Mgr Schneider s’est entretenu avec Gabrielle Cluzel pour Boulevard Voltaire :
Monseigneur Schneider, avec l’interdiction des messes publiques imposée par le confinement, nous avons assisté à des scènes que nous n’aurions jamais pensé voir en France… messes clandestines volets fermés, dénonciation des voisins, intervention des forces de l’ordre. Elles rappellent un peu vos souvenirs d’enfance, que vous dépeignez dans votre dernier livre Christus Vincit… un signe inquiétant, selon vous ?
En effet, les circonstances que vous avez évoquées me rappellent très vivement l’époque dans l’Église persécutée où les prêtres et les fidèles devaient se réunir en secret pour la célébration de la sainte messe et des sacrements. L’interdiction sans compromis du culte public dans les églises de nombreux pays du soi-disant Occident libre, et notamment en France, en Irlande et en Grande-Bretagne, est un signe indéniable de la persécution de l’Église par la classe politique dirigeante. Ces événements doivent nous réveiller tous. De nombreux catholiques ont, jusqu’à présent, vécu sous l’illusion que le monde et la classe politique de notre époque montraient de la sympathie pour l’Église. On peut espérer que leurs yeux aient enfin été ouverts à la vérité que l’Église n’est pas de ce monde et que les dirigeants de ce monde, ayant dépouillé Christ de sa royauté sociale, le persécuteront toujours ainsi que ses disciples.
Par charité, les catholiques devraient accepter de sacrifier leur messe pour protéger leur prochain, lit-on souvent sur les réseaux sociaux. Que répondez-vous à cela ?
Tant que les gens peuvent aller au supermarché et utiliser les transports en commun, cet argument reste un argument fallacieux. Cet argument ne serait crédible que si l’on disait que les catholiques doivent accepter le sacrifice de ne plus aller dans une épicerie ou de ne plus sortir dans la rue pour protéger leur voisin de la contagion. Cependant, ce raisonnement révèle également le véritable état d’esprit d’un bon nombre de ses partisans. Dans ce cas, c’est l’expression d’un matérialisme fortement développé. Dans cette vision des choses, seuls les besoins du corps et d’autres valeurs temporelles sont considérés comme d’une importance vitale. Cependant, l’âme est plus importante que le corps, la vie éternelle est plus importante que la vie temporelle. On oublie cet important enseignement divin de notre Seigneur qui disait : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4:4) et « Quel profit en effet aura l’homme, s’il gagne le monde entier, mais perd son âme ? » (Mt 16:26). C’est avec regret et étonnement que nous constatons que l’hérésie du matérialisme et du naturalisme a déjà pénétré si profondément dans les pensées et les actions de nombreux catholiques et même de nombreux prêtres et évêques. L’Église doit restaurer la primauté de l’âme et de la vie éternelle.
Dans pas moins de 69 villes, les catholiques français se sont réunis sur le parvis de leur cathédrale pour protester contre cette interdiction. Essentiellement des laïcs. Les évêques les ayant soutenus se comptent sur les doigts d’une seule main. Plusieurs les ont même explicitement désavoués. Faut-il y voir la marque de cette « asthénie cardiaque » qui frappe l’Église actuellement, comme vous l’écrivez dans votre livre, ou est-il assez légitime qu’en phase de négociation avec le gouvernement, ces prélats se montrent prudents ?
L’exemple des catholiques français, et parmi eux d’un nombre élevé de jeunes gens et même d’enfants, qui ont courageusement manifesté en public pour le droit à la liberté de culte chrétien restera une page glorieuse dans l’histoire du catholicisme français contemporain. Comme si souvent dans l’Histoire, Dieu choisit les « petits » pour faire honte à de nombreux apparatchiks cléricaux et à de nombreux évêques, qui sont lâches devant les puissants du monde politique et médiatique et se taisent à son propre profit. Nous vivons une situation très étonnante : les petites brebis n’ont pas peur des loups, tandis que les bergers se cachent des loups. Nous avons tant besoin de vrais bergers à l’exemple de Jésus et de tant de saints évêques courageux de l’histoire de l’Église, à savoir un saint Athanase, Hilaire, Ambroise, Jean Chrysostome, depuis des temps plus récents l’exemple d’un cardinal Pie, un saint Pie X, un bienheureux cardinal von Galen. Quelle est l’actualité de l’avertissement suivant du pape Grégoire le Grand aux évêques ! Il semble que cette mise en garde a été écrite pour notre situation actuelle : « Fréquemment d’imprévoyants pasteurs redoutant de perdre la faveur humaine n’osent pas librement prêcher la franche doctrine et, selon la parole de la Vérité, s’emploient à la garde de leur troupeau non point avec le dévouement des bergers, mais à la façon des mercenaires : car en se réfugiant ainsi qu’ils font dans le silence, ils s’enfuient à l’approche du loup. Ce sont eux, véritablement, que le Seigneur accuse quand il les qualifie par le prophète de “chiens muets qui ne peuvent pas aboyer” » (Is 56,99). Et, se plaignant de nouveau, il ajoute : « Vous n’êtes pas montés aux brèches, vous n’avez pas élevé muraille autour de la maison d’Israël, pour tenir ferme dans la bataille, au jour du Seigneur » (Ez 13,5). Or « monter aux brèches », c’est parler librement contre les puissances de ce siècle pour la défense du troupeau. Avoir peur de s’exprimer en toute franchise, qu’est-ce, en effet, pour un pasteur, sinon, en se taisant, abandonner son poste ? Mais s’il s’expose lui-même pour la défense de son troupeau, il élève, face aux ennemis, « une muraille autour de la maison d’Israël » (Regula pastoralis, II, 4).
Pour le journaliste du Figaro Jean-Marie Guénois, spécialiste des affaires religieuses, cette affaire serait le signe d’une division plus profonde, non pas tactique mais théologique, qui porterait sur « la foi en l’Eucharistie » et en la présence réelle. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que cette remarque est correcte. L’interdiction du culte public et la réaction incompréhensiblement timide de nombreux évêques, expose la véritable blessure profonde de la crise actuelle de l’Église. Cette blessure est la « blessure eucharistique ». Faisant allusion à la question de Jésus dans l’Évangile : « Qui dit-on qu’est le Fils de l’homme ? » (Mt 16:13), se pose maintenant cette question pour chaque catholique, chaque prêtre et chaque évêque : « Quoi et qui pensez-vous que l’Eucharistie est ? » Nous devons prendre l’exemple de nos frères et sœurs de l’époque de la persécution dans les premiers siècles et proclamer haut et fort : « Sans la sainte Eucharistie, sans la sainte messe du dimanche, nous ne pouvons pas vivre ! » (sine Dominico non possumus). Puisse le feu de la courageuse confession des catholiques français, que nous avons vu ces derniers dimanches, brûler possiblement dans toutes les villes de France et aussi des autres pays catholiques, et que retentisse ce cri digne et intrépide : « Sans la messe de dimanche, nous ne pouvons pas vivre ! »