Communiqué des Aumôniers des Etablissements Publics de Santé Mentale du Nord Pas-de-Calais:
"N’ayez pas peur des fous ! Tel est le message pascal des Aumôniers des hôpitaux psychiatriques de votre région : la mort-résurrection du Christ n’est-elle pas folie comme le disait Paul ? Nous sommes souvent dans le vendredi saint quand nous nous faisons compagnons de ceux et celles qui souffrent de fortes névroses ou de psychoses. Il arrive aussi que nous vivions la joie d’Emmaüs mais la maladie mentale demeure une réalité qui nous laisse impuissants. Ce que nous ne pouvons cependant admettre c’est de laisser penser que les personnes atteintes de troubles psychiques puissent être a priori dangereuses. C’est un mensonge qui ne correspond à aucune réalité contrairement à ce que pourrait laisser croire la mise en exergue de certains crimes commis récemment par des personnes souffrant de schizophrénie.
Ainsi, nous ne pouvons que soutenir les soignants et les associations de patients dans leur lutte contre le « projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leur modalité de prise en charge ». Sous couvert de défendre droit et protection de personnes malades, les soins sans consentement deviennent le modèle du soin psychique, faisant de l’exception, parfois nécessaire, la règle habituelle. Mais au-delà de cette loi déjà approuvée en première lecture par le Parlement, c’est la psychiatrie telle qu’elle a été conçue depuis les années quarante qui est menacée. A l’hôpital Saint Alban en Lozère, pendant la guerre, est née l’idée de « secteur », une même équipe pluridisciplinaire en nombre suffisant prenant en charge la prévention, l’hospitalisation éventuelle et ses suites. Cette perspective impliquait de prendre le temps de la relation avec le patient et son entourage pour créer un climat de confiance, nécessaire aux soins comme pour toutes les pathologies. Et cette « psychiatrie de secteur » a fait ses preuves : nous en sommes témoins. Mais sans doute n’est-elle pas assez rentable. Comment tarifer des heures d’entretien avec une personne malade ou sa famille ? N’est-il pas plus simple d’obliger à prendre un médicament ? On aura certes traité le symptôme, pas plus ! Ni rentable, ni sûr pour ceux qui veulent le risque zéro… Comment être certain qu’une personne ne sera pas dangereuse ? Les personnes atteintes de schizophrénie, pour reprendre le même exemple médiatisé, ont besoin, pour la stabilisation de leur maladie, d’être insérées socialement. Comment pourrions-nous accepter de les isoler, de les ficher, de les enfermer ? C’est un non-sens !
Nous ne nions pas la complexité des situations auxquelles nous sommes confrontées face à la maladie mentale. Mais nous ne pouvions nous taire face au risque de disparition d’un modèle de psychiatrie qui nous semble le plus pertinent. La psychiatrie institutionnelle a transformé des institutions aliénantes quasi carcérales pour en faire un des outils au service de la singularité du sujet, ouvert sur la Cité. Et on voudrait refermer les portes ? Cette psychiatrie artisanale est en train de disparaitre au profit d’une psychiatrie industrielle, l’hôpital devenant une entreprise qui se privatise petit à petit ; le malade n’est plus un patient mais un client réduit à une multitude de symptômes à traiter, pourvu que cela soit rentable. La suppression de la spécialisation en psychiatrie dans la formation initiale infirmière est symptomatique de cette dérive de la prise en charge avant tout médicamenteuse sur la base d’une nomenclature américaine (DSM IV, en attendant le V en 2012) qui vise à en réduire le coût. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que nous retrouvions des patients en errance dans la société. La nouvelle logique de soins est inévitablement excluante : l’absolu du financier engendre la dérive sécuritaire ; ceux et celles que l’on ne peut « traiter » rapidement sont à enfermer.
Mais ce sont d’abord des personnes comme les autres. Comme nous. Nous pourrions tous être comme eux. En souffrance mais pas seulement. N’oublions pas ce que ceux et celles que l’on a pu qualifier de fous ont apporté en littérature, peinture, philosophie mais aussi en théologie : songez à Ste Catherine de Sienne ou à Ste Thérèse de Lisieux, toutes deux atteintes de troubles mentaux et docteurs de l’Eglise ! Par ce message aux membres des communautés chrétiennes, nous voulions surtout rappeler qu’ils sont d’abord des frères et sœurs en humanité auxquels le Christ s’est identifié. Comment les accueillons-nous ? Nos paroisses, mouvements et services sont-ils disponibles pour se laisser déranger par leurs comportements ou leur mode de penser parfois surprenants ? Certains n’ont-ils pas traité Jésus lui-même de fou ?"