Par Antoine Bordier
Une page se tourne avec l’évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey : celle de 2021. Une autre, toute blanche encore, va se noircir de quelques lettres, de quelques mots, de quelques phrases : celle de 2022. Celui qui fêtait ses 20 années à la tête du diocèse, l’année dernière, fêtera, en 2022, ses 70 ans de pèlerinage terrestre, ou plutôt de navigation maritime. Car, face aux avis de tempête, sur cette mer agitée, il est entre deux eaux, comme l’Eglise de France. Dort-il comme le Christ au fond de sa barque ? Navigation en eaux troubles, avec cet évêque-skipper au long cours.
Comme à son habitude, même si le poids de l’âge et de la fonction commence à se faire sentir, Mgr Rey est en forme. Il blague, le sourire en coin. Dans sa voiture blanche – elle n’est pas blindée et n’a pas vocation à se transformer en papamobile – il écoute ses chanteurs préférés. Ils appartiennent à l’ancien-temps, à celui où les chanteurs étaient des conteurs, des poètes. Il écoute du Léo Ferré, du Brassens, du Brel. Cette fois-ci, alors que sa voiture roule en direction du Séminaire de La Castille, où l’attendent les 60 séminaristes qui ont préparé un temps festif, à l’approche de Noël, il écoute la chanson de Pierre Bachelet, L’homme en blanc. Les paroles sont surprenantes de réalisme, même si elles appartiennent désormais au passé :
« Il descend de l’avion, il embrasse la terre. A genoux sur le sol, comme on fait sa prière. Et, même les officiels ne savent plus quoi faire, avec leurs vieux discours, leur tenue militaire. Il arrive, il descend, il est là l’homme en blanc… »
Cet homme, c’est le pape Jean-Paul II. Mgr Rey appartient à sa génération. Il entre au Séminaire presqu’au même moment où Karol Wojtyla devient pape, moins de deux ans après en 1980. Il sera ordonné en 1984, par le cardinal Jean-Marie Lustiger, l’archevêque de Paris.
Aujourd’hui dans son diocèse, il regarde l’année 2021, et, constate facilement que
« la pandémie a chamboulé nos habitudes. Comme dans toute la France nous avons été très affectés par le virus. Les conséquences de la pandémie, dans tous les domaines, ont été négatives. Il existe une réelle inquiétude pour l’avenir. Nous sommes entrés dans un cycle où la fragilité, la peur, voire la folie sont présents. Des personnes se sont retrouvées extrêmement seules. Et, que dire de la pression médiatique et des décisions politiques et gouvernementales ? »
Durant cette crise de pandémie mondiale, le diocèse de Fréjus-Toulon a perdu quelques ouailles, dans la bataille. Mais, il a su rebondir et offrir de nouveaux services à ses fidèles pour vivre sa foi et les célébrations.
« Face aux situations très difficiles, très anxiogènes, des jeunes se sont levés, ils ont organisé des maraudes, pour visiter les personnes seules. Grâce aux nouvelles technologies de l’information et à internet, nous avons lancé un réseau social qui s’appelle La Traversée. Plus de 30000 personnes ont adhéré et participé à différents parcours sur l’espérance, la miséricorde. Nous avions la Messe quotidienne via notre chaîne YouTube. »
Un évêque sur le pont
Confronté à cette crise de Covid-19, à celle des vocations, à la déchristianisation, Mgr Rey ne baisse pas les bras. Au contraire, il remonte d’autant plus les manches de son pull-marin au-dessus des coudes. Cet homme de Dieu est un véritable navigateur, qui a plus d’une solution dans son sac de marin-pèlerin.
« Oui, je suis un pèlerin. J’arpente les chemins, les routes et les ruelles de mon diocèse. Je ne suis pas un gestionnaire de Dieu. Je ne suis pas un fonctionnaire de l’Eglise. Je suis un pèlerin. »
Lui, le pèlerin, est, d’abord, poète. Car, il aime lire du Baudelaire, du Prévert. Il écrit, lui-même, des poèmes. Et, d’autres livres qui au fil de ses navigations en eaux profondes l’ont fait connaître. Il a écrit des livres sur la franc-maçonnerie, sur la vie, sur la vocation, sur la place du laïc dans l’Eglise, sur l’Islam.
Son dernier livre est sorti cette année. Son titre ? ‶Sois un père ″. Il l’a écrit pour clôturer l’année Saint Joseph lancée par le pape François.
« C’est l’année du père, explique-t-il. On le voit bien, les familles implosent, les couples divorcent. Le père et le mari deviennent les grands absents de notre société, qui se vide d’elle-même. Notre société a besoin de retrouver sa masculinité, sa paternité, ses hommes courageux et humbles, qui se mettent généreusement au service de leur famille et de la société. »
Pour lui, saint Joseph est le meilleur exemple du père à suivre. « C’est un père juste, bon et protecteur. »
Il le donne en exemple dans tout son diocèse, qui comprend une dizaine de villes de taille moyenne. En bordure, à l’ouest, il y a Saint-Maximin, au nord, Aups et Draguignan, à l’est, Fréjus, et, au sud, Toulon. En tout, plus d’un 1,1 million de personnes, et plus de 100 000 fidèles. Et, c’est sur ce territoire qu’au 17è siècle, selon l’histoire de l’Eglise, serait apparu saint Joseph, en 1660, à Cotignac. Un siècle auparavant, en 1519, la Vierge Marie et l’Enfant Jésus seraient, également, apparus. Chaque année, le 1er week-end de juillet et lors de la fête de l’Assomption, du 15 août, des milliers de pèlerins se rendent dans les deux sanctuaires de Cotignac, dans celui dédié à saint Joseph, au Mont Bessillon, et, dans celui dédié à Notre-Dame des Grâces, au Mont Verdaille. Ce diocèse serait, ainsi, l’un des rares diocèse au monde, voire le seul, où se concentre à ce point les apparitions de la Sainte Famille, c’est-à-dire de Jésus, de Marie et de Joseph. Pour le diocèse c’est un trésor. Ce trésor, Mgr Rey le met au creuset de sa mission ecclésiale. Et, c’est pour cela qu’il attire des vocations venant du monde entier.
Avis de tempêtes et de scandales
Mgr Rey ne s’en cache pas, l’année 2021 a été très douloureuse pour l’Eglise, sa hiérarchie, ses membres, ses fidèles, ses prêtres et ses évêques.
« Je dis souvent que le Christianisme est né d’un tombeau qui est devenu un berceau. Et, c’est au moment où il y a eu de très grandes crises, que l’Eglise a pu rebondir et continuer à se développer. »
Dans son diocèse, les scandales de pédophilie, la démission de Mgr Michel Aupetit, acceptée sans attendre par le pape François, n’ont pas remis en question pour autant les célébrations d’ordination de prêtres au mois de juin et de septembre. Son diocèse attire les prétendants à la prêtrise, comme jamais du monde entier. Comme si le diocèse ressemblait à un îlot qui résiste encore aux déferlantes de la déchristianisation qui s’abattent de plus en plus dans certains diocèses.
Il reste que la pédophilie est un véritable tsunami, qui a aspiré vers le fonds les piètres skippers de l’Eglise. Les scandales sont bien là.
« Le rapport de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise) a mis en lumière l’ampleur et la profondeur des crimes, qui ont défiguré le visage du Christ. A la Conférence des évêques de France (la CEF) à Lourdes, en novembre dernier, les témoignages m’ont beaucoup touché. Et, personnellement, j’ai entendu un certain nombre de victimes. J’ai été abasourdi, choqué par ces drames. On ne peut pas taire ces choses-là. On ne peut pas taire les victimes. On leur doit une démarche d’écoute, d’accompagnement, et, de réparation. Nous réfléchissons à la réparation financière. »
A tribord et à bâbord
L’Eglise serait-elle à la croisée des voies maritimes ? Sa barque prendrait-elle l’eau de toute part ? Des voies où le mal l’emporterait sur le bien, le mensonge sur la vérité, la tempête sur l’accalmie ? L’Eglise ferait-elle naufrage ou serait-elle en vue de se réformer ? Direction la cale sèche… Dans l’histoire de l’Eglise, qu’il s’agisse des grandes persécutions, il y a 2000 ans, lors de la période romaine, ou plus tard, lors des croisades, lors de la Révolution française, et, plus récemment lors des persécutions des Chrétiens d’Orient, l’Eglise s’est toujours réformée aux plis de ces persécutions. Cette fois-ci, l’enjeu est autre, puisque c’est de l’intérieur, de ses propres membres, de son propre clergé que les scandales proviennent, comme au temps du pape Alexandre VI. Elle ne peut plus crier son innocence, en arguant : ‶ C’est la faute des autres. ″ Non, c’est la sienne. Elle a trop tardé, trop été complice. Ne généralisons pas. Mais si la tempête a autant grossi, si elle est devenue cyclone, c’est parce que ceux qui savaient, jusqu’au plus haut de la hiérarchie, se sont tus et ont laissé faire.
Le temps des scandales et des tempêtes serait le temps des réformes et des réparations.
« L’Eglise est toujours en situation de se réformer, explique Mgr Rey. Elle est animée par le mystère du Salut, qu’Elle doit apporter au monde. Pas le contraire. Elle doit aider les acteurs de l’Eglise à changer, à se convertir. Nous devons, et, nous devrons améliorer nos comportements, nos relations ecclésiales. Nous devons davantage travailler en coresponsabilité avec les laïcs. »
Il cite quelques chiffres. Dans son diocèse, sur une dizaine d’affaires, quatre ont fait l’objet d’un jugement. C’est l’un des diocèses où les affaires seraient les moins nombreuses.
Du « rififi » chez Mgr Aupetit
Après cette séquence sur les affaires de pédophilie, qui ressemble au sparadrap du Capitaine Haddock, l’affaire Michel Aupetit est évoquée. Dans un premier temps, l’évêque de Fréjus-Toulon parle des difficultés qu’il y a, aujourd’hui, à être évêque :
« Ce n’est pas facile d’être évêque. Mais, nous devons Le suivre jusque sur la croix. »
Lors de l’assemblée plénière de la CEF, de la bouche de certains évêques le mot de « démission » est sorti. Au même moment, ou presque, l’enquête des journalistes d’investigation du Point mettait sous presse leur article qui a abouti à la démission spectaculaire d’un prélat français, qui était à la tête du diocèse le plus puissant de France.
« Je n’ai pas eu connaissance des faits qui le concernent. Je sais qu’il avait une charge difficile, car le diocèse de Paris est très lourd. Il avait des tensions dans un certain nombre de dossiers. Mais qui n’en a pas ? Je n’étais pas au courant des faits. »
Rappelons, rapidement, les faits.
L’enquête des journalistes du Point, Marie Bordet et Violaine de Montclos s’intitule, Archevêché de Paris : les mystères de Mgr Aupetit. Et, son résumé sous forme de diaporama, Du rififi dans le diocèse de Paris. Les journalistes y révèlent les méthodes de travail du prélat qui seraient jugées « expéditives » à l’image de ses deux vicaires généraux, ses adjoints les plus proches, qui ont démissionné à quelques mois d’intervalles. Puis, il y a eu les affaires dans l’affaire : celle de la paroisse Saint-Merry, que l’archevêque voulait fermer en raison des minorités LGBTQI+ qui avait mis la main sur une partie des activités paroissiales, et, celle du motu proprio, Traditionis Custodes, le prélat se lançant dans un zèle papal en interdisant la célébration de Messes traditionnelles dans Paris, notamment, à Notre-Dame-du-Travail, dans le 14è arrondissement, et Saint-François-Xavier, dans le 7è. Mais l’Affaire avec un grand A, selon les journalistes, serait cette relation intime avec une femme, que le prêtre aurait eu en 2012. Mgr Aupetit s’en est défendu. Mais, en même temps, il présente dans la foulée sa démission au Pape. Ce-dernier l’accepte le 2 décembre. Sur un autre registre, cette rapidité extrême de décision de la part du pape rappelle l’affaire Fillon.
Certains peuvent être surpris par la réponse du pape François aux médias, lors de sa conférence de presse qu’il a tenu dans son avion.
« Pour ma part, je ne connais pas le fond de l’affaire. Mais, il faut rester prudent. Surtout, en ce moment, où l’on parle de plus en plus de collapsologie, d’effondrement généralisé, de fin de civilisation. »
Les voies navigables de 2022
Mgr Rey garde son cap, même si la traversée sur ces eaux saumâtres manque de sel. Le skipper sait tirer des bords, affaler toutes ses voiles, hisser la grand-voile et dérouler le foc, quand il le faut. Car, il fourmille d’écoutilles et de projets. Lui, l’évêque-écrivain, se fait pèlerin et timonier quand il va soutenir les chrétiens dans les eaux très profondes de l’Orient, du Liban, de Syrie, de Jordanie… Il devient skipper quand il lance, en pleine pandémie, ses grands investissements pour moderniser, par exemple, les sanctuaires de Cotignac.
« Nous nous mobilisons pour réhabiliter le sanctuaire. Il a besoin d’un nouvel élan. Je me projette, déjà, en 2022 et au-delà. J’approche des 70 ans et je dois préparer l’Eglise de mon diocèse pour l’avenir. Pour cette nouvelle génération minoritaire, mais très attestataire, parfois, même, protestataire par rapport aux misères matérielles, morales et spirituelles de notre époque. »
Ces signes d’espérance, il les voit, d’abord, chez les jeunes matelots, dans les familles. Il les voit dans les grands évènements chrétiens, dont l’objectif est de relancer la christianisation, comme le Congrès Mission. Il les voit à travers les groupes de jeunes chrétiens qui se mobilisent pour les personnes les malaimés, les plus pauvres, les sans-visages, les sans-voix.
A 69 ans, l’évêque-skipper, qui est pourtant né à Saint-Etienne, a les pieds sur terre, la tête dans le ciel, et, les mains sur le gouvernail. Il maintient son cap : celui de l’évangélisation contre marées, vents et tempêtes. Au fil des navigations, il s’est forgé une peau cuivrée et saline. Il est paré face aux grandes déferlantes. A Toulon, qui abrite la capacité navale militaire la plus importante du continent, il confie :
« Je suis très attentif à ce qui nous unit et ce qui nous rassemble. Tous les Français, quelles que soient leur histoire, leur origine, leur religion, ont besoin de cette unité. On le voit bien, notre société se désagrège. Nous devons retrouver le chemin de Dieu. Nous devons être attentif à toute cette nouveauté qui surgit, à tout cette partie de notre vie qui faiblit. Et, nous devons rechercher tout ce qui nous unit. Enfin, nous devons grandir. L’Eglise nous fait grandir. »
Et quid de la politique ?
Mgr Rey remet sa casquette de marin sur la tête. Il quitte le pont. Il ressemble à un vieux briscard, qui a affronté toutes les mers du globe. Sa belle croix pectorale brille dans la nuit étoilée de Toulon. Il regarde au loin et semble dire comme une proclamation :
« La France doit retrouver ses racines, son cap et son ADN. La France n’est pas née en 1789. Son histoire, notre histoire est doublement millénaire. Pour moi, la dimension est religieuse. Comme nous y invitait le pape Jean-Paul, nous devons retrouver les eaux cristallines de notre baptême. Nous devons être fidèles aux promesses de notre baptême. »
Serait-ce son cap pour 2022 ?
Il regarde l’échéance des élections présidentielles avec beaucoup de recul.
« Ce ne sont pas les candidats qui sont les plus importants. Ce sont les programmes. Il faut des programmes respectueux de l’homme, de la famille et de la vie. La politique est devenue une sorte de gouvernance à très court terme. Et, elle est devenue mortifère. Les chrétiens doivent s’engager en politique, dans le sens noble du terme. Certains se lèvent pour défendre la vie et le bien commun. C’est bon signe. »
Son plus grand défi, finalement, est de toucher ceux qui restent à l’écart de l’Eglise. Pour lui, « l’Eglise existe pour ce qui n’est pas encore l’Eglise, c’est-à-dire pour l’évangélisation. Il faut sortir de l’entre-soi. » La navigation se termine sur des eaux très claires, presque pures et transparentes. Ses raisons d’espérer sont ces nouveaux défis. Avec un enjeu de taille : que les scandales appartiennent aux histoires de la piraterie ancienne.
Reportage réalisé par Antoine BORDIER auteur, consultant et journaliste
Copyright photo A. BORDIER