Interrogé dans Le Figaro, Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, indique :
Je reste étonné que si peu d’intérêt médiatique et politique ait été accordé à l’abstention qui est l’événement majeur des élections municipales : c’est plus de 20 points au-dessus du niveau atteint en 2014, alors même que l’on parlait déjà, et à juste titre, d’un record. Certes, la crainte du virus explique une part importante de cette abstention, d’autant plus que le 12 mars, le chef de l’État annonçait le confinement. […] Mais pour autant, ce serait se rassurer à bon compte que de rabattre la cause de l’effondrement de la participation sur la seule crise sanitaire. Elle amplifie ou précipite une tendance plus profonde et d’autant plus préoccupante. […]
[L]a représentation médiatique est l’autre organe malade de notre démocratie : d’un côté, le monde médiatique semble vouloir ignorer ou minorer des réalités qu’il ne comprend pas où qu’il réprouve, tandis que, d’un autre côté, il se montre déterminé à promouvoir des irréalités dans lesquelles il nous demande de nous reconnaître. Ce mécanisme exerce une double violence. C’est un supplice pour le public qui n’a plus d’autre choix que de ne pas écouter et de chercher sur les réseaux sociaux la représentation du monde qui fait sens. À l’occasion des élections municipales, la « vague verte » était annoncée dans la presse dès janvier 2020. Le soir et le lendemain du second tour, c’est encore la « vague verte » qui fait la une de tous les médias. Or, il n’y a pas de « vague verte » , notamment en raison d’une abstention historique qui aurait dû constituer le principal sujet des commentaires. Songeons que, lorsque des Français votent pour des partis protestataires, ils écopent d’une condamnation morale, mais lorsqu’ils s’abstiennent, même massivement, leur absence n’est qu’à peine remarquée. Nos compatriotes sont fondés à penser que, décidément, la représentation médiatique ne les considère plus. […]
Le retour au niveau de participation électorale qui mettrait notre démocratie à l’abri d’un accident électoral ne se fera pas sans le relèvement de ces fonctions de communication. Il faut s’interroger sur la manière dont la production de ces représentations peut brouiller ou déformer l’image de la réalité, et avec quelles conséquences. Ainsi, par exemple, pourquoi les problèmes de délinquance ou les enjeux d’immigration ne parviennent-ils décidément pas à figurer au rang des questions légitimes? Pourquoi faut-il se résigner au choix de n’en rien dire ou d’en faire le sujet d’un débat outrancier? Ou encore, si l’on peut comprendre l’écho médiatique donné à l’hommage aux soignants, bien légitime, pourquoi ce silence lorsqu’il s’agit des agriculteurs et des routiers qui ont su remplir ensemble le premier des services publics, le plus essentiel de tous, qui est de nourrir le pays? Comment comprendre les règles qui président au fonctionnement de notre débat public? […]