Orient persécutés. Il s’y rend à plusieurs reprises au péril de sa vie. Il organise, notamment, le jumelage de son diocèse avec celui de Homs. Il accueille des réfugiés dans son diocèse. Il pleure, aujourd’hui, le Liban.
« Une vision prophétique de l’Eglise »
Laurent de Cherisey est connu pour avoir fait le tour du monde avec sa famille, en 2005-2006. Il en a écrit un livre, Passeurs d’Espoir. Il a, aussi, fondé Simon de Cyrène, une fédération d’associations qui anime des communautés où cohabitent des personnes valides et handicapées. Il rencontre Dominique en 1988, et, souhaite entrer au séminaire. Il lui en parle et celui-ci lui répond : « L’Eglise ne recrute pas, elle discerne ». De là, est née une amitié profonde. Au sujet du diocèse de Fréjus-Toulon et du séminaire de La Castille, Laurent répond que :
« Dominique a une vision prophétique de l’Eglise et d’un séminaire diocésain. Il doit rassembler des sensibilités aussi variées que celle des 12 apôtres. Et cela pour apprendre aux séminaristes à s’aimer dans la richesse de leurs différences. »
Benoît Rabourdin est l’un des plus anciens à connaître Dominique. Ce grand-père, start-upper (nouvelle entreprise à forte croissance), le connaît depuis 1980 ! Engagé, avec son épouse, dans la Communauté de l’Emmanuel, Dominique les a mariés. Pour le qualifier, il répète que « Dominique se définit par son audace missionnaire, et, son ouverture internationale légendaire ». C’est ce que pense, également, François Jusot, qui a rencontré Dominique à Pigalle, dans le fameux bistrot du curé. Pour lui, « Dominique, grâce à son audace, à sa créativité, et, à sa sensibilité, évangélise à temps et à contre-temps. Comme saint Paul. Grâce à sa vision prophétique, il représente pour nous laïcs, en ces temps très alarmants, où l’apostasie, le relativisme, les attaques contre la vie, la famille, le mariage, le sacerdoce et l’Eglise semblent triompher et la civilisation de mort l’emporter, une grande espérance. Heureusement, qu’il n’est pas le seul évêque dans ce cas ! » Avant de boucler ce reportage, nous échangeons quelques mots avec Stanislas Péronnet, qui est le responsable de la Marche de Saint Joseph à Paris. Il a rencontré Dominique la première fois, dans le Hoggar, en Algérie, en 2010. Il l’apprécie tout particulièrement parce qu’il sait « lancer sur la route et mettre en marche. On ne compte pas tous ceux qu’il a mis en route sur le chemin du Christ. » Il lui est reconnaissant de lui avoir « fait et donné tant de confiance ».
Laissons les derniers mots à Mgr Dominique Rey, l’auteur qui a écrit une dizaine d’ouvrages :
« L’amitié de Dieu est celle qui manque le plus à la plupart de nos contemporains. Celui qui n’a pas de passion pour la vérité et ne reste pas fidèle à son identité plus profonde, ne sera jamais capable de dialoguer. » Extraits de son ouvrage, Le temps des laïcs, paru en 2017. Le silence a tellement de choses à nous dire dans notre monde bavard et bruyant. Un homme nommé Joseph : méditations à Cotignac, paru en 2018.
Textes et photos réalisés par Antoine BORDIER