Dans le JDD, Nicolas Diat, l'auteur de "L'homme qui ne voulait pas être Pape", analyse le violent discours du pape François à la Curie :
"Comment interpréter la salve du pape François contre la curie? Est-ce une déclaration de guerre?
C'est le signe d'un malaise profond qui s'épaissit au fil des mois. Il faut se souvenir que, l'année dernière lors du même exercice. François avait déjà dénoncé les « bavardages» à l'intérieur de la curie. Quelques semaines auparavant, il avait même demandé à la gendarmerie du Vatican de faire cesser ces commérages. Le retentissement de cette « correction fraternelle » assez sèche avait cependant été moindre. Ce qui est impressionnant cette fois, c'est le catalogue des quinze maladies. Benoît XVI consacrait cette séance des voeux à faire la synthèse des voyages effectués au cours de l'année, il en tirait un certain nombre d'enseignements et de conclusions. A part la traditionnelle et brève introduction du doyen, le cardinal Sodano, le style a aujourd'hui changé…
Quelles seront les conséquences d'un tel discours?
Il laissera des traces profondes, même s'il n'aura aucune conséquence à court terme. Le pape aime la provocation, il est volontiers dans l'outrance, c'est sa nature. Sur la centaine de convives, personne n'a fait de commentaires pour répondre au pape. Ces quinze maladies curiales, dont certaines relèvent presque de la psychiatrie, énoncées tel un syllabus, n'ont suscité aucune réaction, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas une incompréhension, une lassitude. Le plus dommageable, c'est qu'il n'a pas eu un mot pour les personnes extraordinaires de la curie, et elles existent. Des religieuses dont personne ne parle mais qui servent leur dicastère avec une abnégation totale… Ces accusations à la limite de la diffamation ont blessé.
Pour faire plier les oligarques, n'est-il pas obligé de prendre l'opinion publique à témoin quand Benoît XVI n'a eu d'autres recours que la démission?
C'est sans doute en partie vrai, mais c'est très réducteur. Depuis deux ans qu'il est installé sur le siège de Pierre, François a été effaré par certains «malades» victimes de ce vide spirituel qu'il dénonce. Mais pourquoi le pape a-t-il choisi la médiatisation alors qu'il aurait fort bien pu faire ces reproches dans le secret de certaines réunions? C'est un peu comme si le président de la République française avait lancé une canonnade contre son gouvernement devant les caméras du monde entier. Le 24 novembre dernier, François recevait à huis clos, dans une ambiance très détendue, l'ensemble des chefs des dicastères. Lorsqu'il a engagé la réforme des finances, il a été d'une parfaite discrétion.
Est-ce une réponse du pape à une curie hostile à ses souhaits d'ouverture en direction des divorcés et des homosexuels ?
Depuis le début de l'année 2014, au fil des mois, les divergences perçues sur la question de la famille et plus largement sur la place de la morale se transforment en fracture, non pas au sein de la seule curie mais dans toute l'Église. La curie n'est pas monolithique. Les médias se sont plu à transformer le cardinal Raymond Leo Burke en chef de l'opposition. C'est un homme intègre qui ne souffre d'aucune des quinze maladies curiales. Le cardinal George Pell, entré dans le C9, l'équipe qui pilote la réforme de la curie, est sur la même ligne que lui sur la question des divorcés. Il s'agit pourtant d'un « ami » du pape… Loin de Rome, le cardinal sud-africain Wilfrid Fox Napier, plutôt un libéral, s'est élevé contre «les graves dérives» du synode. S'il n'appartient pas à la curie, il traduit le sentiment du continent africain. Les quatre représentants des États-Unis au prochain synode ne partagent pas, non plus, les vues réformistes du pape. Destiné à obtenir un consensus le plus large possible, ce synode devient un rêve inaccessible. Le pape ne peut pas tout."