Anne Coffinier a interrogé Heather McDonald, universitaire américaine auteur de The Diversity Delusion, sur les ravages de l’idéologie woke sur les campus américains et… ailleurs.
Vavez écrit The Diversity Delusion (Diversité, Désillusion). Pouvez-vous nous décrire les effets de l’idéologie woke qui s’attaque aux universités américaines ?
Tout ce qui s’y fait est, de facto, rapporté à des considérations prosaïques, liées à l’origine ethnique et aux préférences sexuelles. On apprend aux étudiants à détester l’héritage de leur propre civilisation, parce que cet héritage est regardé comme étant trop “blanc”, trop “patriarcal”. On admet parfaitement que les étudiants soient ignorants de pans entiers de la connaissance, qu’ils ne lisent pas certains ouvrages en particulier, qu’ils n’écoutent pas certains types de musique, précisément parce que le corps enseignant adhère à l’idée – défendue par certains élèves – que ces oeuvres doivent être rejetées en raison de la représentation que les étudiants ont de leurs auteurs. Le poison d’une idéologie identitaire et profondément narcissique les conduit à regarder le monde à partir de la représentation qu’ils se font eux de leur propre “identité”, à eux, et à se penser comme victimes, dès lors qu’ils n’appartiennent pas, selon leurs termes, au camp de “l’homme blanc hétérosexuel”. Cette idéologie s’attaque aujourd’hui à toutes les organisations, jusqu’au sein des gouvernements, elle mine la méritocratie en la remplaçant par des considérations liées aux préférences sexuelles et d’égalité entre les “races”. C’est une pensée de la destruction pure et simple.
Comment est-il, sinon comment serait-il possible de mettre un terme à cette dynamique qui met en péril non seulement la liberté d’opinion, mais aussi et d’abord la possibilité-même des apprentissages ?
Vous avez raison de soulever la question de la transmission des connaissances. Beaucoup de conservateurs se sont réfugiés derrière l’idée que, pour transmettre, il fallait avant tout interroger les savoirs, les discours, et apprendre aux élèves à exprimer leur propre opinion. Et comment nier que cette démarche soit pertinente. Mais le coeur de l’acte de transmission réside précisément… dans la transmission, dans l’enseignement des connaissances. Alors il ne s’agit pas simplement ni d’abord d’apprendre à un étudiant à faire valoir son point de vue, mais, d’abord et avant tout, de lui transmettre les connaissances héritées de la civilisation à laquelle il appartient. Par ailleurs, il y a beaucoup de matières, à l’école ou à l’Université, qui ne requièrent pas, dans le cadre de leur enseignement, qu’elles deviennent matière à débattre ! Qui débat des tables de multiplication, des déclinaisons de l’allemand ou encore des premiers développements de la civilisation méditerranéenne ? Ces choses-là s’apprennent. Cela étant dit, pour restaurer à la liberté d’opinion, et pour refaire de la transmission des connaissances la première des priorités, il faut que les professeurs d’Université aient enfin le courage de s’élever contre les sirènes de l’ignorance, pour leur opposer la transmission de ce qui fait le coeur de notre civilisation : l’héritage des Lumières, l’héritage de vos propres valeurs, en France, la tolérance, l’esprit critique, l’approche empirique des questions philosophiques, à l’heure où, dans bien des universités américaines, l’objectivité et la rationalité sont des valeurs… “blanches”. Donc des valeur qui serviraient à faire taire les opprimés. A partir de là, vous comprenez bien qu’il devient difficile de soutenir des vérités qui seront facilement condamnées en tant que telles, et remplacées par de simples croyances, par des cultes. Ceux d’entre nous qui enseignent et qui ont le privilège de transmettre la littérature, l’art, la musique, la science et la philosophie, doivent se mettre en ordre de bataille et cesser de se laisser dicter leur conduite par des jeunes gens qui commencent dans la vie. Ils ne doivent d’ailleurs pas s’associer à des comportements qui sévissent au nom de la justice politique et “raciale”. Il faut qu’ils reviennent au coeur de leur métier, qui n’est pas celui d’activistes politiques, comme on tente de les en persuader depuis la grande époque des révoltes étudiantes…
Quel conseil donneriez-vous à ceux qui, en France, subissent les attaques de l’idéologie Woke ?
Ne cédez pas à la victimisation : aux accusations systématiques de racisme, de sexisme, qui se font ironiquement jour dans des sociétés qui sont parmi les plus ouvertes de toute l’histoire de l’Humanité, qu’il s’agisse de la France ou des Etats-Unis. N’oubliez pas que ces accusations, et avant tout l’expression des “opinions” sur lesquelles elle reposent, vaudraient à leurs auteurs d’être désignés immédiatement comme des cibles dans bien des pays du Tiers-Monde… Non, nous ne sommes pas coupables de discrimination. Par notre passivité, nous ne sommes pas simplement en train de laisser des gens déboulonner des statues, nous laissons des gens porter atteinte à l’honneur de nos pays, de nos Pères fondateurs… Je me dis souvent, d’ailleurs, que les jours du nom de notre propre capitale sont comptés. Washington DC, rendez-vous compte ! Cet esclavagiste. Quelle hypocrisie. Certes, ce qui était “normal” à l’époque ne l’est plus aujourd’hui ; mais c’est oublier aussi que l’esclavage a eu cours en Afrique, bien plus tôt qu’en Europe… Et pourtant, on déboulonne Abraham Lincoln, on déboulonne Jefferson, parce que, voilà, ils ne sont plus au goût du jour. Je me dis aussi que les jours de la “Maison Blanche” sont comptés, précisément parce que c’est la maison… blanche. Et je crois qu’elle ne va pas rester “blanche” très longtemps, cet adjectif renvoyant désormais à l’infamie. Il suffit bien souvent d’ailleurs, et c’est bien triste, de juxtaposer l’adjectif “blanc” à un nom, ou d’en faire l’épithète d’un nom propre pour stigmatiser un individu ou une institution. C’est la marque du diable !