Du P. Daniel-Ange pour le Salon beige (voir les parties précédentes ici et là):
Du côté de Rome
Au niveau de Rome, de beaux gestes pourraient être dès à présent posés. Par ex :
– La suppression du Filioque dans le Credo. Sans être hérétique, du point de vue latin, cela reste une pierre d’achoppement : c’était inadmissible de toucher au Credo, de plus en dehors de tout Concile effectivement œcuménique (Orient-Occident). S.Jean-Paul II a d’ailleurs déclaré que le seul valide est l’original de Nicée Constantinople. Ce mot est d’ailleurs effectivement supprimé dans les célébrations œcuméniques à Rome, comme à Chevetogne et Bose, ainsi que par les greco-catholiques.
– Pour l’unique date de Pâques : pourquoi ne pas simplement s’aligner sur le comput oriental ?
– Eviter toute décision personnelle du Pape pouvant heurter les Orthodoxes (je pense à ce motu proprio si brutal « Traditionis custodes » annulant le trait de génie de Benoit XVI donnant au rite de S.Jean XXIII le statut de seconde forme du même rite romain, décision applaudie par les orthodoxes). Dans le même et unique rite byzantin, n’y a-t-il pas deux formes différents de célébrer la divine liturgique (S. Jean Chrysostome et S. Basile)
– Célébrer des canonisations communes pour nos martyrs contemporains. C’était la proposition audacieuse de Jean-Paul II dans son chef d’œuvre d’Orientale Lumen. (Etant au Patriarcat de Moscou le jour où arrivait de Rome la traduction russe, le métropolite chargé des relations extérieures m’a demandé de présenter cette lettre apostolique à un congrès international d’une trentaine d’évêques. Quand je me risque à évoquer cette proposition, l’un d’eux réagit en soupirant : « oh, mais votre Pape est trois siècles en avance ! » Pourquoi, par ex. le 14 février ne pas commémorer liturgiquement les 21 martyrs coptes égorgés en Lybie, en murmurant la prière de Jésus, et canonisés une semaine plus tard par Tawadros II.(Alors qu’à Rome on béatifiait un évêque martyr arménien, …un siècle plus tard !) Le Pape a d’ailleurs manifesté toute sa compassion à cette occasion, de même que les Orthodoxes l’ont fait lors du martyre de notre frère Jacques Hamel, comme pour les trois victimes innocentes de Nice.
D’ailleurs, le premier lieu où se vit déjà la pleine communion de nos différentes Eglises-sœurs, ce sont les pays et régions où orthodoxes et catholiques, mais aussi et surtout évangéliques, sont massacrés ou brimés pour leur Foi. Toutes nos Eglises ont des martyrs, d’ailleurs plus vénérés en Orient qu’en Occident.
Les deux autres lieux où se tissent déjà une splendide fraternité : le service des pauvres – (l’Acat, les Arches de Jean Vanier, je les ai visitées en Georgie, Arménie et Ukraine – et surtout les monastères, de manière privilégiée. Nos racines ne sont-elles pas identiques ?
Quelques évocations personnelles
Pour clore, je voudrais rendre grâces pour tous les liens fraternels que le Seigneur me donne de vivre avec des orthodoxes : que ce soient des familles, prêtres ou évêques : en Angleterre, Canada, Russie, Liban, Grèce, Egypte, Arménie, comme en France ou Belgique. Avec des Hiéromoines comme P. Placide, P.Macaire de l’Athos, Mgr Syméon de S.Silouane. Avec des théologiens comme Olivier Clément, Michel Evdokimov, Aleksandr Siniakov , Vladimir Zelinsky, P. Breck, avec des moniales comme celles de Drama, Mère Hypandia de Solan et combien d’autres.. Toutes les rencontres que j’ai eu la grâce de vivre avec évêques ou même patriarches, en Turquie Albanie, Arménie, Roumanie, Liban, même Kazakhstan. Ces visitations en tant de ferventes communautés monastiques : Solan, Buisson ardent, Bussy-en-Othe, S.Silouane, La Faurie, pour ne parler que de la France. Pour tous ces pèlerinages à Sarov, Cronstadt, Sergueï Possad, Athos, Sinai, Deir el Makarios et Deir el-Souriani, etc[1]… Et encore ces missions communes, telle celle-spectaculaire- sur la Volga,de Valaam sur le lac Ladoga jusqu’à la Caspienne. Avec cette inoubliable conférence donnée à bord ou moi-même, prêtre catholique, j’initie mes frères luthériens et évangéliques, aux saints orthodoxes russes, cela sur la demande des passagers orthodoxes.
Autre événement marquant : avec mon cher frère Maxym Lysack de la paroisse orthodoxe de Montréal, prêcher ensemble aux futures épouses de prêtres dans leur séminaire de Smolensk.
Mais la plus bouleversante de toutes ces rencontres : Ce 9 septembre, nous avons commémoré avec émotion le martyre du Père Aleksander Men voici 30 ans, tué à coup de hache à l’aube du dimanche en allant célébrer la Divine Liturgie. (j’ai eu la grâce indicible de vivre une journée avec lui dix jours avant son martyre, et dix jours plus tard d’en parler à 6OOO prêtres de 125 pays, dans l’aula Paul VI au Vatican). Et depuis son départ, de demeurer en lien étroit avec son épouse ainsi qu’avec la paroisse de son si cher disciple, P. Aleksander Borisov.
Trois mots en finale. Le premier de ce Père Boris Bobrinskoy tant aimé :
« C’est du fond du calice eucharistique que l’unité est vécue et proclamée, c’est autour de l’autel ou de la table de la sainte Cène que cette unité se manifeste dans sa plus grande mesure. C’est enfin dans l’impossibilité de l’intercommunion que le drame de la division des chrétiens est ressenti dans sa plus grande intensité. Voilà pourquoi l’Eucharistie est un défi à la situation actuelle de l’Eglise, à son installation dans la division. Elle est un défi à la division des chrétiens, parce que le Christ ne peut être divisé, parce que son Corps, l’Eglise est un par nature, par promesse, par vocation. La division est donc une absurdité et un scandale, l’acceptation de celle-ci comme une règle est une contradiction et une trahison à la volonté du Seigneur. Il faut donc prier avec plus d’ardeur pour que le scandale de la division soit surmonté à la base et à l’origine[2]. »
Le second celui d’Olivier Clément, dans sa préface de Ton Nom de Braise : « Pour cette union du cœur oriental et de la quête occidentale, figure planétaire aujourd’hui de l’union hésychaste de la conscience et du cœur, permettez-moi de vous dire humblement merci. »
Le troisième de Jean-Paul II : « Puisse le Seigneur “raccourcir le temps” pour hâter le jour béni de notre pleine communion ecclésiale, buvant au même saint Calice Eucharistie ». (Orientale Lumen) !
Daniel-Ange
Ce 21 octobre, Anniversaire du 7e Concile œcuménique sur la vénération des saintes icônes
[1] Plusieurs de mes livres ont été préfacés par : P.Boris Bobrinskoy, Olivier Clément, Vladimir Zelinsky, métropolite Joseph de Roumanie, au nom de ce sa Béatitude Daniel qui a traduit en roumain mon ouvrage sur l’icône de la Trinité sainte par Saint Andrey Rubliov.
[2] B. Bobrinskoy, Communion du Saint Esprit, Ed. Abbaye de Bellefontaine, coll. Spiritualité orientale, 56, 1992, p 432-433.
VIVANT
Je ne sais pas où il va. Que vont penser les saints catholiques, ces personnes anciennement enfermées dans le mouvement sectaire de l’orthodoxie de certaines nations et qui furent libérées en se rendant dans la plénitude catholique de l’Eglise du Christ. Faire attention à la théologie de bon marché, elle ne transmet pas la vérité. Il en est de même de la miséricorde à bon marché du ‘pardon über alles’ qui nie en définitive l’Expiation de la Croix et donc la Souffrance du Fils. Le Mystère de Jésus dans les Pensées de Pascal verse tel goutte de sang pour toi.
Totodu93
Bonjour,
Sur la suppression du Filioque : cela me semble-t-il fait gravement l’impasse sur la question primordiale : quelle est la vérité? En gros ce que Monsieur l’Abbé propose, c’est de cacher la poussière sous le tapis en l’omettant. Mais dans ce cas, quelle sera l’étape d’après? De cacher sous le tapis la transsubstantiation, pour faire plaisir aux prétendus réformés? De ne pas proclamer explicitement la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, pour ne pas froisser les musulmans?
La foi n’est pas quelque chose que l’on décide de tronquer pour faire plaisir à l’un ou à l’autre. Si je veux bien concéder que la question est compliquée, le problème principal est que l’Eglise catholique n’a pas à dissimuler une partie de ses croyances pour faire un geste envers les “orthodoxes”, pas plus qu’envers les bouddhistes ou les raéliens. C’est d’ailleurs très insultant envers les “orthodoxes” : ce serait les considérer comme étant trop bêtes pour comprendre la vérité dans son ensemble, ce serait les duper en donnant une image affadie et tronquée de l’Eglise catholique et ses dogmes. Au contraire, nous possédons la sainte doctrine dans son intégralité ; quel crime ce serait de ne pas la partager intégralement et sans appauvrissement!
Point 2 : Et pourquoi devrait-on s’aligner sur le comput oriental davantage que les Orientaux devraient s’aligner sur le comput occidental? J’ajoute d’ailleurs que la date de Pâques parmi les “orthodoxes” n’est même pas fêtée au même moment ; par exemple , les orthodoxes de Finlande ont décidé d’adopter le calendrier occidental latin complètement. Et les orthodoxes sont eux-mêmes répartis entre paléoimérologites et néoïmérologites.
De manière très objective, je vois deux bonnes raisons pour lesquelles, si alignement il y a, devrait se faire dans l’autre :
-parce que le calendrier occidental a été promulgué par un Pape donc chrétien, tandis que le calendrier julien a été promulgué par un païen. les “orthodoxes” préféreraient-ils les païens aux Chrétiens catholiques?
-parce que ce calendrier est plus précis astronomiquement parlant
Mais la vraie question est : est-il gênant que les catholiques et les “orthodoxes” n’aient pas la même date de Pâques? Et la réponse est : non. Nous n’avons pas la même date de la fête de Pâques entre catholiques (les catholiques orientaux suivent le calendrier “orthodoxe”), où est le problème? Lors de la querelle quartodécimaine sur la date de Pâques au IIe siècle et que le pape saint Victor excommunia ceux qui ne suivaient pas les usages qu’il avait prescrits pour la fixation de la date de Pâques, saint Irénée intervint pour modérer le pape dans son élan quelque peu inopportun et grâce à son intervention, l’excommunication resta sans effet et la divergence lirtugique (et non doctrinale) se résolut un peu après.
J’ajoute d’ailleurs que la différence dans les dates permet aux catholiques latins de mieux découvrir les liturgies catholiques orientales en fêtant une fois Pâques chez les Latins et une fois Pâques chez les catholiques orientaux, et vice-versa.
Des canonisations communes pour nos martyrs contemporains? cela ne risque-t-il pas d’être pris comme une tentative de récupération et de spoliation, de négation de l’identité catholique ou orthodoxe de la personne?
On ne peut pas canoniser des orthodoxes tout simplement parce qu’ils sont orthodoxes, parce qu’ils ont vécu en dehors de la seule et unique Eglise du Christ, de manière délibérée. Certes, si j’admire tout à fait le sacrifice héroïque de ces coptes odieusement assassinés, si j’admets tout à fait que leur attachement au Christ doit sans doute surpasser celui présent chez au moins 99% des catholiques, si j’espère vivement avoir le courage de faire preuve du même témoignage ultime si j’étais plongé dans la même situation qu’eux, si je me plais à imaginer qu’ils ont été chaleureusement accueillis par le Christ en personne à leur mort, je ne peux pas en revanche considérer qu’ils sont morts en haine de la foi catholique, qu’ils ne possédaient pas, je ne peux pas les prier, ni les vénérer, ni les considérer comme saints catholiques.
Et la fameuse union tant vantée ne pourra se faire que par le seul moyen légitime, celui qui a été mis en application tant de fois au cours de l’histoire de l’Eglise, et encore tout récemment avec les Anglicans : le retour inconditionnel des hérétiques et schismatiques au sein de l’Eglise, qui pourra favoriser ces retours par une large mansuétude sur la question des rites. Mais quelle douleur de voir, et c’est bien la seule idée de l’article avec lequel je suis d’accord, le pape François limiter, restreindre, le rite multicentenaire de l’Eglise… Même d’un point de vue strictement et purement oecuménique, c’est une catastrophe : si le Pape François traite aussi mal les catholiques, comment les “orthodoxes” ou prétendus réformés seront-ils traités s’ils veulent revenir dans le giron de l’Eglise?