Tribune de Jean de Tauriers, président de Notre-Dame de Chrétienté, parue dans Famille chrétienne :
Un an après le Motu Proprio Traditionis Custodes, la lettre du pape François Desiderio Desideravi confirme clairement sa volonté de faire disparaître la liturgie tridentine. Des propos incendiaires par temps caniculaire ! Quelques réactions élogieuses s’entendent ici et là, les seules qui osent s’exprimer publiquement dans notre temps étrange « de dialogue synodal et de partage de cheminements ». Après le Motu Proprio Traditionis Custodes, on parlait de « stupeur », « d’incompréhension », de « colère » des fidèles, traditionalistes ou non.
Que dire, au bout d’un an ? Car en réalité, le « dialogue synodal » tant attendu, pour chercher à se comprendre mutuellement, n’a pas eu lieu. Aucune réflexion sur les raisons profondes des choix des fidèles dits « traditionalistes » ; aucune attention à la situation des clercs des communautés, pourtant attachés de manière définitive par leurs constitutions – et donc pour leur sainteté ! – à la liturgie traditionnelle ; tout cela alors que la situation générale de l’Église s’est terriblement aggravée en un an, et pas seulement en Allemagne. Il aurait semblé à la fois juste et intéressant qu’un effort particulier soit fait pour comprendre les fidèles ayant fait le choix de la liturgie traditionnelle. De même, s’intéresser aux raisons des clercs ayant donné leur vie à Dieu au sein de communautés ayant opté pour cette préférence liturgique ne semble pas inutile.
La vitalité du monde traditionnel
Car la réalité, celle des « tradis », est bien là, et n’est pas près de disparaître. Les « tradis » viennent de tous les milieux ; leur nombre est en augmentation et représente près de 10% des pratiquants en France. Ce chiffre est suffisamment significatif pour mériter d’être analysé sérieusement. Le nombre de vocations est relativement plus important dans ces milieux traditionnels que dans le reste de l’Eglise. Plutôt que de vouloir supprimer la messe traditionnelle ne serait-il pas intéressant de comprendre l’origine de ces vocations et les motivations de ces choix liturgiques ?
Le dernier concile, comme tous les conciles, voulait un renouveau dans l’Église. Eh bien : la fécondité des communautés traditionnelles, leur jeunesse, leur ardeur au service du Christ ne sont-elles pas des signes de la Providence divine qui montrent que ce mouvement est une voie possible pour le renouveau de l’Église ?
Vous me permettrez d’ajouter que le nombre de pèlerins à Chartres (15 000 cette année) montre la vitalité du monde traditionnel. Comment expliquer une croissance régulière depuis près de 10 ans, principalement chez les jeunes ? Dieu n’abandonne pas son Eglise, cette bonne santé est un signe d’espoir ! Dire cela ne signifie pas que le petit monde des « tradis » soit l’unique voie du salut. Ce petit monde, très divers au demeurant, veut agir avec tous ses charismes pour le bien de l’Eglise. Nous savons qu’il n’est pas le seul à œuvrer dans ce sens. Pourquoi lui dénier ce rôle de « bon et fidèle serviteur » ?
« Les tradis sont-ils un danger pour l’Eglise ? »
Enfin, entre le Motu Proprio Traditionis Custodes et la lettre Desiderio Desideravi, l’Église est entrée encore plus profondément dans une crise dramatique et sans précédent : révélations d’abus d’autorité, crise du synode allemand, remise en cause du dogme catholique dans la collecte du synode des diocèses de France. La conscience de cette crise, qui est d’abord doctrinale et donc de foi, explique le choix des traditionalistes, leur fidélité et leur résistance. Les familles voulant rester catholiques et voulant transmettre la foi à leurs enfants font le choix de certaines églises, de catéchismes, de troupes scouts, d’écoles, d’associations. Souvent, mais pas toujours heureusement, ces églises, troupes, écoles sont attachées à la liturgie traditionnelle. Une réaction normale de nos autorités ecclésiales serait de s’en réjouir et d’encourager ces courageux résistants. Ces familles se donnent le mal de faire le pèlerinage de Chartres pour offrir une retraite spirituelle à leurs enfants. Elles dépensent sans compter pour leur éducation car les écoles, catholiques sous contrat ou publiques, sont souvent défaillantes.
Devant une telle crise de l’Église, l’incompréhension du 16 juillet 2021 se transforme aujourd’hui en stupéfaction : n’y a-t-il donc rien de plus urgent à faire que de demander à ces familles d’abandonner la liturgie traditionnelle, source de leur spiritualité ? Les « tradis », avec le missel de 1962, leur latin et leurs soutanes, sont-ils vraiment un danger pour l’Église, alors que les propagateurs d’hérésies s’expriment aujourd’hui en toute impunité ?
Lors de notre dernier pèlerinage de Pentecôte, j’ai rencontré des centaines de pèlerins, souvent de moins de vingt ans et de tous les milieux. Je reste étonné de la bonne connaissance qu’ils avaient de l’interdiction des ordinations dans le diocèse de Fréjus-Toulon, de l’interdiction du port de la soutane dans le diocèse de Toulouse et bien sûr des persécutions supportées par certains prêtres (interdiction de messes, confirmations, mariages, baptêmes, catéchismes). Les pratiquants aujourd’hui sont informés, suivent l’actualité de l’Eglise, notamment par les réseaux sociaux. Et quand ils ne comprennent pas certaines décisions idéologiques et autoritaires, ils le disent, s’en étonnent, s’en attristent. L’autoritarisme actuel laissera des séquelles chez tous ces jeunes.
Affronter la réalité avec objectivité
La première attitude pour guérir une maladie est de poser un diagnostic, d’en connaître les causes, d’affronter la réalité avec objectivité. L’apostasie générale de notre monde est à l’origine de la résistance des milieux traditionalistes. La question liturgique est une question fondamentale car elle est l’expression de la foi.
Un certain nombre de questions se posent et l’argument d’autorité, aujourd’hui systématiquement apporté, ne suffira pas. Ces questions devront obtenir des réponses au risque de voir se multiplier les pétitions, manifestations, appels à Rome, appels aux évêques et troubles de toutes sortes :
- Comment Traditionis Custodes peut-il dire l’inverse de Summorum Pontificum ?
- Comment l’Eglise peut-elle revenir sur les promesses faites en 1988 aux clercs acceptant les propositions de Rome après les sacres de Monseigneur Lefebvre ? Le cardinal Ratzinger avait alors promis que « le monde traditionnel avait toute sa place dans l’Eglise, comme il était ».
- Comment peut-on avoir une Eglise ouverte aux périphéries et fermée au monde traditionnel ?
- Comment comprendre cet acharnement contre un mouvement minoritaire, missionnaire et dynamique ?
- Serait-il possible de faire un bilan des réformes entreprises il y a près de soixante années ?
- Les catholiques ont droit aux sacrements dont leur salut dépend. Comment est-il possible d’interdire la célébration de la messe, les confirmations, les mariages, les baptêmes et même empêcher les catéchismes ?