Suite au débat autour du terme "libéral", Henri Hude, philosophe, poursuit :
"Si je résume une longue histoire, le sommet de l'opposition est atteint avec le Syllabus de Pie IX (1864). Léon XIII travaille à un discernement entre libéralisme et liberté, dans l'importante encyclique Libertas praestantissimum (1888). Il serait désastreux que s'installât une opposition entre une religion qui serait liberticide et une liberté qui serait déicide. Dieu et la liberté doivent être conjugués : c'est la définition même du christianisme. "Où est l'Esprit de Dieu, là est la liberté." (Saint Paul, 2ème épître aux Corinthiens, 3, 17). […] Les lecteurs de l’article précédent auront bien compris que mon intention n’est pas d'intervenir à ce niveau, ni de prendre une position politique, ni d’étudier des doctrines économiques ou politiques, mais de nous aider à nous réapproprier le vocabulaire, les mots, en leur rendant leur sens. […]
Le mot « libéral » (je le répète) est un vieux mot français, qui existait bien avant qu’on ne parle de libéralisme ou d’antilibéralisme ou d’ultra libéralisme. Ce mot a fait longtemps une carrière parfaitement honorable, servant à qualifier la culture des « arts libéraux », l’« éducation libérale » ou la vertu morale de « libéralité », c'est-à-dire celle de la personne dénuée aussi bien de prodigalité que d’avarice. Je ne vois pas de raison pour laisser tomber dans l’oubli ces précieuses strates de signification. Notre raison y plonge ses racines. […] Il n’y a aucune raison pour permettre aux idéologies de s’asseoir à la première place de notre dictionnaire intérieur, et de dicter le sens des mots que nous employons, sans nous laisser la liberté d’entendre en eux le bruissement de leur longue histoire. Les mots sont faits d’abord pour désigner, non pour exciter, flétrir ou vanter. C’est pourquoi je crois juste aussi de parler d’individu libéral pour désigner une personne bien élevée, cultivée, généreuse. Si maintenant par la pensée je compose une société comprenant (comme il n’est pas absurde de l’imaginer) un nombre suffisant d’individus libéraux, au sens qu'on vient de dire, on peut espérer que par leur influence positive, ces individus feront lever la pâte sociale ; et ainsi pourra-t-on parler à raison de « société libérale », au sens d’une société dotée d’une culture de grande valeur, influencée par de tels individus.
La liberté, au sens du « libre-arbitre », est une des propriétés de l’homme, par lesquelles il est à l’image de Dieu. La liberté n’est pas simplement l’indépendance, et encore moins l’insubordination ou l’anarchisme, mais la capacité d’autodétermination raisonnable et volontaire. Aimer la liberté, me paraît raisonnable et juste, si par « liberté » nous pensons à la dignité du « libre-arbitre », et au respect que nous méritons quand nous en faisons bon usage. […] Je crois donc pouvoir aussi nommer « libéralisme » la position de tous ceux qui sont partisans d’une « société dans laquelle on aime la liberté ». Je veux dire, non pas celle dans laquelle on fait tout ce qui vous chante, car cela s’appelle la jungle des égoïstes : mais celle dans laquelle il est communément reconnu que l’homme est doté de « libre-arbitre » ; et qu’il se rend digne d’estime, quand il a la résolution d’en bien user, et qu’il met en œuvre cette résolution ; une société dans laquelle on apprécie la libéralité, non l’avarice ou la prodigalité irresponsable ; une société dans laquelle on cultive et enseigne les arts libéraux.
Bien entendu, ce n’est pas là le sens usuel du mot, qui désigne plutôt des traditions de pensée politiques ou économiques. Mais ces traditions, si elles sont raisonnables, et justes, devront trouver moyen de se raccorder au sens précédent, qui me semble fondamental. […] Mises à part ces traditions, le mot de libéralisme reçoit aussi son sens de l’emploi qu’en font les média et les politiciens. Mais faut-il laisser aux média ou aux politiciens la fixation du sens des mots ? Le langage est un bien trop précieux pour être confié aux média, tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui. Et si la politique est une affaire trop sérieuse pour être laissée tout entière aux politiciens, à plus forte raison, aussi, le langage."
Bergstein
Ce que monsieur Hude oublie de dire, c’est que le sens du mot “libéral” (dans son acception politique) a été clairement défini par la sainte Eglise, que c’est un sens éminemment négatif et que c’est ce sens que nous devons employer.
Pour l’Eglise, un libéral est celui qui veut concilier la foi chrétienne et les principes de la Révolution. Tout le XIXe siècle, et une bonne part du siècle suivant, regorge de cet enseigmenent.
A partir de là, on doit adopter ce sens (et toutes les idées qu’il renferme), et surtout cesser tous ces faux raisonnements et ces arguties qui, finalement, n’ont qu’un but : réchauffer le vieux libéralisme condamné par l’Eglise.
Au sens où l’entend l’Eglise, on ne peut pas être libéral. On ne peut pas concilier la Foi et la Révolution. Point barre.
[Ben non pas “point barre” :
http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2008/12/la-base-du-lib%C3%A9ralisme-est-dans-la-relation-avec-dieu.html
MJ]
Bergstein
Au sujet du sens du mot libéral, ou du libéralisme, tout est dit dans le livre de don Sarda, intitulé “le libéralisme est un péché”, consultable sur internet :
http://www.christ-roi.net/index.php/Le_libéralisme_est_un_péché_-_Don_Félix_Sarda_y_Salvany_-_01
Ce livre reprend les principales définition de l’Eglise sur le sujet.
C’est l’Eglise que nous devons suivre, et non pas le sieur Hude qui est le milième soldat de la libéralisation des esprits.
[Ce livre constitue une approche partisane -et défendable- de cette notion. Mais elle n’est pas forcément une analyse du Magistère.
MJ]
AleX-fr
En fait, ce que souhaite faire ce bonhomme, c’est changer la définition d’un mot clairement défini depuis plus de deux siècles, pour en revenir à une plus ancienne, tout à fait anachronique donc, de manière à pouvoir rendre le mot “libéral” de nouveau utilisable dans le vocabulaire catholique ?
Son projet est ambitieux, mais complètement délirant ! On sait tous ce qu’est et constitue le libéralisme, et vouloir rapprocher les deux définitions antagonistes de ce terme, ça n’a absolument aucun sens. Sans compter la nocivité qu’engendrerait cette confusion, et l’avènement de catholique prônant le libéralisme (dans le sens de ce monsieur) tout en se sachant anti-libéral (dans le sens courant du terme)…
[“On sait tous” ? Ben non :
http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2008/12/la-base-du-lib%C3%A9ralisme-est-dans-la-relation-avec-dieu.html
MJ]
Bergstein
Le livre de don Sarda n’est en effet pas, en soi, une analyse du magistère. Mais il comprend un grand nombre de citations d’encycliques des Papes qui condament expressément, et en toutes lettres, le libéralisme.
Notre langage doit être celui de l’Eglise, et non pas celui des catholiques libéraux qui sont la principale plaie de l’Eglise.
bébert
j’ai été surpris de voir toutes ces notions rappelées sur ce blog
mais je vois que tout de suite les tenants de l’étatisme se sont manifestés
ils devraient se souvenir que Versailles fut restauré grâce à des “libéralités”
et on peut se demander si le grand Roi Louis XIV lui-même ne sut pas conjuguer les deux termes “libéral” et “royal”
Xavier Soleil
Monsieur Hude se fait sans doute plaisir en essayant de remettre en honneur un ancien sens du mot “libéral”, qui n’a d’ailleurs peut-être jamais existé.
Quant aux déductions sociales et politiques qu’il prétend en tirer, – par exemple en affirmant : “Je crois donc pouvoir aussi nommer « libéralisme » la position de tous ceux qui sont partisans d’une « société dans laquelle on aime la liberté.» ” – elles contribueront un peu plus à obscurcir un débat déjà difficile. Je ne vois dans quel sens elles feront progresser l’histoire – une histoire que plus personne ne comprends plus.
AleX-fr
@MJ,
Et oui, en effet, encore et toujours cette confusion entretenue entre plusieurs définitions de ce terme. Vouloir réhabiliter une définition plus ancienne, qui a par la suite été pervertie, je veux bien le comprendre. Mais de là à vouloir introduire ce mot dans le vocabulaire catholique, sachant l’idéologie à laquelle ce mot et le concept qui y est rattaché renvoie lorsqu’il est employé dans un cadre politique ou philosophique, je n’y voit aucun sens. C’est le meilleur moyen pour rendre notre message encore plus confus qu’aujourd’hui…
[Autant décréter que nous avons définitivement perdu la bataille des idées… MJ]
bébert
les ennemis du libéralisme devraient aussi s’interroger sur l’existence des “professions libérales” qui leur garantissent pourtant une liberté de choix (avocat, notaire, médecin)qui n’existe pas lorsque les services sont procurés par une structure unique agissant par monopole (=dictature de type soviétique)
Mingdi
Wikipédia n’est pas très bavarde sur Henri Hude : ancien directeur de Stanislas et professeur à Coëtquidan. Gageons qu’il y aura moins d’ennuis que l’excellent Aymeric Chauprade. Les nouveaux philosophes se démodent vite. BHL fait maintenant plutôt rire qu’autre chose. Onfray est contraint de s’en prendre à l’icône Freud pour continuer à exister. Et Comte-Sponville, vous vous en souvenez? Réhabiliter le libéralisme auprès des maurrassiens, ça c’est fort. Hude passera-t-il l’hiver 2011? Je crois que je préfère Buxtehude à Hude.
Hérisson
Je cite :
“Il serait désastreux que s’installât une opposition entre une religion qui serait liberticide et une liberté qui serait déicide.”
“La liberté, au sens du « libre-arbitre », est une des propriétés de l’homme, par lesquelles il est à l’image de Dieu. La liberté n’est pas simplement l’indépendance, et encore moins l’insubordination ou l’anarchisme, mais la capacité d’autodétermination raisonnable et volontaire. Aimer la liberté, me paraît raisonnable et juste, si par « liberté » nous pensons à la dignité du « libre-arbitre », et au respect que nous méritons quand nous en faisons bon usage.”
L’opposition de la première citation s’explique par la restriction de la seconde : Le libre-arbitre est une condition de la Liberté mais n’est pas la Liberté chrétienne.
Pour faire simple : pour être Libre il faut pouvoir choisir, mais choisir n’importe quoi ne rend pas Libre.
Ces deux degrés de la liberté quand l’un ou l’autre est mal compris est source de quiproquos infinis.
Ainsi il est des “libertés” (au sens de libre arbitre) qui aboutissent au pire des esclavages, c’est même la grande catastrophe de ce monde où la liberté extérieures (capacité de choix) semble infini mais où la liberté intérieure (engendrée par le choix du bien) est détruite méthodiquement…
Hérisson
Je cite :
“Il serait désastreux que s’installât une opposition entre une religion qui serait liberticide et une liberté qui serait déicide.”
“La liberté, au sens du « libre-arbitre », est une des propriétés de l’homme, par lesquelles il est à l’image de Dieu. La liberté n’est pas simplement l’indépendance, et encore moins l’insubordination ou l’anarchisme, mais la capacité d’autodétermination raisonnable et volontaire. Aimer la liberté, me paraît raisonnable et juste, si par « liberté » nous pensons à la dignité du « libre-arbitre », et au respect que nous méritons quand nous en faisons bon usage.”
L’opposition de la première citation s’explique par la restriction de la seconde : Le libre-arbitre est une condition de la Liberté mais n’est pas la Liberté chrétienne.
Pour faire simple : pour être Libre il faut pouvoir choisir, mais choisir n’importe quoi ne rend pas Libre.
Ces deux degrés de la liberté quand l’un ou l’autre est mal compris est source de quiproquos infinis.
Ainsi il est des “libertés” (au sens de libre arbitre) qui aboutissent au pire des esclavages, c’est même la grande catastrophe de ce monde où la liberté extérieures (capacité de choix) semble infini mais où la liberté intérieure (engendrée par le choix du bien) est détruite méthodiquement…
Emmanuel
@ tout les lecteurs du SB qui sont anti-libéraux. Peut-être en particulier ceux qui tiennent à le rester ainsi que ceux qui ont un peu de peine à imaginer pouvoir faire ce sain exercice qui consiste à remettre en question ses convictions.
J’observe que pour étayer votre “anti-libéralisme”, vous faites mention de certains auteurs qui ont condamnés le libéralisme. Je n’objecte pas au principe de renvoyer à des auteurs et leurs écrits. Le SB a le grand mérite de permettre le débat mais je note simplement que l’on ne peut donner consistance à une réplique sur un sujet aussi difficile, qu’en tenant compte de l’espace qui y étant naturellement limitée.
Un débat doit rester honnête, surtout en bonne compagnie. Pour avancer des arguments, je propose qu’on aille à la source.
Au lieu de faire référence à des auteurs qui ont développé les raisons de leur condamnation du libéralisme, je propose à ces honorables lecteurs du SB très remontés vis à vis de cette doctrine, de faire dorénavant référence à des auteurs-penseurs qui s’affichent libéraux et dont les écrits font (ou feraient) apparaître clairement une incompatibilité substantielle et fondamentale entre libéralisme et Chrétienté.
loutre
A Hérisson : Selon la définition de S. Anselme pourtant le libre arbitre est bien inclue dans la liberté (et non pas seulement une condition). Cette définition est complètement catholique, S. Thomas lui-même ne reviendra pas dessus. Le libre arbitre selon ce bon S. Anselme ne peut pas conduire à l’esclavage puisqu’il est soumis au bien. On pèche par sa décision qui est libre et non pas par sa libre décision.
Hérisson
A Loutre
Je ne suis pas forcément un grand théologien ou philosophe,
Il me semble que la Liberté chrétienne c’est de choisir le Christ qui est la vrai Liberté.
Le libre arbitre que vous pouvez inclure dans la liberté en est la condition sine qua non, car sans libre arbitre il n’y a pas de Liberté possible…
Si l’on se damne s’est la conséquence d’un libre arbitre non ordonné au Bien et donc aussi un esclavage.
Votre dernière phrase me laisse dans un abîme de perplexité qui ne peut se comprendre pour ma faible intelligence que si vous jouer sur le double sens de liberté (libre arbitre vs liberté chrétienne)
Si le libre arbitre est la Liberté et est donc soumis au Bien ; mais alors comment expliquer la différence entre la possibilité d’agir sans contrainte (que j’appelle libre arbitre et qui est l’angle mort de votre définition) de celle de choisir le Christ qui est notre Liberté ?
Theopol
L’enjeu n’est-il pas justement de penser la liberté débarrassé du libéralisme, tout comme il faut concevoir l’égalité contre l’égalitarisme (et la fraternité contre la franc-maçonnerie) ?
Ainsi ne doit-on pas repartir de l’origine de la pensée sur la liberté; de Saint Jean qui nous dit que “cette vérité vous rendra libres”. Ainsi on ne pense plus la liberté toute seule, mais comme le corrélat et le fruit de la vérité. C’est à partir de cela qu’on peut COMBATTRE LE LIBERALISME AU NOM DE LA LIBERTE. Par exemple, on peut dire que l’avortement, s’il est un fruit du libéralisme (qui reste sous la condamnation du Syllabus, cela va de soi) n’est pas un acte libre, parce qu’il n’est pas un acte vrai.
C’est à partir de là que les discussions peuvent devenir intéressantes.
loutre
Réponse à Hérisson : Des théologiens parlent de la liberté comme capacité d’initiative dans le bien (ce qui mêle la vision du libre arbitre de S. Anselme et la notion de liberté :”choix du bien” de S. Thomas)C’est donc la meilleur synthèse, à mon sens, sur la liberté. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il n’y a pas de “double sens” avec la liberté d’un côté et le libre arbitre de l’autre, l’un soumis au bien et l’autre lieu du péché. Non, la liberté (qui comprend le libre arbitre)s’exerce dans la recherche du bien et elle se perd (et donc le libre arbitre aussi)en péchant. Il faut donc faire la distinction entre péché par notre décision libre (c’est à dire en abusant de la liberté et donc en la perdant) et un éventuel “péché par notre libre décision” : on pèche mais puisqu’on la perd ce n’est jamais elle qui nous fait pécher. Adam et Eve n’ont pas péché à cause de la liberté mais en abusant de cette liberté qu’ils ont perdu (cf le catéchisme de l’Eglise Catholique)
Hérisson
A Loutre
Nous ne pouvons être libre sous contrainte sinon nous sommes des robots, nous ne pouvons être libre sans choisir le bien sinon nous sommes des esclaves du péché.
Il est clair que la liberté est dans le choix du bien néanmoins pour choisir ce bien encore faut-il le pouvoir…
Il y a donc bien deux notions être libre suppose de pouvoir choisir (sinon nous sommes des robots) et de choisir le bien, sinon nous devenons esclave du démon.
Donc je suis d’accord avec vous la liberté se perd en péchant, elle se perd aussi d’une autre manière dans la contrainte, si l’on m’empêche d’agir bien.