Extrait d'une tribune de Mathieu Bock-Côté dans Le Figaro :
"Le monde occidental s’est habitué depuis longtemps à la persécution des chrétiens d’Orient, comme si leur mauvais sort était inévitable et qu’il fallût s’y résoudre. Le christianisme serait destiné à mourir ou à n’avoir plus qu’une existence résiduelle dans ce qui fut pourtant son berceau. Alors qu’ils sont enracinés depuis deux millénaires dans la région, les chrétiens sont présentés par les islamistes comme des envahisseurs ou comme des agents de l’étranger, souillant une terre qui devrait être vouée exclusivement à l’islam. Dans nos sociétés, ceux qui se soucient de leur sort sont même soupçonnés d’accointances avec l’extrême droite, qui serait apparemment parvenue à s’approprier cette cause et à en faire un marqueur idéologique. La passion pour leur cause ne masquerait-elle pas une coupable islamophobie ou une conception identitariste du christianisme ? C’est ainsi qu’on transforme la révolte devant un massacre à grande échelle en lubie réactionnaire.
Mais la frappe sauvage contre deux églises coptes en Égypte ce dimanche rappelle à ceux qui s’en fichent que la guerre d’éradication menée contre les chrétiens d’Orient est bien réelle et n’a rien de fantasmatique. On connaît le bilan : on décompte au moins 43 morts. C’est un carnage. L’attentat a été revendiqué par l’État islamique, qui ne fait pas mystère de ses intentions : éradiquer le christianisme de la région, soit en assassinant les chrétiens, soit en les expulsant massivement. Il faut leur faire comprendre qu’ils ne sont plus chez eux. On a longtemps dit qu’ils avaient besoin d’un protecteur. C’est plus vrai que jamais. Mais qui veut jouer ce rôle ? Longtemps, ce fut la France. Depuis quelques années, la Russie de Poutine a réclamé ce rôle, comme si, devant une Europe reniant ses origines chrétiennes, elle était appelée à prendre le relais. Aujourd’hui, les chrétiens d’Orient se sentent abandonnés, surtout lorsqu’ils refusent de quitter une région du monde dans laquelle ils sont enracinés.
[…] la civilisation européenne ne devrait-elle pas être interpellée dans son identité par la question des chrétiens d’Orient ? Ne devrait-elle pas se dire que c’est une part d’elle-même qui est agressée quand on s’en prend à eux ? À tout le moins, la civilisation européenne devrait entretenir une relation particulière avec les chrétiens d’Orient. Elle devrait se sentir une forme de proximité existentielle avec eux, en sachant qu’une part de ses origines se trouve à l’extérieur d’elle-même. L’élan spirituel qui un jour l’a fécondée et lui a donné son génie spécifique vient d’un monde à peu près englouti dont ils sont les derniers gardiens. Cela implique toutefois que l’Europe reconnaisse enfin sa marque chrétienne ou, plus exactement, qu’elle ne cherche plus à la gommer comme s’il s’agissait d’une tache existentielle l’empêchant de se projeter pleinement dans l’universel. Cela implique que l’Europe n’imagine plus qu’elle doive se construire en se déconstruisant.
Le double attentat du 9 avril n’éveillera probablement pas les consciences : nous sommes désormais insensibilisés contre la barbarie et la violence la plus extrême. Cela ne devrait pas nous interdire de nommer les choses comme elles sont : nous sommes devant une tentative d’extermination d’un peuple et, d’une certaine manière, d’une civilisation. Mais puisque nous avons décidé depuis longtemps que le christianisme est la religion de l’Occident dominant et qu’il ne saurait qu’être persécuteur, et jamais persécuté, on ne peut l’imaginer dans le rôle de la victime. Nos lunettes idéologiques déforment notre rapport au monde : nous refusons d’entendre la douleur de communautés qu’on condamne à la mort, à la soumission la plus humiliante ou à l’exil. Nul ne prétend avoir une solution politique parfaite pour assurer la défense des chrétiens d’Orient : il n’y a pas en politique de baguette magique. Mais la civilisation européenne devrait savoir que dans son rapport aux chrétiens d’Orient et dans sa réaction par rapport à leur persécution, elle joue aussi son âme."