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Valeurs chrétiennes : Culture

Michel Zink reçu à l’Académie française

Michel Zink reçu à l’Académie française

Michel Zink, écrivain et médiéviste, titulaire de la chaire des littératures de la France médiévale au Collège de France, a été reçu jeudi 18 octobre à l’Académie française. Il y occupera le fauteuil de René Girard, qui fut aussi celui du cardinal Tisserant, du cardinal Daniélou, du R. P. Carré, et dont, si l’on remonte le cours des âges, le deuxième occupant fut Bossuet. Nous avions publié une analyse de Franck Abed sur son ouvrage consacré aux troubadours. Voici un extrait de son discours de réception à l’Académie sur René Girard :

Dans le langage courant, on parle de « bouc émissaire ». Cette expression, qui donnera son titre à un livre ultérieur de René Girard, est éclairée par le mot grec φαρμακος, qui désigne un sorcier maléfique mais aussi guérisseur. La traduction grecque de la Bible, dite des Septante, l’applique au bouc que, dans le Lévitique, on charge de tous les péchés du peuple d’Israël avant de l’expulser et de le chasser dans le désert6. Or, la Bible ne dissimule pas que ce bouc, qui purifie la communauté de ses péchés en les emportant au loin, est lui-même innocent. La Bible sait et révèle que le bouc émissaire est innocent. Parmi tous les mythes, toutes les religions et toutes les croyances du monde, la Bible a l’originalité de raconter l’histoire du point de vue des victimes, de faire entendre leur voix, de se prolonger dans une religion, le christianisme, qui fait de Dieu incarné une victime et qui place dans sa bouche un enseignement révélant « des choses cachées depuis la fondation du monde », comme le dit l’Évangile de Matthieu. Cette révélation, selon René Girard, est que l’origine de la violence est dans la rivalité mimétique, que la victime émissaire est donc innocente et que la violence dont elle est l’objet est injuste et inutile. […]

La Bible fait entendre la voix des victimes et clame leur innocence. Elle répète que la justice est du côté du faible et de l’opprimé, de l’humilié et de l’offensé. « Un pauvre a crié, Dieu écoute » : les psaumes ne cessent de faire entendre ce cri. Et, plus fortque tous les cris, retentit le silence de l’agneau mené à l’abattoir, le silence de la dégradation absolue, le silence de celui qui endure depuis toujours le mépris, sans beauté, sans apparence, à qui on arrache la barbe et qui ne détourne pas son visage des outrages et des crachats, lesilence du serviteur souffrant d’Isaïe, préfiguration du Christ, comme l’est aussi le supplicié outragé du psaume 21. Cette double préfiguration, ce n’est pas René Girard qui l’invente. Elle est explicitement revendiquée par les Évangiles, qui scandent le récit de la Passion par des citations du psaume 21 pris à l’envers, jusqu’à son premier verset qui devient la dernière parole du Christ en croix : « Eli, Eli, lamma sabacthani ? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », parole de souffrance et de déréliction qui, selon la philosophe Simone Weil, « est la preuve qu’il y a dans le christianisme quelque chose de divin ». Quant à la préfiguration du Christ dans la figure du serviteur souffrant, elle est tout aussi explicitement revendiquée au début des Actes des Apôtres dans l’épisode de la conversion de l’eunuque de la reine Candace par Philippe, qui lui explique le texte d’Isaïe (« Comme une brebis il a été conduit à la boucherie, comme un agneau muetdevant celui qui le tond, ainsi il n’ouvre pas la bouche, dans son abaissement la justice lui a été déniée»). Elle l’est aussi dans l’Évangile de Matthieu, qui se réfère toutefois, non au martyre accepté par le serviteur, mais à son refus de triompher de la faiblesse par la force (« Il ne brisera pas le roseau froissé, il n’éteindra pas la mèche qui vacille »). […]

Nous savons aujourd’hui qu’il nous faudra vivre longtemps avec cette violence et, pour certains d’entre nous, en mourir. Nous pouvons cependant espérer qu’elle n’aura pas le dernier mot. Mais, si elle est la plus sanglante, elle n’est peut-être pas la pire illustration actuelle de la violence mimétique. Aujourd’hui, tous les braves gens du monde, chez eux et devant leur écran, peuvent être poussés au déchaînement du ressentiment, de la rancœur, de la fureur et accabler instantanément avec une efficacité inouïe toute victime émissaire qu’on leur désigne. Chacun peut déverser d’un clic sur qui lui plaît des torrents de haine et de boue en toute impunité, encouragé par la violence des autres,heureux de montrer qu’il peut renchérir sur eux dans le venin, dans l’insulte, dans la menace. Chacun est la victime émissaire de tous et tous le sont de chacun. Adolescents harcelés sur les réseaux sociaux, personnalités en vue ou parfaits inconnus devenant en une heure un objet de vindicte dans le monde entier pour une photo, pour un mot, pour une plaisanterie où la malice et la stupidité auront tôt fait de suspecter une adhésion trop tiède au conformisme moral, pour une rumeur, pour rien, et qui meurent de honte, parfois à la lettre : tous témoignent sans le savoir que René Girard était malheureusement dans le vrai, lui qui écrivait que la honte est « le sentiment mimétique par excellence ». Il nous a quittés avant d’avoir vu le déferlement le plus bas de la violence mimétique.

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