En raison de la visite du président syrien Ahmed al-Charaa à l’Elysée aujourd’hui, nous avons interrogé Benjamin Blanchard, président de l’association SOS Chrétiens d’Orient :
Depuis l’arrivée d’Ahmed al-Charaa au pouvoir en Syrie, la situation s’est-elle améliorée, notamment dans la communauté chrétienne ?
On ne peut pas dire que la situation se soit vraiment améliorée, on pourrait même dire que la situation a empiré. Les chrétiens, comme tous les Syriens, souffrent toujours de la situation économique qui n’a pas changé avec l’arrivée au pouvoir d’Ahmed al-Charaa. 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté ! C’est colossal. Ce sont les sanctions internationales qui sont à l’origine de cet appauvrissement généralisé. Et elles n’ont toujours pas été levées.
Après, si le président par intérim a affiché fin mars sa volonté de prendre en considération toutes les composantes de la société syrienne en nommant parmi les membres de son gouvernement un ministre chrétien, un alaouite, un druze et un Kurde, la situation demeure plus qu’incertaine. Les chrétiens n’ont pas connu d’attaques de masse comme les druzes ces derniers jours, ou encore comme les alaouites début mars, mais ils subissent de nombreuses pressions et agressions. On assiste à une islamisation progressive de la société. Cela se traduit, par exemple, par des prêcheurs islamistes qui passent régulièrement dans les quartiers et villages chrétiens pour inviter à la conversion ; cela passe par des campagnes d’affichage invitant les femmes à adopter un mode vestimentaire conforme à l’islam ; cela passe par de nouvelles étiquettes sur les bouteilles d’eau, invitant à se conformer aux règles islamiques pour boire, etc. Il y a encore quelques jours de jeunes chrétiens ont été agressés pour avoir partagé un café avec des amies musulmanes…
Pensez-vous qu’il soit opportun qu’Emmanuel Macron reçoive le nouveau président syrien, ancien combattant terroriste d’Al Qaïda ? La diplomatie et l’intérêt du peuple syrien nécessitent-ils cette visite d’Etat ?
Depuis 2011, la France a toujours soutenu la rébellion syrienne, quel que soit le groupe armé, fournissant des armes, de l’argent, etc. Donc il serait assez étonnant et même si j’ose dire schizophrène de ne plus vouloir, du jour au lendemain, parler avec eux et les recevoir. Cela fait plusieurs mois qu’on entend parler d’une possible visite diplomatique, je crois qu’Emmanuel Macron aurait même souhaité recevoir Ahmed al-Charaa plus tôt, s’il l’avait pu. Rappelons quand même qu’Ahmed al-Charaa figure toujours sur les listes noires de terroristes. Les Nations-Unies ont dû lever son interdiction de déplacement pour qu’il puisse se rendre en France !
Mais, encore une fois, les choses sont faites à l’envers… Avant de recevoir le président syrien par interim, peut-être aurait-il fallu établir de vraies relations diplomatiques avec lui. L’ambassade de France à Damas a certes été réouverte – au sens propre – mais aucun ambassadeur n’a été nommé. Pas même un chargé d’affaires ! La première chose, avant de l’inviter et de le recevoir, aurait été de nommer un ambassadeur et de reprendre les échanges diplomatiques, rompus depuis 2012.
Vous savez, nous avions regretté que la France ferme son ambassade à Damas en 2012, sous des prétextes moraux du type « nous ne parlons pas avec les dictateurs ». Alors, voir la France, treize ans plus tard, mettre de côté ces prétextes moraux pour adopter une vision plus réaliste, est pour le moins surprenant. Mais je crois que dans le monde diplomatique, il faut savoir parler avec tout le monde. Donc le retour de liens entre les deux pays est une bonne chose.
Après, si cette rencontre peut faciliter la levée des sanctions qui frappent la Syrie…
Vous êtes donc pour la levée des sanctions contre la Syrie ?
Oui. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, nous sommes pour la levée des sanctions qui frappent la population. Et ce, depuis… qu’il y a des sanctions ! Quant aux sanctions qui frappent les dirigeants du régime, ce sont, évidemment, des moyens de pression essentiels en diplomatie.
Aujourd’hui, les sanctions internationales interdisent, par exemple, l’importation de médicaments, d’énergie. Elles interdisent toute reconstruction… Elles touchent avant tout le peuple syrien, les Syriens de la rue, qui, je viens de le dire, vivent, pour 90% d’entre eux sous le seuil de pauvreté.
Il faut donc faire la différence entre les deux types de sanctions, entre celles qui frappent les gouvernants et celles qui affaiblissent tout un peuple ! Sans la levée des sanctions qui touchent le peuple syrien, nous nous dirigeons vers une catastrophe humanitaire qui sera, inévitablement suivie d’une catastrophe migratoire.