A quarante ans, Jean-François Chemain a quitté tout son environnement professionnel pour devenir professeur d’histoire en zone d’éducation prioritaire. Il a acquis depuis une forte expérience qui lui a offert un certain regard sur la laïcité. C’est ce regard qu’il a offert à RCF Corsica :
"J’ai bien creusé la question de la laïcité et je crois être capable d’apporter un point de vue original qui me paraît, en toute immodestie, relativement juste par rapport à un point de vue officiel qu’on nous martèle un peu partout et qui me paraît moins en place que celui que j’ai essayé de développer.
Enseignant dans une zone d’éducation prioritaire, j’enseigne à un public qui est dans son immense majorité musulman ou en train de le devenir. C’est un perpétuel challenge que d’enseigner des questions relatives à notre civilisation comme la laïcité. Mes élèves interpellent cette question de la laïcité comme du christianisme qui n’ose pas dire son nom. Je peux vous prendre un exemple tout simple : si on leur dit que la France est laïque, que c’est la neutralité religieuse qui impose qu’on mange tous la même chose à la cantine, eh bien, pour eux, ils me diront : « non, manger n’importe quoi à la cantine c’est chrétien car les chrétiens n’ont pas d’interdit alimentaire. Il n’y a pas de neutralité ». Et j’entends ce même genre de raisonnement dans les cours de géographie et beaucoup dans ceux d’éducation civique aussi.
Mes élèves me disent donc que ce pays est chrétien et qu’il n’ose pas dire son nom sous couvert de laïcité. Toutes ces réflexions m’ont ainsi amené à creuser ces questions et à en faire un livre.
Comment doit on alors répondre aux élèves qui vous interpellent ainsi ?
Je crois qu’il faut répondre en tout franchise mais rester très prudent surtout quand son discours est trop différent du discours officiel. Mes élèves sont prêts à entendre que oui, ils n’ont pas tort : ce pays a été infusé par au moins 15 siècles de christianisme. Et finalement tout ce qu’ils y trouvent est très largement imprégné de christianisme, comme la laïcité.
J’ai essayé de démontrer qu’elle est une exigence chrétienne qui n’est pas, comme on nous le raconte, le combat de l’Etat pour se libérer de la tutelle de l’Eglise mais le combat de l’Eglise pour se libérer de la tutelle de l’Etat. Dire je suis laïc, c’est dire je suis chrétien. Nous sommes laïcs parce que nous sommes chrétiens. Ces jeunes qui ont un sens religieux très marqué, qui ont un sens très marqué de la vérité sont parfaitement capables de l’entendre : à leurs oreilles, ça sonne juste, alors que dire qu’on est laïc parce que neutre ou inversement, pour eux ça sonne faux. La laïcité, c’est pas neutre et ils ont raison.
Il n’y a pas si longtemps, vous n’étiez pas ce professeur d’histoire. Qu’est ce qui vous a pris de franchir le cap ?
Vers la quarantaine, en milieu de vie professionnelle je me suis demandé ce qui faisait sens pour moi. J’avais un travail très axé sur l’économique. J’avais des préoccupations de croyant et de citoyen que je regardais de très loin. Je me suis dit qu’il fallait que j’unifie mon être et que les raisons de me lever le matin pour aller travailler soient en phase avec les raisons que j’avais d’enquiquiner ma famille le soir avec mes grandes considérations politico-religieuses. J’ai aussi connu une expérience de conversion assez forte à la trentaine.
Il y a eu les ingrédients pour que je démissionne de mon entreprise et que j’intègre l’éducation nationale à 45 ans après l’agrégation et un doctorat d’histoire. J’ai eu la vocation d’aller au devant des jeunes des ZEP. C’est fatigant et très fort. Du bonheur. Oui, il y a de la violence. Mais surtout énormément d’amitié à partager."