Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec revient sur le sondage montrant qu’une majorité de Français ne croit plus en Dieu :
Les résultats du sondage réalisé tout récemment par l’Ifop pour l’Association des journalistes d’information sur les religions (Ajir) sont terribles. Sont-ils seulement surprenants ? Ainsi, parmi les Français sondés, il n’y en aurait plus que 49% à se déclarer croyants. Ils étaient 66% en 1947. Implacablement, le lent glissement spirituel occidental se poursuit. Et, à vue humaine, l’on peine à déceler comment un renversement de vapeur serait possible quand la crise existentielle liée à la crise sanitaire, elle-même, n’a pas su aiguiser l’appétit du religieux : 91% des sondés estiment que la pandémie mondiale ne les a pas rapprochés de la pratique religieuse. Le constat est accablant et s’ajoute à la longue liste des faits qui appellent à un examen de conscience collectif. Peut-on vivre raisonnablement sans sacré, sans visée, sans au-delà ?
L’apostasie silencieuse : figure de proue de la déconstruction
Avec Paul Valéry, nous avions appris que les civilisations étaient mortelles. Voici venu le temps, désormais, de découvrir comment une religion s’éteint lentement. Le pape Jean XXIII avait annoncé la venue d’un printemps pour l’Eglise à l’ouverture du dernier concile, l’esprit de Vatican II a plongé l’écosytème catholique dans un grand hiver. La fameuse exchristianisation d’une masse importante de fidèles évoquée par Patrick Buisson dans La fin d’un monde (Albin Michel), le néocléricalisme progressiste ayant été une véritable machine à exclure les petites gens et les pauvres. Les acteurs de Mai 68, quant à eux, nous avaient promis la plage sous les pavés. Ils nous auront finalement légué un désert. Celui des amertumes et de la déconstruction, jusqu’à entendre la candidate EELV Sandrine Rousseau se dire « hyper heureuse » de vivre en couple avec un homme déconstruit… Si cette disparition des repères élémentaires et d’une transcendance spontanée devrait nous interroger quant à ses causes, elle doit nous alerter aussi quant à ses conséquences. Ce que la chrétienté avait construit de meilleur depuis deux millénaires se trouve sinon balayé, au moins remis en cause. Indochine et Nicola Sirkis, en 1990, ne croyaient pas si bien dire dans leur titre Punishment Park : « On s’est construit et j’ai tout détruit / On s’est détruit, on a reconstruit / On s’est construit, on a tout détruit / Je m’suis détruit, on a tout détruit / On s’est puni. » Oui, l’apostasie silencieuse déconstruit et punit ce qui a fondé pendant des siècles les espaces de paix et de sociabilité établis avec soin par un Occident imbibé d’Evangile.
Chefs-d’œuvre et génie du christianisme
Si pour Socrate, « toute sagesse commence dans l’émerveillement », on serait tenté d’en déduire que toute folie commence dans le reniement. Comment ne pas voir dans cette négation de nos racines, l’avilissement en marche de nos propres permanences. Les chefs d’œuvre et le génie du christianisme ? On les retrouve en tout. En littérature, de la légende arthurienne à l’amour flamboyant, parce qu’oblatif, de Cyrano pour sa Roxane. En peinture, des Christ grossiers, et pourtant si touchants, que l’on découvre au hasard des retables de chapelles de montagne aux tableaux colorés dont nos cathédrales sont ivres. En musique, du bouleversant Cantique de Jean Racine aux complaintes religieuses des marins bretons exilés sur leur terre-neuvas. En convivialité, de la gastronomie au vêtement : du festin de Babeth au casoar du Saint-Cyrien. Dans la façon d’être, de penser, d’organiser la cité : des hôtels-Dieu aux moines copistes en passant par saint Louis rendant la justice sous son chêne. Dans la manière de vivre nos relations : de la place de la femme au rôle de la virilité, de celles qui furent nos premières reines et nos premières saintes à l’amour courtois, chevaleresque qui deviendra plus tard la galanterie française. Dans le rapport enfin à la nature et à la création, de la chartreuse à la bénédictine, de l’huile des monastères aux petits sablés des religieuses.
Du fait même de cette identité, c’est naturellement que l’amour du vrai, du beau et du bien étreint l’âme française. Avec le progressisme ambiant, chacun est prié de remiser ce triptyque suranné au placard. Finies les permanences éternelles, place désormais au développement durable ! L’audace de la charité, trop connotée, préférez-lui les gestes barrières. Dans cette atmosphère sans âme, la perpétuation de la civilisation importe peu. Le nouveau mantra porte un nom : la protection de l’environnement. Sans que l’on perçoive très bien du reste, de quel environnement il s’agit. L’environnement du laisser-aller qui saccage notre capitale, la ville lumière ? L’environnement du trafic qui ensauvage les quartiers ? L’environnement de la pornographie qui avilit la jeunesse ? Ou l’environnement fait de courage et de sacrifices, de robes de bure et de fleurs de lys, qui permit à la France de devenir la mère des armes, des arts et des lois ?
On aurait tort de ne pas voir dans le déclin religieux français, un drame lourd de conséquences. Ne pas croire, ce n’est pas déclarer le ciel vide : c’est le déconstruire pour le remplir d’idoles. L’impiété finit toujours par produire des révolutionnaires. Chesterton le disait déjà, à force de ne croire en rien, on finit par croire en n’importe quoi. Et à n’importe qui.