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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Ne pas interpréter le pari bénédictin comme un appel à quitter le monde

Dans un nouvel entretien à La Nef, Rod Dreher, auteur du Pari bénédictin, répond aux quelques critiques autour de son ouvrage. Extraits :

Comment-etre-chretien-dans-un-monde-qui-ne-lest-plus-Le-pari-benedictin"[…] L’affaire est sérieuse, et je rejoins Emile Poulat lorsqu’il décrit la culture post-religieuse de l’Occident moderne : « sans référence à Dieu, abandonnée au jugement individuel ». Ce triste constat est moins évident aux Etats-Unis, où nombre d’habitants se disent encore chrétiens. Mais nous n’avons ici guère plus qu’un pseudo-christianisme qu’un sociologue renommé, que je cite dans mon ouvrage, appelle « déisme éthico-thérapeutique » (DET), qui est au fond un culte rendu à soi. Je me rappelle les paroles prophétiques de saint Jean-Paul II sur la « culture de mort » et de Benoît XVI sur la « dictature du relativisme ». Quoique laïc, Michel Houellebecq est lui aussi, à sa manière, un vrai prophète. Difficile à lire, son œuvre n’en est pas moins un diagnostic précis et exact de la maladie mortelle qui nous affecte : le piège du sentimentalisme, où sont empêtrés tant de chrétiens ; cette croyance que le monde entier nous aimera si nous sommes gentils et discrets.

[…] C’est exactement ce que je me suis demandé à la lecture de la critique du Pari bénédictin parue dans la Civiltà Cattolica. Son auteur, le père jésuite Andreas Gonçalves Lind, y rejette ma thèse au motif que je refuserais un « vrai dialogue » avec le monde. Ce qui est absurde. Bien sûr que nous devons discuter avec tous : j’encourage même les chrétiens à former des alliances entre les différentes confessions, et même avec les mormons, les juifs et les musulmans, afin de défendre ensemble le principe de liberté religieuse. Le monde a beaucoup à nous apprendre et nous ne devons pas nous en couper. Et nous avons quelque chose à lui apporter : la vérité du Christ.

Mon problème avec le « dialogue » prôné par certains chrétiens de gauche est qu’il consiste en général à négocier les termes de notre reddition. Comme le disait saint Jean-Paul II, l’Eglise doit proposer, non imposer. Or, beaucoup de chrétiens de gauche parlent de dialogue mais se garderaient bien de proposer quoi que ce soit, à commencer par la Bonne Nouvelle, comme s’ils en avaient honte. Etre en désaccord ne signifie pas être fermé et vindicatif, que diable ! Comme l’a récemment dit l’excellent universitaire canadien Jordan Peterson, dans la recherche de la vérité, il faut savoir risquer d’offenser l’autre et d’être soi-même offensé. Rien n’est plus normal.

Nous devons dialoguer avec le monde, et pour ce faire, nous devons être confiants. Il est tout de même étonnant que j’aie plus de mal à dialoguer avec des catholiques ou des orthodoxes progressistes qu’avec des musulmans ou des fondamentalistes chrétiens, qui se trompent, certes, sur beaucoup de sujets, mais respectent tout de même la vérité. […]

Il ne faut surtout pas que les catholiques interprètent le pari bénédictin comme un appel à quitter le monde pour former des communautés de « purs ». Ce serait un véritable désastre. […]

Vous posez la règle de saint Benoît de Nursie comme un modèle de vie dont peuvent s’inspirer tous les fidèles. Pensez-vous qu’il faille pour les chrétiens opposer la morale du devoir à la morale des vertus ? 

Bonne question. L’Evangile nous apprend (Mc, 2) que la loi a été faite pour l’homme, non l’homme pour la loi. Le Seigneur parle ici de la tension féconde entre la miséricorde et la justice. Les règles sont faites pour nous révéler les vérités morales et nous conduire à notre véritable but, celui de vivre dans le Christ. Mais d’un autre côté, le rigorisme et l’idée que les règles sont une fin en soi et non une voie conduisent à l’idolâtrie. Les pharisiens idolâtraient la loi, et c’est pour cette raison que Jésus leur a dit : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors et qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés. » Gardons-nous de cette tentation.

N’allons pas pour autant nous figurer que la loi n’existe pas, ou qu’il n’est pas besoin de l’appliquer avec sérieux. Je suis d’accord avec le pape François lorsqu’il décrit l’Eglise comme un hôpital de campagne : si tel est bien le cas, nous devons soigner les âmes malades. Pour ce faire, nous ne pouvons leur appliquer le rigorisme d’une vie écrasée par la loi, mais il nous faut la dispenser, par petites doses d’abord. Cela requiert une véritable sagesse pastorale, difficile en un temps où beaucoup de fidèles et de prêtres se conduisent comme s’il n’y avait pas de loi, ni de nécessité au repentir.

Il y a trente ans, alors en pleine conversion, je rencontrai un aumônier catholique dans mon université. Naïvement, je m’imaginais qu’il me donnerait les moyens, puisque nous étions en milieu universitaire, d’approfondir intellectuellement ma foi. On ne pouvait être plus éloigné de la réalité !

Qu’il me soit permis d’évoquer un sujet très personnel. A l’époque, je me repentais d’un péché de chair : je pensais avoir mis une jeune fille enceinte. Elle me disait que, si tel était le cas, elle se ferait avorter, et je savais que, malgré mes protestations, elle y était prête, ce qui aurait fait de moi un complice de la mort de mon enfant. C’est à ce moment que j’ai pris toute la mesure des conséquences de ma conduite sexuelle, et que j’ai décidé de changer. Je croyais en Dieu, mais, me sachant pécheur, je n’avais pas pour autant l’intention de vivre chastement. Ma liberté sexuelle m’importait plus que le Christ. Après cet épisode, les choses ont radicalement changé, et je m’en suis ouvert au prêtre.

Trois mois après mon entrée en catéchuménat, j’ai quitté cette paroisse : le prêtre et la religieuse qui l’assistait ne mentionnaient jamais l’enseignement de l’Eglise. Ils se contentaient de psychologie de comptoir : aucun appel au repentir ni à la sainteté, aucune aide pour les faibles tels que moi. Au fond, tout ce qu’ils faisaient était de nous maintenir dans notre péché, de nous dire que tout allait bien, et qu’il suffisait de reconnaître que Dieu nous aime comme nous sommes. Ce qui est vrai, bien sûr ! Mais parce qu’Il nous aime, Il nous appelle à sortir d’Egypte, c’est-à-dire de l’esclavage du péché.

Or, ce que l’on m’enseignait, c’est qu’il ne s’agissait nullement d’esclavage. Pour moi, les passions étaient des maîtres terribles, dont je savais que le Christ pouvait me libérer. C’est pour cette raison que j’ai fui l’aumônerie universitaire et rejoint une paroisse en ville tenue par un vieux chanoine irlandais qui célébrait la messe tridentine. Celle-ci ne m’intéressait guère, mais je sentais que, parce qu’il la célébrait, ce prêtre avait une foi et une conviction solides. Quand je lui eus raconté mon histoire, il me dit : « Jeune homme, quand j’en aurai fini avec vous, vous n’aurez peut-être plus envie de devenir catholique, mais au moins vous saurez ce que signifie être catholique. » C’était il y a trente ans et il est sûrement mort depuis, mais j’ai toujours les larmes aux yeux lorsque je pense à lui. Il m’avait offert la plus belle des miséricordes.

La culture de mort se révèle quand la rigidité morale et le légalisme prennent le pouvoir. C’est pour cette raison qu’il fallait combattre jadis le jansénisme. Mais cette culture fleurit aussi quand la licence morale et l’absence de règles prennent le pouvoir, c’est-à-dire quand on nous promet le christianisme, mais sans la Croix. La Voie, celle du Christ, le chemin de liberté qui traverse le désert, le chemin de la vie nouvelle, est pavé de cette tension entre justice et miséricorde. […]"

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