Michael D. O’Brien, peintre et écrivain canadien, est l’auteur de nombreux romans dont Père Elijah, La librairie Sophia, Une île au coeur du monde, Theophilos, L’odyssée du père, Père Elijah à Jérusalem et Le fou de New York, tous publiés en français chez Salvator.
Son nouveau roman, Etrangers et de passage, paru en juin 2017, se déroule en Colombie Britannique, où il retrace, sur un siècle et quatre générations, la vie d’Anna et Stephen Delaney et de leurs descendants. À la fin de la Grande Guerre, Anna, une Anglaise très cultivée, débarque dans cette province du Canada, avec des rêves d’aventure et le désir de tourner le dos au monde civilisé. C’est là qu’elle rencontre Stephen, un trappeur, immigré irlandais, qui fuit son passé. Dans ce roman, l'auteur explore le mystère de l’existence, l'amour, le bien et le mal… Extrait :
"Y a des mauvais et des bons esprits dans le monde, Tan. Les chiens parfois reconnaissent un mauvais esprit, ils grognent et ils ont peur. Ils reconnaissent aussi les bons. Les animaux savent. Le monde des esprits est dangereux. Y a une vraie bataille terrible qui se déroule !" […] Quand le garçon raconta cela à son père, Ashley eut l'air dégoûté. "Encore des démons, hein ? Tan, tu t'apercevras qu'il est plus dur de déloger les préjugés d'un homme sur le surnaturel que d'apprendre à lire à un chien." Cela mit un terme à la discussion.
Excepté une dernière conversation avec son autre grand-père. Quand il fut interrogé, le vieil Irlandais s'avéra avoir de vraies convictions sur le sujet. "Regarde la lumière, garçon. Elle a l'air invisible, non ?" "Oui." "Mets là à travers un prisme et tu obtiendras toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Sais-tu qu'un cerf ne voit pas les couleurs que nous voyons ? Il est daltonien et c'est pourquoi les chasseurs peuvent porter de l'orange vif sans se faire remarquer. Eh bien, je pense que d'une certaine façon nous sommes comme les cerfs. Nous sommes aveugles à certaines couleurs, à certains esprits, à des parties de ce qui est réel. Nous sommes petits et ignorants mais nous avons un gros paquet d'orgueil. Nous sommes les plus aveugles quand nous pensons que nous voyons le mieux." […]
"Tan, nous avons quelque chose de bien plus puissant que tous les bons ou mauvais esprits de l'univers, plus puissant que tout le savoir humain. Nous avons le droit de décider si nous allons faire le bien ou le mal. Cela fait de nous quelque chose de spécial, fiston, et de dangereux aussi." Il tirait sur sa pipe. Ils réfléchissaient ensemble.
"Bien sûr qu'il y a de mauvais esprits. Je les ai vus à l'oeuvre. Je les ai entendus chuchoter dans mon coeur. Ce sont des menteurs, des bluffeurs. Mais ils te dirigeront si tu les laisses faire. Résiste-leur et ils s'enfuiront".
"Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce comme cela ?"
"Je n'ai pas beaucoup de réponses, Tan. Je suppose que c'est le vieux problème du mal. Quand nous manquons de mots nous appelons cela un mystère."