Le Salon beige a déjà parlé de l’incroyable tribune de « 6000 chrétiens » « contre l’extrême droite » (voir ici ou là). J’avoue bien volontiers que nos confrères m’ont beaucoup amusé avec la signature du cher Jean Raspail (mort depuis 4 ans), du plus fameux fantôme contemporain Jean-Michel Trogneux, de Jacques Mesrine ou de Jawad Bendaoud « aubergiste » (!). Il n’y manquait plus que Xavier Dupont de Ligonnès (mais je ne désespère pas de le voir resurgir du néant pour dénoncer la fameuse « extrême droite » !).
J’avoue donc sans peine que cette histoire m’a réjoui – en des temps où les occasions de rigoler ne sont pas si fréquentes et où elles valent donc de l’or. Mais, au-delà de la galéjade, peut-être vaut-il la peine de lire cette tribune ligne à ligne et, au-delà de la forme, de répondre sur le fond.
La première chose qui saute aux yeux, c’est l’usage dévoyé de l’autorité. Ces braves signataires (je parle ici des vrais, pas des fantaistes !) nous expliquent que c’est « au nom de leur foi chrétienne » qu’ils voteront « contre l’extrême droite ». Personnellement – mais j’y reviendrai plus bas –, c’est ma foi et plus encore mon attachement à la loi naturelle et aux principes non négociables qui me poussent à soutenir la coalition LR-RN, mais il ne viendrait pas à l’idée d’asséner à mes coreligionnaires des raisons religieuses pour imposer mon vote comme eux prétendent m’imposer le leur.
Plus grave encore, cette tribune est publiée dans « La Croix », exemple caricatural de ce que j’appelle le « journalisme chauve-souris » (par référence au grand La Fontaine : « Je suis oiseau voyez mes ailes ; […] Je suis souris, vivent les rats ! » – en l’occurrence, je suis le quotidien « officieux » de l’épiscopat, catholiques, obéissez ; je suis « libre journal », il est inadmissible de me demander une quelconque fidélité au dogme). Ce que je reproche à « La Croix », c’est de refuser de choisir entre le libre débat et l’autorité magistérielle. Ici, ils nous disent à demi-mot que c’est en tant que « journal officieux » de l’épiscopat qu’ils nous somment de voter « contre l’extrême droite ». Mais il est très probable que, si je critique cette position et que je demande à savoir quels évêques nous demandent de voter ainsi, et en vertu de quelle autorité, l’on me répondra que « La Croix » n’a rien à voir avec l’épiscopat et que les journalistes sont parfaitement libres de défendre les positions politiques ou religieuses qui leur conviennent. Personnellement, je comprendrais bien qu’un évêque, dans un mandement pontifical, nous dise pourquoi le vote RN pose des problèmes (je suis très loin d’être un inconditionnel du RN et une journaliste de « La Vie » m’avait même dit naguère que Marine Le Pen estimait que j’étais son pire adversaire !). Mais je trouve insupportable que l’on prétende nous imposer une autorité qui s’assume aussi peu.
Autant dire que, du point de vue de l’autorité morale, cette tribune ne vaut rigoureusement rien.
Mais le pire est à venir. La tribune commence par l’appel évangélique à l’amour du prochain. Mais comment ne pas voir qu’une partie significative de l’électorat RN vote précisément pour cela ? Les « gilets jaunes » votent RN (quand ils votent encore car beaucoup ont tout simplement cessé de croire que la politique pouvait améliorer leur vie quotidienne) parce qu’ils préfèrent soutenir leur voisin que le lointain ou l’étranger. L’amour du prochain, selon l’évangile, n’a pas vocation à connaître de limite. Mais il est certain que le « test » ultime consiste à aimer le « vrai » prochain : celui que nous voyons concrètement à côté de nous. Il est trop facile d’envoyer 50 euros pour aider les petits Chinois ou les petits Africains et de laisser crever son frère à côté de soi. J’admire ceux qui, comme Mère Teresa et tant d’autres, ont fait le choix de partir loin soigner le parfait étranger. Mais comment voulez-vous que j’aie la moindre estime pour le gaucho bobo qui piétine son voisin « Français de souche » et se donne bonne conscience en envoyant trois francs six sous pour soigner le lointain – voire, pire encore, encourage les esclavagistes des filières de passeurs qui lui amèneront demain la « bonniche » qui nettoiera son appartement parisien ! Le prochain, c’est d’abord celui que nous n’avons pas choisi et à côté duquel la divine Providence nous demande de vivre. Ne comptez pas sur moi pour considérer que ces bobos sont, si peu que ce soit, altruistes. Ils se donnent simplement bonne conscience à bon compte.
Contrairement à ce que laissent entendre les signataires de cette tribune, il est faux que quelque chrétien que ce soit doute de l’égale dignité de tous les hommes. En revanche, celui qui méprise son prochain n’est guère crédible dans l’amour du lointain. Et vous aurez beaucoup de mal à me faire croire que M. Macron et les siens aient le moindre respect (je ne parle même pas d’amour !) pour les « gilets jaunes » – disons, si vous préférez, pour le « Français de base ».
La tribune nous avertit également que le programme du RN n’est « que manipulation et illusion ». Figurez-vous que cela fait un moment que je ne crois plus au Père Noël (je ne me souviens pas d’ailleurs y avoir jamais cru ; si mes souvenirs sont bons, chez moi, l’on parlait plus facilement de l’incarnation du Christ que de l’icône grassouillette de Coca Cola) : les programmes politiques, les promesses électorales me laissent en général de marbre. Il se trouve d’ailleurs que, professionnellement, j’ai été aux premières loges pour voir comment des hommes politiques de premier plan appréciaient leurs propres promesses et cela aurait amplement suffi à me dissuader d’y croire si j’avais eu la moindre tentation en ce sens. Bien sûr, les promesses de Jordan Bardella ne font pas exception. Mais pourquoi diable devrais-je crois davantage aux promesses de « Jupiter » ou à celles du camarade Mélenchon ? Certes, l’hypothétique arrivée au pouvoir du RN ne va changer radicalement nos conditions de vie. Mais cela vaut pour tous. Et choisir Bardella plutôt que Mélenchon ou Attal est, à ce stade, simplement un libre choix entre diverses options dont je ne vois vraiment pas pourquoi elles ne seraient pas également défendables.
Plus fort encore, si je comprends bien mes estimables « correligionnaires » (pas sûr que Jawal Bendaoud soit vraiment un correligionnaire !), le vote RN entraînerait la disparition de la planète pour cause de réchauffement climatique. Mais de qui se moque-t-on ? Pourquoi pas nous dire carrément que Marine Le Pen mange les petits enfants ? C’est ça le niveau de l’argumentation politique dans la France de 2024 ? C’est ça le niveau de l’argumentation morale des chrétiens contemporains?
Cependant, le plus grave n’est pas ce qui est dit dans cette tribune. C’est ce qui n’est pas dit. Car moi aussi, je suis un « castor » : moi aussi, je veux faire barrage – et c’est pour cela que je voterai sans la moindre hésitation pour la coalition RN-LR dimanche prochain (il est vrai que, dans ma circonscription, il n’y a guère de choix alternatif !). Car mes chers “correligionnaires” oublient un peu facilement que la majorité macroniste veut rien moins que l’élimination des « parasites » : non seulement la majorité du sieur Attal, après avoir fait de l’avortement un « droit constitutionnel » (ben voyons !), était à deux doigts de légaliser l’euthanasie des vieillards et des malades, mais le programme de Renaissance pour les actuelles législatives prévoit la reprise du processus – on a les priorités que l’on peut ! Je suis sidéré que des « chrétiens » (je mets le mot entre guillemets non pour dénier aux chrétiens signataires de cette tribune qu’ils soient réellement chrétiens, mais parce que j’ignore combien de “Bendaoud” ont signé) ferment les yeux sur cette réalité très concrète et très sordide. Si “les heures les plus sombres” ont des chances de revenir, c’est bien sous le gouvernement de MM. Attal et Macron. L’Aktion T4 est plus au programme de la Macronie qu’au programme du RN! Quant au « Nouveau Front populaire », il suffit de feuilleter son programme pour savoir pourquoi un être doué d’un peu de bon sens ne peut le soutenir – et qu’a fortiori un chrétien convaincu souhaitant voter pour ces énergumènes, dont certains appellent au pogrom avec une parfaite tranquillité d’esprit (tout en hurlant au retour des « heures plus sombres » dans une sorte de merveilleuse inversion accusatoire), ferait nécessairement face à un sérieux dilemme moral.
Que des chrétiens préfèrent voter pour ceux qui crient « mort aux juifs » et qui considèrent que le « droit à l’avortement » devrait être le sommet des fameuses (et fumeuses) « valeurs de la république » plutôt que pour ceux qui prétendent s’occuper du sort des gilets jaunes est, en soi, fascinant. Qu’ils prétendent nous imposer leur vote au nom de notre commune morale catholique est, en revanche, incompréhensible. En tout cas, c’est au-dessus de mes forces. Non possum. Tout simplement. Je ne prétends pas les convaincre. Je prétends moins encore que notre foi commune devrait leur imposer de voter RN. Mais qu’ils n’essaient pas, en retour, de me faire croire que, pour être fidèle à l’évangile, je devrais réclamer toujours plus d’avortement et d’euthanasie. Ils n’y arriveront pas – et il n’est pas impossible qu’ils me poussent ainsi à m’interroger sur l’espèce d’étrange simonie qui les conduit à tenter d’imposer leurs convictions politiques à leurs frères au nom d’une bizarre conception du dogme chrétien qui nécessiterait d’ignorer et même de piétiner le Décalogue !
En tout cas, pour ce qui me concerne, et sans la moindre hésitation, je “ferai barrage” (comme mes éminents “correligionnaires” mais en sens inverse): barrage à Macron, barrage à Mélenchon. Je ne suis pas sûr que tout aille bien avec le vote Bardella, mais je suis certain que tout ira mal avec le vote LREM ou LFI. Donc, moi aussi, je fais barrage; moi aussi, je tiens à jouer les castors!
Guillaume de Thieulloy
René Clémenti
Le journal “La Croix” n’a jamais rien trouvé à redire à l’avortement.
Il n’y a rien d’autre à en savoir.
faribole
Le journal “La Croix” devrait connaître l’Evangile: “Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait” ou “Laissez venir à moi les petits enfants”
Alors se prétendre catholique et soutenir l’avortement, quelle infamie!
France Fougère
Surprenant ? Pas tellement : le député sortant et un autre postulant n’indiquent pas les partis auxquels ils se référent.
Macronistes ? PR ?
Édifiant.
Dans une petite ville de l’ouest où la fête de la musique a été marquée par des coups de couteau entre jeunes locaux.
Décadence.
Astragal
” l Eglise de France ” c-a-d l’épiscopat est régimiste . Ça ne date pas d’aujourd’hui mais dans l’isoloir, les cathos font leur propre choix sans trop se faire de souci .
TuTux0743
Depuis 1980, c’est justement ce genre d’ambiguïté sociétale et comportementale, qui m’interdise de pratiquer la Messe hors d’un enterrement, d’un Mariage ou d’un Baptême ! Eux pensent et Toi tu suit … épicétout ! La mise en bas de son Piédestal de l’effigie consacré à Jeanne d’Arc pendant plusieurs années, étant la dernière pointe du cercueil de la bassesse cléricale ou 5 éme vertèbres épiscopale … L’Église des Bâtisseurs est “la mienne”, pas celles des baragouineurs moralistes ! Être ou bien paraitre, toute une vie durant ?!…
Armel
Merci de démasquer ces impostures, qui au demeurant ne trompent que leurs propres auteurs.
Cependant, pourquoi mettre sur un pied d’égalité l’avortement et l’antisémitisme ? La lutte contre l’antisémitisme est-il le 4ème point non négociable de la droite catholique, à l’image des discours de Bernard Antony et de Marion Maréchal qui doit motiver notre vote ?
Un million de Jawad Bendaoud sont-ils plus dangereux qu’une Simone Veil (avortement) ? qu’un Badinter (abolition peine de mort) ? qu’un Laurent Fabius (sang contaminé) ? qu’un Nicolas Sarkozy (violation du référendum de 2008) ? qu’une Elisabeth Borne (49.3) ? qu’un Gabriel Attal (constitutionnalisation de l’avortement) ? qu’un Jacques Attali (sherpa de Mitterrand et de tant d’autres) ? qu’un Nagui, un Michel Drucker (animateurs en charge de décerveler des millions de téléspectateurs) ? qu’un Benjamin Stora (qui réécrit l’histoire de France pour nos collégiens) ? qu’un Julien Dray (fondateur de SOS Racisme) ? Que des Ivan Levaï, Anne Sinclair, Jean Pierre El Kabbach (qui ont démoli le respect des Français pour les institutions) ? que des Jean-Jacques Goldmann, Patrick Bruel (qui ont détruit le patriarchat) ? Que des Josiane Balasko, Emmanuelle Beart, Guy Bedos, Alain Chabat, Gérard Darmon (qui ont perverti la conscience des télespectateurs, détruit la culture française et distiller aux Français la haine et le mépris d’eux-mêmes) ?
Il me semble que la droite catholique française attaque trop facilement le Samaritain, la Cananéenne ou le Philistin et on laisse filer le lévite, le zélote, le pharisien. Quand on se risque dans le conflit israélo palestinien à travers une tribune du le Salon Beige, on peut le faire en reprenant le point de vue des phalanges libanaises pro Israël et définir le camp du bien et le camp du mal. Mais vu de Jérusalem, vu depuis le patriarcat latin de Jérusalem, vu depuis la Custodie de Terre Sainte, le camp du bien et le camp du mal ont des contours bien différents. Il vaut mieux renoncer à comprendre l’Orient compliqué, se contenter de défendre les lieux Saints et les chrétiens de Terre Sainte et en politique intérieure française, ne pas chercher nécessairement à faire de la symétrie avec l’antisémitisme de LFI en faisant du philosémitisme.
Zabo
Pas mal !!
PaulBlaise
Excellente réflexion.
Si un barrage est nécessaire, c’est bien contre Macron et l’extrême-gauche.