Guillaume de Prémare dénonce la sidération à l'oeuvre dans l'affaire des migrants et la moraline ambiante. Extraits :
"[…] Je dis « moraline » parce qu’il n’y a pas de meilleur mot pour signifier cette morale auto-satisfaite et inconséquente qui anime l’âme creuse de la bien-pensance. Je dis « fausse charité » parce que la charité authentique est intégrale, elle inclut la justice, la vérité, la prudence, la responsabilité. Le bon Samaritain ne rase pas gratis, il pense aux conséquences et aux conditions concrètes de sa charité : il paie l’aubergiste et s’engage sur la durée, lui promettant une rallonge pour ses surcoûts et faux-frais. Le bon Samaritain n’a pas dit à l’aubergiste : « Voici, prends l’indigent et montre-toi charitable comme je l’ai été, courage, je prierai pour toi ». Le bon Samaritain est charitable ET responsable. Sa manière d’agir n’est pas une posture morale.
Gardons les pieds sur terre, comme le Samaritain, et articulons les choses : répondre généreusement à l’appel du pape François est une excellente disposition pour les fidèles, mais ne constitue pas en soi une politique pour les États. Il faut nécessairement distinguer et articuler les deux ordres, sans les opposer. Le pape a appelé les paroisses à poser un acte concret et accessible : accueillir une famille de réfugiés. Il n’a pas appelé à renoncer au politique. Que chacun se rassure, le pape François connaît sa doctrine sociale sur le bout des doigts : il est juste d’accueillir des réfugiés dans une mesure proportionnée à nos capacités ; et il est légitime pour les Etats d’appliquer une politique migratoire de contrôle aux frontières, dans le respect de la dignité humaine. Non seulement cette doctrine ne varie pas, mais encore recèle-t-elle une sagesse politique et humaine de brûlante actualité. Les critiques adressées récemment au pape et à l’Eglise, y compris chez des catholiques, sont donc infondées, mais elles sont le symptôme d’une profonde désorientation de l’esprit public.
[…] Ainsi, le « N’ayez pas peur ! » d’une personne bienveillante qui évite soigneusement de nommer le réel devient inaudible, voire puissamment anxiogène. Un authentique « N’ayez pas peur ! » doit s’accompagner d’une perspective politique concrète. Une politique migratoire requiert notamment un aspect quantitatif (il ne peut y avoir d’accueil illimité), mais aussi qualitatif. On ne peut faire l’économie d’une distinction entre les différents types de migrations : réfugiés de guerre, demandeurs d’asile politique, migrants économiques. Comment ignorer la nécessité d’une telle réflexion ? Un réfugié de guerre et un demandeur d’asile s’inscrivent dans une perspective d’immigration temporaire ; un migrant économique s’inscrit dans une perspective durable, c’est une immigration de peuplement. Pour chacune de ces situations, ce ne sont pas les mêmes questions qui se posent, les mêmes risques qui se présentent, les mêmes moyens qui sont à mettre en œuvre. Parlons de cela sans crainte de subir l’anathème, ayons le courage de parler de politique migratoire concrète, dont les frontières constituent l’un des outils incontournables.
[…] Quand Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, affirme « Nous sommes un continent vieillissant, en déclin démographique ; nous aurons besoin de talents venant du monde entier. »[1], il accrédite l’idée que c’est un projet politique de l’UE que de renouveler en profondeur la population vieillissante de l’Europe en s’appuyant sur des populations jeunes et nombreuses issues d’autres continents. […]"