Une visite apostolique mandatée par le Saint-Siège est à l’origine de la décision du Vatican de mettre sous tutelle la communauté “Famille de Marie” et son bras sacerdotal “Oeuvre de Jésus Souverain Prêtre”, sous la juridiction du Dicastère pour le Clergé.
La Famille de Marie-Oeuvre de Jésus Souverain Prêtre est présente dans 10 pays (dont la Slovaquie, l’Italie, l’Allemagne, la France, notamment dans le diocèse de Séez, l’Autriche) et compte plus de 60 prêtres, 30 séminaristes et 200 femmes laïques consacrées. Elle promeut les “apparitions d’Amsterdam”, pourtant condamnées par le Vatican. La mesure du Saint-Siège ne serait pas liée à des questions théologiques controversées, mais à des dérives sectaires.
Une longue enquête d’un hebdomadaire italien relève la confusion entre le for interne et le for externe, entre le rôle spirituel et administratif, un culte aveugle et inconditionnel du fondateur, la manipulation mentale, l’anéantissement des personnalités et des consciences, la mystification du récit spirituel, la marginalisation des dissidents…
La mise sous tutelle fait suite à la visite apostolique menée en 2021 par l’évêque émérite de Bari, Mgr Francesco Cacucci. Le père Paul Maria Sigl a été relevé de ses fonctions et éloigné de la communauté. La Famille de Marie a été confiée le 1er juin 2022 à l’évêque auxiliaire de Rome, Mgr Daniele Libanori, et, pour la branche féminine, à la religieuse Sœur Katarina Kristofová, en attendant de statuer sur son avenir et celui de ses membres.
Le fondateur de la communauté « Pro Deo et Fratribus » (appelée plus tard Famille de Marie) est le jésuite Mgr Pavel Hnilica, ordonné et consacré évêque dans la clandestinité dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie communiste. Dans l’ouvrage Wojtyla segreto de Ferruccio Pinotti et Giacomo Galeazzi paru en 2011, on apprend que d’énormes sommes d’argent ont été transférées de la banque du Vatican (IOR) et de la Banque Ambrosiano vers la Pologne et des pays d’Amérique centrale et du Sud par le biais d’organisations parmi lesquelles figure Pro Deo et Fratribus. C’est précisément dans le cadre de l’affaire Banque du Vatican / Banque Ambrosiano et de l’affaire de la mallette du banquier Roberto Calvi, appartenant à la loge maçonnique P2 et retrouvé assassiné à Londres, que Mgr Hnilica fut mis en cause. Il fut condamné en première instance, en 1993, à trois ans et six mois de prison avec sursis pour recel. Il avait émis deux chèques d’une valeur totale de 1,35 million de francs suisses provenant de son œuvre « Pro Deo et Fratribus » en échange de documents destinés à le mettre hors de cause dans le blanchiment d’argent disparu et suspecté provenir de la Mafia. En 1989, il est trouvé en possession de documents des services secrets italiens (SISMI) concernant les derniers jours de Roberto Calvi avant son assassinat. On ne sait toujours pas à quelles fins furent employés les fonds récoltés.
Après l’effondrement des régimes communistes au début des années 1990, Mgr Hnilica a “refondé” Pro Deo et Fratribus sur les cendres de l’Œuvre du Saint-Esprit (OSS), une communauté fondée en 1972 par le prêtre autrichien Joseph Seidnitzer, alors âgé de 52 ans – un personnage tragique et complexe, condamnée à trois reprises à la prison entre les années 1950 et 1960 par les tribunaux autrichiens pour des abus sexuels en série sur des adolescents – et par son “protégé”, Gebhard Paul Maria Sigl, 23 ans, son bras droit qui lui restera fidèle jusqu’à sa mort (Seidnitzer est décédé en 1993), malgré la connaissance de son passé criminel. Lorsque l’Œuvre du Saint-Esprit fut dissoute par l’Eglise en 1990, en raison des graves déviances, Mgr Hnilica réuni autour de lui ses 21 “survivants” et leur offrit, avec Gebhard Paul Maria Sigl, la perspective d’une nouvelle vie communautaire à Rome : la “nouvelle” Famille de Marie.
Ayant obtenu une première approbation de la communauté à l’été 1992, de la part de l’évêque du diocèse slovaque de Roznava, Mgr Hnilica ordonna à la hâte et en cachette, le 8 décembre de la même année, cinq des membres qui, venant de l’OSS, n’avaient pas la formation requises pour accéder au sacerdoce. Outre Paul Maria Sigl lui-même, Luciano Alimandi (aujourd’hui fonctionnaire à la Secrétairerie d’État du Vatican), Aleandro Cervellini, Rolf Schönenberger et Johannes Stoop furent ordonnés ce jour-là.
Paul Maria Sigl, qui se fait appeler “Padre“, parvient à faire croire à ses adeptes qu’il est un fils spirituel du Padre Pio, dont il prétend posséder les mitaines qu’il impose sur ses fidèles. Il prétend également avoir le charisme de lire dans les cœurs, charisme grâce auquel il révèle à chacun sa vocation et son saint protecteur, que lui seul est en mesure de voir. Le “nouvel apôtre Paul” appose le sceau de son pouvoir absolu sur sa “créature” : la Famille de Marie. Il marginalise adroitement ceux qui expriment une voix dissidente, dévalorise la personnalité des membres (surtout celle des femmes consacrées, vouées à la « sanctification des prêtres »), instille un concept d’obéissance absolue et de culpabilité, viole la liberté individuelle, principalement psychologique, en échange de l’offre d’une vie confortable, grâce aux importantes sommes d’argent, aux origines encore inconnues, qui affluent dans les caisses de la communauté. Il réunit sur sa seule personne les rôles de président et de directeur spirituel, confondant ainsi for interne et for externe, conscience et autorité : la racine de tout abus de pouvoir.