Thomas Flichy de La Neuville, professeur d’histoire du droit et titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business, vient de publier un petit ouvrage, préfacé par Thibaud Collin, sur L’Empire de Bonaparte, Laboratoire de la domination absolue.
Si l’Empire de Napoléon disparut en peu de temps, la matrice institutionnelle impériale et, disons-le, totalitaire, conçue par Bonaparte survécut à sa mort. L’Empire fut le premier laboratoire industriel de la domination absolue : un monde faisant fi du principe de subsidiarité, au sein duquel la concentration de l’initiative créatrice au sommet ne laissait aux grands subordonnés que le rôle de pâles exécutants. Par la volonté de Bonaparte, l’Europe fut mise en fiches, qu’il s’agisse des acteurs clefs ou bien des ressources stratégiques. Un système d’information élaboré permettait de réactualiser ces données en permanences, assurant au général en chef une vision actualisée du paysage politique. Cet outil était propre à lui faciliter la domination militaire. Pour appréhender ce que fut le système de l’Empire, cet ouvrage redonne la parole à ceux qui en furent les témoins directs. Leur parole prophétique n’est pas vaine à l’heure où la décomposition des Nations fait de la réalité impériale la matrice du XXIe siècle.
Bonaparte a été aveuglé par ses conquêtes :
Subjuguer le continent pour la coaliser contre l’Angleterre, tel est la finalité de Napoléon. En vain le sens commun lui montre qu’une telle entreprise rallie infailliblement le continent à l’Angleterre, et que son moyen l’écarte de son but. En vain on lui représente à plusieurs reprises qu’il a besoin sur le continent d’un grand allié sûr, que, pour cela, il doit se concilier l’Autriche, qu’il ne faut pas la désespérer, mais bien plutôt la gagner, la dédommager du côté de l’Orient, la mettre par là en conflit permanent avec la Russie, l’attacher au nouvel empire français par une communauté d’intérêts vitaux. En vain, après Tilsitt, il fait lui-même avec la Russie un marché semblable. Ce marché ne peut tenir, parce que, dans l’association conclue, Napoléon, selon sa coutume, toujours empiétant, menaçant ou attaquant, veut réduire Alexandre à n’être qu’un subordonné et une dupe. En réalité, Napoléon sacrifie l’avenir au présent, et son oeuvre ne peut pas être durable. Il compromet par conséquent les acquisitions durables par les annexions exagérées, et, dès le premier jour, il est visible que l’Empire finira avec l’Empereur. L’Empire est éphémère et tout ce que la bâtisse gagne en hauteur, elle le perd en solidité.