Mgr Bernard Fellay publie aux éditions Via Romana un livre d’entretiens qu’il a accordés à Robert Landers, un fidèle laïc venu l’interroger à Menzingen en 2016. Extrait d’un entretien :
« Pour l’amour de l’Eglise » invite à s’interroger sur la place de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X dans l’Eglise. Cette place ne doit-elle pas être à Rome, car Rome est la tête, mais aussi le cœur de l’Eglise ?
Le cœur de l’Eglise, c’est l’Esprit Saint, c’est l’amour de Jésus, et c’est aussi le sacerdoce, si intimement lié à Notre Seigneur et à son Sacré-Cœur. La tête de l’Eglise, c’est le Christ. Ici-bas, le chef visible de l’Eglise est le pape, auquel nous sommes bien sûr soumis, que nous respectons et avons toujours respecté, comme d’ailleurs toutes les autorités légitimes de la hiérarchie ecclésiastique. La place de la Fraternité est au centre, au cœur de l’Eglise. Car le sacerdoce et la sainte messe, intimement liés entre eux, sont le cœur de l’Eglise ; la pompe qui transmet la vie de la grâce dans tout le corps.
En tant que catholiques romains, notre place est aussi à Rome. Mais vous savez que nous traversons une crise terrible, une désorientation vraiment diabolique, qui fait qu’à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité, s’est substituée une Rome nouvelle, née du concile Vatican II, une Rome néo-moderniste et de tendance libérale, à laquelle nous devons résister pour garder la foi.
Cependant, la “question romaine”, comme la dénommait déjà Mgr Lefebvre, repose entre les mains du Supérieur général. C’est lui qui possède les grâces d’état pour réaliser concrètement le développement des relations de la Fraternité avec Rome.
Transmettre la foi semble avoir été la préoccupation majeure de Mgr Lefebvre, mais Vatican II ne fait-il pas partie de la foi ?
La transmission de la foi a très certainement été l’une des préoccupations principales de Mgr Lefebvre, car l’évêque est par sa nature de successeur des Apôtres, voué à l’enseignement de la doctrine. Et Vatican II a bel et bien retenu son attention – non pas tant comme matière d’enseignement, car le Concile a voulu être pastoral et non dogmatique –, mais surtout à cause des erreurs, des glissements dangereux, des adaptations qui ont voulu mettre l’Eglise en harmonie avec le monde ; le résultat est devant nous, dramatique et cruel… au lieu de tirer et d’élever le monde vers le ciel, Vatican II a plongé l’Eglise dans les tourbillons du monde temporel…
Saint Pie X disait que l’ignorance religieuse était la caractéristique de son temps, quelle est selon vous celle d’aujourd’hui ? Et comment s’y opposer sur le plan spirituel ?
Cette ignorance religieuse n’a fait que se développer. Aujourd’hui, il faudrait trouver un mot plus grave encore, mais qui va dans le même sens. Nous sommes entrés dans un désert, un vide abyssal d’ignorance… jusqu’à oublier le Créateur, auteur de ce monde, dont toute créature dépend de manière absolue. Tout autant, le Rédempteur a disparu et par conséquent sa Loi, le véritable amour. L’œuvre du Rédempteur est méconnue, tout comme sa loi d’amour. Notre Seigneur nous a donné, par saint Paul, la solution à ce mal : prêche à temps et à contretemps une doctrine pleine, intègre, emplie de charité et de l’exemple de miséricorde de Jésus.
Comment être prêtre dans notre société post-moderne ?
Dans une société post-moderne qui a perdu à peu près tous ses repères, le prêtre est plus que jamais nécessaire. Mais il faut se souvenir qu’il possède un caractère profondément intemporel. Le prêtre, c’est un autre Jésus, c’est l’ambassadeur de Dieu, qui donne à ses créatures une loi éternelle, valable pour tous les temps, qui offre et répare les péchés des hommes pour qu’ils puissent être sauvés. Plus que tout, le monde actuel a besoin du prêtre.
N’y a-t-il pas à la fois disparition et exagération dans le culte marial aujourd’hui ? Comment trouver l’équilibre ?
Là aussi, dans un monde sans repères, les hommes vont en inventer de nouveaux au gré de leurs sentiments. Ainsi il est vrai que le culte traditionnel à l’égard de Marie a tendance à s’effacer. Il n’y a qu’à voir la valeur donnée au chapelet par les masses… Et la foi pure, exigeante se fait supplanter par une recherche de l’extraordinaire… On pense aux “apparitions” de Medjugorje par exemple, où le message et les voyants présentent des aspects plus que douteux… L’équilibre se rétablit dès lors que la foi retrouve sa place primordiale. Alors la sainte Vierge Marie reçoit elle aussi les hommages et l’amour filial du chrétien, elle exerce son rôle de Mère et exige de ses enfants qu’ils se montrent tels.
Peut-il y avoir encore un règne social à l’heure de la laïcité acceptée par tous, même par l’Eglise ?
Notre Seigneur étant Dieu, a bien affirmé aux Apôtres : “tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la terre” (Mt 28, 18). Cette phrase doit être prise dans sa totale simplicité ; elle rappelle les droits de Jésus sur toute créature, mais aussi sur la société humaine, sur les pays, les gouvernants. Que ces derniers ne veuillent plus le reconnaître n’y change rien. Il est roi dans le sens plénier du terme et ce titre nous est cher. C’est un devoir profond que de travailler à l’établissement de la Royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais rappelons-nous que ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Eglise connaît l’opposition ou la persécution. […]