Le pape François disait ceci hier soir dans l'avion qui le ramenait des JMJ :
"«Je n'aime pas parler de violence islamique, parce qu'en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie: celui-là qui tue sa fiancée, tel autre qui tue sa belle-mère, et un autre… et ce sont des catholiques baptisés! Ce sont des catholiques violents. Si je parle de violence islamique, je dois parler de violence catholique. Non, les musulmans ne sont pas tous violents, les catholiques ne sont pas tous violents. C'est comme dans la macédoine, il y a de tout… Il y a des violents de cette religion…»
Puis il a continué sur la question du fondamentalisme: «Une chose est vraie: je crois qu'il y a presque toujours dans toutes les religions un petit groupe de fondamentalistes. Nous en avons. Quand le fondamentalisme arrive à tuer… mais on peut tuer avec la langue comme le dit l'apôtre Jacques, ce n'est pas moi qui le dit. On peut aussi tuer avec le couteau, non?»
Pour conclure et redire le fond de sa pensée: «Je crois qu'il n'est pas juste d'identifier l'islam avec la violence, ce n'est pas juste et ce n'est pas vrai. J'ai eu un long dialogue avec le grand iman de l'université Al-Azhar et je sais ce qu'ils pensent. Ils cherchent la paix, la rencontre.»"[…]
Ces propos ont déjà soulevé beaucoup de questions et d'indignation. Benoît Dumoulin propose une réaction sur Nouvelles de France :
"La violence est entrée dans le monde avec le péché, enseigne la Bible. Le premier meurtre de l’histoire humaine est celui d’Abel, victime de la jalousie de Caïn. Mais il n’est pas besoin d’être croyant pour faire l’expérience, en soi ou chez les autres, de cette violence nichée au cœur de l’homme depuis les origines de l’humanité. C’est un fait qui s’impose à tous.
En revanche, tout l’effort de la civilisation a consisté à endiguer la violence et, à défaut de pouvoir la supprimer, de tenter d’en contenir les effets.
C’est d’abord la loi du Talion qui limite la vengeance privée à une riposte à l’identique : « œil pour œil, dent pour dent ! ». C’est ensuite la revendication pour l’Etat du monopole de la violence légitime, afin de se substituer au cercle infernal de la violence privée. C’est enfin, l’encadrement de la violence par l’Eglise qui limite le recours à l’usage de la force dans l’espace (la paix de Dieu) et le temps (la trêve de Dieu), et théorise avec Saint Thomas d’Aquin la juste guerre qui seule autorise le recours aux armes.
Couronnant le tout, le message du Christ – et plus encore l’exemple qu’Il a donné sur la Croix – montre que la violence est désarmée par celui-là même qui accepte d’en porter par amour tout le joug. Comme l’a montré René Girard, le christianisme brise le cercle vicieux de la violence mimétique car il propose non une riposte à l’identique (ce qui était déjà un progrès) mais une offrande de soi par amour pour la conversion des persécuteurs : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! ».
Cela n’induit nullement un pacifisme qui désarmerait quiconque face à une situation de violence dont il est victime. Si un homme ne répond que de lui, il peut effectivement décider de tendre la joue gauche si on le frappe sur la droite. Mais s’il est responsable d’une famille, la légitime défense lui commande au contraire de défendre sa femme et ses enfants. Comme le souligne Fabrice Hadjadj, « l’homme, en étant époux et père, devient le défenseur de sa femme et de ses enfants : il peut bien tendre sa joue gauche à lui, mais il ne peut tendre leurs joues gauches à eux. Il a par conséquent le devoir, pour leur défense légitime, de prendre les armes ou, ce qui n’est pas moins courageux, de prendre l’enfant et sa mère et de fuir en Égypte ».
Voilà comment la violence est régie par le catholicisme : appel à l’extirpation intérieure de toute forme de violence par la conversion du cœur et encadrement de l’usage de la force à des strictes fins de défense des plus faibles. À aucun endroit, on ne trouvera de légitimation de la violence à des fins de domination religieuse ou de conversion. Pour la simple et bonne raison que la conversion recherchée est celle du cœur et non une adhésion formelle et extérieure. On rappellera à ce titre que les croisades furent d’abord une entreprise de légitime défense destinée à permettre aux pèlerins persécutés par les turcs seldjoukides d’accéder aux lieux saints de Jérusalem, notamment au Saint-Sépulcre.
Rien de tel en islam. La loi du Talion n’est même pas respectée puisque la riposte est souvent prônée au-delà du mal commis, comme c’est le cas de la main coupée en punition du vol (Coran, 5 38). Par ailleurs, l’exemple de Mahomet ne peut, à moins de travestir les faits, être comparé à celui du Christ. Enfin, le Coran, s’il contient des sourates pacifiques, contient aussi des appels au meurtre des non-musulmans qu’il est d’autant plus difficile d’extirper qu’aucun magistère universel n’existe comme dans le catholicisme, afin de livrer une interprétation qui fasse seule autorité pour l’ensemble des croyants.
De courageux intellectuels de culture musulmane sont si convaincus de cette lacune qu’ils n’hésitent pas à brocarder ceux qui se contentent d’affirmer que la violence n’a rien à voir avec le Coran. Ainsi, en va-t-il d’Abdennour Bidar pour qui l’islamisme est un cancer qui prend ses racines au sein même de l’islam : « Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom (hashtag #NotInMyName). Tu t’insurges que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu’à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l’islam dénonce la barbarie. Mais c’est tout à fait insuffisant ! […] Ce problème est celui des racines du mal. D’où viennent les crimes de ce soi-disant « Etat islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci tant que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal ! »
C’est pourquoi, on ne peut renvoyer dos-à-dos christianisme et islam au sujet de la violence comme l’a fait hier le pape François dans un parallèle hasardeux : « Je n’aime pas parler de violence islamique, parce qu’en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie : celui-là qui tue sa fiancée, tel autre qui tue sa belle-mère, et un autre… et ce sont des catholiques baptisés, hein ! Ce sont des catholiques violents. Si je parle de violence islamique, je dois parler de violence catholique ».
Mettre au même niveau la violence domestique et celle qui obéit aux injonctions de certaines sourates du Coran procède d’une profonde confusion intellectuelle. Il y aura toujours des hommes violents, et ce quelles que soient les civilisations. C’est la liberté personnelle de chacun qui est en jeu. Mais à aucun moment, ces actes de violence ne reçoivent, dans le catholicisme, une quelconque forme de légitimation religieuse par un texte ou une autorité sacrés. Ce n’est malheureusement pas le cas en islam et ce sont des penseurs musulmans qui parfois le dénoncent courageusement.
Ce serait donc du relativisme culturel que d’affirmer que toutes les civilisations et religions se valent de ce point de vue. Ne pas voir l’impact sur les mentalités de prescriptions violentes non régulées par une interprétation faisant autorité, c’est s’exposer à être aveugle sur la réelle nature de la menace qui nous entoure. Et ne pas rendre service aux musulmans engagés dans ce courageux travail de lucidité !
« Une chose est vraie, poursuit le pape, je crois qu’il y a presque toujours dans toutes les religions un petit groupe de fondamentalistes. Nous en avons ». Il faudrait interroger le pape pour savoir quels sont les « fondamentalistes catholiques » qui pourraient légitimement être comparés aux bourreaux de l’Etat islamique, quels sont ceux qui égorgent des imams dans une mosquée au nom de la foi chrétienne… La comparaison n’est pas du tout fondée car le seul « fondamentalisme » prôné par l’Eglise se trouve finalement être la radicalité de l’amour incarnée par les figures de sainteté qui ornent nos autels.
Il est plutôt à craindre que ce genre de propos finisse par décrédibiliser la parole pontificale et donner de l’eau au moulin à tous ceux qui en Occident pratiquent le relativisme culturel et s’interdisent un quelconque jugement de valeur sur une religion ou une civilisation. Or, toute entreprise de renaissance intellectuelle et spirituelle ne peut s’affranchir d’un profond devoir de vérité qui oblige aujourd’hui tous ceux qui souhaitent lutter contre la barbarie islamiste. Sinon, ce sont les générations suivantes qui nous reprocheront ce coupable aveuglement."
Benoît Dumoulin