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Mgr Rey : “la meilleure manière de transformer le monde passe par l’enracinement”

Mgr Rey : “la meilleure manière de transformer le monde passe par l’enracinement”

Famille chrétienne a retranscrit la belle homélie de Mgr Dominique Rey, prononcée lundi de Pentecôte à Chartres, en clôture du 39e pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté :

Chers frères et sœurs,

Nous nous retrouvons en ce lundi de Pentecôte dans un contexte marqué par une crise sanitaire dont nous avons peine à sortir, qui signe la fragilité de notre monde, mobilisé jusqu’alors par l’idéologie du progrès sans fin. Certains parlent même de collapsologie, de signe de fin du temps, de fin du monde.

La question de la mort revient d’actualité dans ce climat anxiogène de psychose virale. Cette peur généralisée de mourir nous fait redécouvrir le caractère sacré de la vie humaine mais laisse transparaître la détresse des âmes, la perte de sens, l’extraordinaire solitude de beaucoup. On est à la fois victime et otage d’une hystérisation médiatique alimentée par les réseaux sociaux lorsqu’on nous matraque par exemple chaque jour le chiffre des morts.

Cet effroi collectif illustre le paradoxe de cette phrase terrible : « les hommes vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu ». La peur de mourir constitue aussi le terreau de toutes les formes de violence, de complotisme, mais aussi d’intrusion de l’état dans la vie privée et dans la liberté religieuse.

Cette crise révèle aussi une désocialisation ; la culture du masque nous habitue à une vie sans visage, sans percevoir l’unicité et la singularité de chacun ; les rues ont été investies par des clones oppressés qui rasent les murs et se réfugient dans l’anonymat et l’indifférence, posture hygiénique de l’immunité qui fait passer la communauté humaine vers son contraire, la distanciation, l’exclusion, l’atomisation, où l’on traite les humains comme des corps en oubliant l’âme, la relation à autrui qui fonde l’humain.

L’isolement conduit beaucoup vers le numérique, à cause en particulier du télétravail. Pour pallier la distance, chacun s’engonce dans le virtuel, parfois jusqu’à l’addiction. Une grand-mère confiait très récemment son désarroi : « la meilleure façon pour mes enfants et mes petits-enfants de me montrer qu’ils m’aiment est de ne pas me toucher ni de venir me voir ». Pour empêcher de mourir, on empêche de vivre.

C’est en faisant tous ces constats tragiques sur le temps que nous vivons, que nous nous rappelons cette définition que faisait Bernanos à propos de l’espérance : « L’espérance, écrivait-il, est un désespoir surmonté ». Oui, paradoxalement, nous chrétiens, sommes convoqués par le Seigneur pour témoigner à l’humanité de l’Espérance. Cette vertu théologale, fille de la Miséricorde, par laquelle Dieu constitue non seulement notre héritage le plus profond, notre présent le plus actuel, mais également notre avenir le plus sûr. Le Christ se trouve devant nous, Il nous précède sur le chemin du ciel par Sa victoire pascale, comme cette cathédrale surgissant de la terre à l’horizon vers laquelle vous avez dirigé vos pas en priant.

Les aléas actuels de l’histoire, les turpitudes et les incertitudes du présent nous convient à un sursaut d’espérance. Les crises comme les maladies sont révélatrices de dysfonctionnements ; elles nous poussent à repenser nos organisations de vie, nos styles de vie, à envisager différemment nos priorités, nos finalités, bref, elles nous pressent de nous convertir. L’histoire nous apprend que l’humanité comme toute croissance personnelle et humaine, avance par crises successives avec les peurs et les remises en cause qu’elles occasionnent. Et celle-ci nous oblige à reconsidérer les fondamentaux qu’on avait oubliés ou pervertis. Chaque crise appelle au dépassement, c’est-à-dire à trouver les ressources physiques, morales, intellectuelles et surtout spirituelles pour vivre un rebond, une résilience. Ainsi, comme Jacob blessé dans son combat avec l’ange et devenu boiteux, nous avançons vers Dieu de chute en chute.

N’oublions jamais que le christianisme surgit de la mort, jaillit d’un tombeau trouvé vide par les disciples. Un tombeau devenu berceau. Notre espérance ne se fonde pas sur des espoirs humains factices, ni sur des projections idéologiques ou technologiques, mais sur un évènement qui s’est produit il y a deux mille ans dans notre histoire, et par lequel Jésus-Christ est entré dans notre temps pour l’ouvrir à son éternité. C’est à partir de nos limites et de la mort qu’il a assumées en sa chair, qu’Il nous projette dans une espérance continuelle, éternelle, qui a sa source en la résurrection et qui nous est répétée à chaque messe. Cette tension de la terre jusqu’au ciel s’exprime architecturalement par l’élancement de cette flèche de cette cathédrale gothique qui traduit dans la pierre notre espérance. Cette flèche est une prière, un cri vers Dieu, auquel Celui-ci répond à chaque célébration du sacrifice eucharistique. Il descend en Sa miséricorde au milieu de nous, en nous, pour nous réunir, nous nourrir de Sa présence sacramentelle afin de nous relever sans cesse de nos affaissements.

Chers pèlerins, votre jeunesse incarne cette espérance dont le monde a besoin, à condition que celle-ci se grève en Dieu et non pas sur des rêves chimériques sans lendemain ou sur des utopies qui se terminent, l’histoire le prouve, dans la cendre et le sang. Espérer contre toute espérance, clame l’Epître aux Romains. Espérer dans la nuit, la nuit du doute, la nuit des sens. Ou encore, comme l’écrivait Gustave Thibon, « n’espérer qu’en Dieu quand on a désespéré de tout ce qui n’est pas Dieu ».

L’Esprit-Saint que l’on a accueilli en la fête de la Pentecôte, est l’âme de l’Espérance : par ses dons, l’Esprit nous arme d’ardeur, de courage, de fidélité, de « persévérance » comme le rappelle l’Epître aux Romains, afin de nous amener jusqu’au bout de cette espérance et en récolter le fruit. « On obtient Dieu autant que l’on en espère », disait Thérèse de l’Enfant-Jésus. Face à tant de vies rabougries, minées par l’illusion, alors que tant de nos contemporains sombrent dans le désespoir par le fatalisme ou la résignation, cette crise nous convoque comme chrétiens à porter l’espérance à notre monde qui traverse l’obscurité et à guetter l’aurore où Dieu advient. Il nous faut nous attendre à Dieu ; « C’est avoir Dieu que de l’attendre », soulignait Fénelon. Attendre Dieu de Dieu et de rien d’autre ; qui espère dans le Christ ne peut d’accommoder d’un monde qui le refuse.

Chers pèlerins, l’espérance chrétienne constitue le ressort de votre engagement. Pèlerins, pèlerins d’espérance, qui avez sous la pluie parcouru le chemin jusqu’à Chartres, vos pas se sont inscrits à la suite de tant d’hommes et de femmes qui à travers les siècles, ont emprunté la même route, bravé les mêmes intempéries, traversé les mêmes paysages de Beauce. Vous avez rejoint et prolongé leur quête de Dieu et leurs supplications, et dans cette cathédrale qui vous accueille, vous mêlez vos prières à toutes celles et ceux qui ont bâti cet édifice, l’ont habité de leurs larmes et de leurs actions de grâce.

Oui, le Christ est pour nous promesse, Il est l’avenir de l’homme ; sa prophétie. Mais il est aussi son héritage. L’histoire sainte qu’il a ouverte en partageant notre condition humaine se prolonge jusqu’à nous, tout à l’inverse d’une pensée amnésique, disruptive, progressive, qui bannit l’antécédence et l’antériorité, et prétend bâtir un monde nouveau, fabriquer un homme nouveau, robotisé qui s’affranchirait du passé, de ses limites, et de la nature, du réel.

Nous cherchons, nous, un ancrage. Nous voulons nous relier à des permanences, à un patrimoine éprouvé, sûr. Nous osons retrouver et réassumer notre origine, qui soit pour nous un pivot ; et c’est ce que nous exprimons, et ce qui est honoré dans la liturgie, dont la sacralité et la beauté nous rapportent à Dieu. L’utopie progressiste développée depuis le XVIIIième siècle, induit la tentation d’un dépassement continuel de nos limites, le délitement d’un passé révolu, la subversion du réel, l’obsolescence programmée afin de valoriser l’inédit, la perpétuelle nouveauté. Comme chrétiens, nous sommes appelés à retrouver des lignes de continuité qui induisent un sens et permettent un engendrement à partir de ce que le Christ a réalisé en notre histoire.

Les vraies nouveautés ne peuvent procéder que par un accouchement. Chaque mère de famille ici présente, pourrait en témoigner. Rechercher cet enracinement ne signifie donc pas se figer dans le rétroviseur du passé pour y cultiver la nostalgie, la mélancolie du temps jadis, ou bien encore, répéter le même, reproduire l’identique ; mais en retrouvant nos racines, nous puisons la sève qui irrigue et féconde notre vie, et cette mémoire nous épargne de toute réapprendre, de tout vouloir réinventer. Elle nous permet de conduire l’histoire dont nous sommes les héritiers et les gardiens jusqu’à son achèvement dans le Christ. Nous bénéficions de tout ce que l’humanité a vécu, a appris, nous a légué pour le conduire à son terme, à ce Royaume de justice, de paix et d’amour que le Christ a inauguré et qu’Il a confié à Son Eglise.

La vogue de la mobilité absolue, du zapping, du clic informatique, du virtuel conduit à un perpétuel déracinement, à la mise hors-jeu de ceux qui par nature ou par statut, sont inaptes à se couler dans cette fluidité (et je pense en particulier aux personnes âgées), à se déporter du projet culturel de la post-modernité qui mise sur le principe de l’accélération et de l’innovation perpétuelle dans l’espoir d’une vie plus réussie. Cette société liquide sacralise la mode et dévalue le modèle. Elle génère un individu nomade, itinérant, électron libre, aimanté par une perpétuelle fuite en avant technologique ou ésotérique et qui ne sait pas qui il est, ni où il va et donc, parce qu’il ne sait pas d’où il vient. Cette instabilité constitue une caricature de la liberté, une errance de soi au gré des caprices narcissiques et des prêts-à-penser médiatiques.

La force, la pertinence du christianisme, qui fréquente l’humanité depuis 2000 ans, est de nous rapporter au réel celui de la Création, à l’histoire, celle de l’Incarnation, à ces socles stables, à une origine commune qui nous explique, à une tradition vivante qui s’exprime dans la liturgie et qui nous porte et nous emporte vers l’avenir qu’est Dieu. Le christianisme est mémoriel et mémorial. St Paul lui-même rappellera aux Corinthiens « qu’il transmet l’Evangile tel qu’il l’a reçu » (1 Cor 15). Et chaque célébration du sacrifice eucharistique témoigne que le passé qui est rappelé engendre le futur qui y est annoncé.

Chers pèlerins, la meilleure manière de transformer le monde passe par l’enracinement de votre vie dans la foi de votre baptême. Le monde n’a pas besoin de ventres mous, de chrétiens lights, mais de chrétiens attestataires, confessants, qui assument pleinement leur identité baptismale et acceptent de sanctifier le monde en commençant par se sanctifier eux-mêmes. Des chrétiens non pas repliés sur eux-mêmes en vase clos, mais qui assument leur héritage, le déploient autour d’eux par leur rayonnement personnel, évangélique, et par le témoignage courageux de la Vérité, qui pour nous a le visage du Christ. Le Christ nous demandera compte de nos compromissions, de nos paroles creuses, de nos silences lâches.

Pèlerins d’espérance, prophètes enracinés dans l’Eglise, dans la vie et dans la foi de l’Eglise, vous devez être des chrétiens engagés. Rappelez-vous que l’Eglise existe pour ce qui n’est pas encore l’Eglise. Bénéficiaires du Salut, vous êtes des levains dans la pâte du monde ; appelés à rejoindre le monde non pas pour vous y dissoudre, mais pour l’imprégner d’Evangile. Témoins, d’abord par votre union personnelle au Christ. Seule une vie de prière, nourrie par la Parole de Dieu, sanctifiée par les sacrements, enrichie par le lien fraternel entre croyants et vécue en Eglise, peut soutenir durablement le témoignage que vous avez à rendre.

Que votre style de vie parle de Dieu ; que la cohérence de votre existence, que votre comportement atteste d’une unité de vie dont le Seigneur est le centre de gravité et les ressorts. Les prêtres accompagnateurs sont là pour vous aider sur ce chemin. Votre témoignage doit reposer sur la charité, faite d’attentions, d’écoute vis-à-vis de tous et plus particulièrement des petits. Une charité qui n’est pas du sentimentalisme mais qui consonne avec la Vérité qui est pour nous le Christ et qui grâce à Lui devient la vertu. Seul l’amour qui va jusqu’au don plénier de soi-même est capable de retourner le monde comme la charrue retourne la terre après le labour. Notre société, nos communautés, notre pays ont besoin de votre engagement pour proclamer la foi, pour la défense de la vie, de la famille, de notre Maison commune.

L’Eglise réclame votre créativité, votre générosité, votre esprit d’initiative, d’aventure, votre intelligence pour porter haut et fort le message du Salut. Rendez à Dieu tout ce qu’Il vous a donné : dans cette mission vous trouverez la vraie liberté, le plein accomplissement de ce que vous portez de meilleur, et la joie de connaître et de faire connaître un Dieu qui dans Sa miséricorde, sans cesse, nous fait grâce.

Amen.»

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