Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
Une vaste enquête de la CFDT et de la Fondation Jean Jaurès menée par Ipsos s’est intéressée au quotidien que les Français appellent de leurs vœux. Cet idéal de société apparaît très éloigné de ce que laisse penser la petite musique médiatique.
Le résultat est sans appel : au no borders de l’idéologie “startup nation”, les Français préfèrent le clos de leur chère maison qui leur est « une province, et beaucoup davantage » pour reprendre les vers du poète. Dans les pages du Figaro, Ronan Planchon ne pouvait mieux résumer la leçon à tirer de cette enquête sur la société idéale de demain telle que se l’imaginent les citoyens de l’hexagone. Elle offre
« la confirmation du décalage abyssal entre l’horizon désirable des Français, celui que nombre des médias leur prêtent et ce que la politique veut pour eux ».
En vrac, l’étude de la Fondation Jean Jaurès témoigne que 70% des sondés préféreraient habiter une petite ville, un village ou à la campagne. Une très large majorité estime qu’il faudrait réduire la place de la publicité dans la société. Fait massif : seuls 5% des Français pensent qu’il faudrait laisser la société dans son état actuel, quand 59% des personnes interrogées jugent nécessaire de « réformer la société en profondeur » ou de « la transformer radicalement ». En matière de rythme de vie, près de 3/4 estiment que la vie va trop vite. Le sentiment d’être dépassé se vérifie aussi à propos du développement des nouvelles technologies. Une majorité se déclare inquiète, voire effrayée, par certaines perspectives liées à la robotisation, au transhumanisme ou aux progrès de la réalité virtuelle explique l’enquête. 70% déclarent qu’à l’idéal de la vie en couple correspond une fidélité sans faille. A cet égard, pour déterminer si une personne a réussi sa vie, les critères comme « vivre en accord avec ses valeurs » (43%) ou « fonder une famille solide » (35%) écrasent celui d’avoir de l’argent (13%). Alors que la disparition du service militaire et le passage à une armée de métier ont réduit les effectifs à seulement 250.000 hommes (l’image forte fait dire que l’ensemble de nos forces armées tiendrait dans le Stade de France), 69% apprécient les commémorations historiques comme le 1er mai ou le 11 novembre. Lorsque l’on voit les polémiques répétitives et stériles autour des crèches dans les mairies ou des formules telles que « Joyeux Noël », 65% considèrent au contraire que les grandes fêtes religieuses fériées ont une grande importance. Dans un pays comme la France où le dogme d’une laïcité combative a valeur de mantra, le résultat peut surprendre.
Connaître le sens de la vie
Quel prolongement donner à ces chiffres ? Gustave Thibon expliquait qu’en psychologie, il n’y a pas de faits vierges, il n’y a que des faits fécondés. D’où la nécessité de veiller sur l’élément fécondant, c’est-à-dire sur l’esprit et la liberté, au moins autant que sur l’élément fécondé. « L’initiation, pour les Anciens, consistait dans un enseignement spirituel et doctrinal plus que dans l’expérience matérielle de la vie. Car il est quelque chose de plus important que de “connaître la vie”, c’est de connaître le sens de la vie. » écrivait le paysan philosophe dans son essai Notre regard qui manque à la lumière (Fayard, 1970)
Cette quête intérieure que chaque citoyen serait en mesure de combler, voilà le secret d’une société idéale. En 2016, le président de la Fondation Jérôme Lejeune pointait le vague à l’âme de notre société déboussolée – c’est-à-dire au sens propre « sans repères » – n’hésitant plus à fricoter avec l’eugénisme et le racisme chromosomique. Dans son ouvrage Les premières victimes du transhumanisme (Editions Pierre-Guillaume De Roux), il en appelait à retrouver le sens précieux de la vie :
« Nous avons besoin d’une Politique, ou mieux encore d’un Régime politique qui – par principe – ne tient pas la vie humaine pour un hasardeux foisonnement du vivant, ne l’utilise pas comme banc d’essai pour la technoscience et ne l’asservit pas à des finalités lucratives. »
Bernanos, prophète et docteur
En 2024, hier comme demain, autrefois comme en 2050, une société idéale ne peut être que celle qui saura préserver les conditions de sa continuité en investissant sur la jeunesse, l’avenir et les permanences : la famille, les repères moraux, la paix civile. A cet égard, l’association Fipeco, créée pour présenter, en toute indépendance, des informations et des analyses sur les finances publiques et l’économie, faisait récemment remarquer que la répartition des dépenses publiques entre 1995 et 2022 avait été passablement déformée. En trente ans, la proportion de prélèvements obligatoires affectées à la famille, à l’éducation, à la recherche et à la défense n’a eu de cesse d’être revue à la baisse…
Bernanos, en prophète, nous avertissait déjà :
« Une civilisation ne s’écroule pas comme un édifice ; on dirait beaucoup plus exactement qu’elle se vide peu à peu de sa substance, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’écorce. »
Comme vœu pour 2024, nous pourrions formuler, pour une France idéale, le souhait de la lucidité et du courage. La lucidité, pour « en finir de prendre la maladie de la civilisation pour la civilisation, le cancer pour l’organe ». Le courage, pour surmonter la tentation du désespoir. Julien Freund indiquait d’ailleurs dans son Histoire sociologique et philosophique de la décadence que Bernanos aimait courir le risque du combat du fait même de sa foi chrétienne.
En vérité, il n’y a de chance que si l’on prend des risques. Mais il s’agit de le faire dans l’honneur qui seul est compatible avec la dignité d’un homme libre. Une poignée d’hommes lucides et courageux peut constituer le sel de la terre. Le sel de la terre ? Oui, « le Bon Dieu n’a pas écrit que nous étions le miel de la terre mais le sel. (…) Du sel sur une peau à vif, ça brûle. Mais ça empêche aussi de pourrir ». A l’abordage d’une nouvelle année, souhaitons avec l’auteur de La France contre les robots que ça brûle un peu en 2024. Et que France reverdisse !