Voici la suite de notre entretien avec Pascal Gannat. Vous pouvez relire la première partie ici.
Et pensez-vous pouvoir rallier des personnalités venues d’autres partis ?
Chacun devra constater dans les 24 mois à venir les impasses politiques à droite, qui affecteront aussi bien le RN après les municipales et les départementales que les LR. Chacun va et c’est logique tenter de conserver ses municipalités et d’en conquérir de nouvelles. RN et LR ont de bons bilans, mais le RN a marqué des points au niveau municipal en démontrant qu’on peut administrer une commune en diminuant la dette et l’impôt, tout en maintenant la qualité des services offerts par la municipalité. Ce qui en passant, contredit totalement ce que propose le RN au niveau programmatique national, puisque son refus d’abandonner la redistribution comme politique publique et sociale, du centre jacobin vers la périphérie, est à l’opposé de la méthode de la plupart de ses maires : on diminue la fiscalité locale mais on refuse de dire que la France est un enfer fiscal pour financer les subventions et l’assistanat. Chacun des deux partis va se heurter à une contradiction : pour les LR, comment retenir leur électorat et alliés centristes partant vers LREM sans des alliances avec les macronistes souvent indispensables au second tour, mais installant ainsi les grands électeurs LREM pour les sénatoriales ; le RN aura lui le plus grand mal à recueillir les voix de la droite traditionnelle qu’il affecte de tenir pour secondaires par rapport à la gauche, et ceci au niveau national, en ne s’adressant plus aux électeurs de droite sur les thèmes qu’ils jugent majeurs. Les réalités locales vont donc servir de révélateur des difficultés et contradictions des stratégies nationales : le refus du RN pour les LR et le refus d’idées de droite pour le RN. Il en sera de même aux départementales en 2021 : la pression macroniste sur les uns, le refus du vote vers un RN qui se dérobe sur sa droite pour l’autre, ceci va démontrer l’impasse réciproque. Les appareils centraux ‘’triompheront’’, comme à l’accoutumée, mais le sujet de leurs seconds tours aux régionales de l’automne 2021, et de la présidentielle et législatives 2022 s’imposera comme une équation à résoudre. Si les barrières idéologiques et mentales ne tombent pas, si sur le terrain, des élus locaux et régionaux ne réclament pas, n’imposent pas des formes d’union de seconds tours, Emmanuel Macron triomphera sauf crise grave. C’est le sens de notre geste, qui est un geste politique. Nous pensons que l’hémorragie du Centre et de certains LR vers LREM, l’éclatement des majorités municipales, départementales et régionales ‘’de droite et du centre’’ qui aura lieu, va provoquer une prise de conscience des électeurs et une exigence de leur part en direction de ce parti. Les succès de conquête de grandes villes grâce à l’Union, et je pense à Robert et Emmanuelle Ménard sur Béziers, à la liste de Louis Aliot à Perpignan sans étiquette RN, et d’autres listes d’union auront démontré que l’union est souhaitable mais de plus, qu’elle fonctionne. Une recomposition s’en suivra, y compris en Pays de Loire. Il existe des élus du groupe RN, des élus LR, souvent des maires, qui ne comprennent plus les errements de leurs dirigeants, d’autres qui font des choix plus éthiques, beaucoup qui perçoivent le vide et l’inconnu de l’après municipales. Devant l’impasse de 2022, un duel stérile Marine-Macron, le temps adviendra de repenser l’action locale et régionale sur d’autres bases que celle de l’union de la droite et du centre qui a tué la droite et fait naître Macron. Si cette logique mortelle persiste, le prochain quinquennat sera celui de la conquête de tous les exécutifs par LREM. Les élus LR le savent. Certains ont compris que le vide des idées vide les urnes. Ce sont leurs électeurs qui leur imposeront des alliances transversales sur leur droite. La campagne interne de Julien Aubert exprimait ce besoin de ressourcement, mais encore insuffisamment. Depuis l’Apel d’Angers qui paraissait utopique, une maturation se produit.
La montée du pouvoir politique des Frères musulmans avec lesquels le macronisme entretient un rapport privilégié, depuis le Qatar jusqu’au CCIF, avec l’apparition localement de l’Islam politique aux élections, où se présentent déjà une cinquantaine de listes municipales musulmanes, c’est-à-dire salafistes, inquiète beaucoup de LR qui devront rompre avec la logique des partis, de leur parti, car le soutien de l’électorat musulman à LREM aux seconds tours ne peut être compensé que par celui de l’électorat national en sens inverse. Nous l’avons fait ici en rompant avec le tabou RN contre l’Union des électorats non macroniens qui passe par l’acceptation de certains LR et vice versa. Nous les convions à se libérer eux-mêmes. Le départ de leurs ‘’alliés’’ centristes vers LREM sera le signal qu’une autre logique est possible, vers leur droite. Comme le RN, les LR n’existeront pas à gauche ou au centre gauche : les centristes sont des voyageurs clandestins qui ne paient jamais leurs billets et quittent le navire en volant la chaloupe, tout comme les souverainistes de gauche ayant voté Marine Le Pen à St Nazaire, ville ouvrière, ont revoté à gauche aux législatives suivantes, idem dans les quartiers populaires du Mans. Bruno Retailleau et ses amis qui se disent de droite doivent changer de logiciel : peut-être redevient-on sénateur de Vendée avec le centre, si LREM ne l’a pas absorbé d’ici l’automne 2020, mais pour la Région, le schéma ne fonctionnera plus, comme dans la plupart des régions. Faute de centre. En Pays de la Loire, l’agression interne qu’a subie Sébastien Pilard de la part des UDI de la majorité construite par Bruno Retailleau, ceci pour avoir rencontré Marion Maréchal au cours d’un dîner, et la nécessité pour sauver cette majorité face au chantage du centre, de lui retirer ses délégations comme ‘’punition’’, de la part de l’actuelle Présidente de la Région, ont apporté la preuve d’une faille béante interne à cet assemblage de circonstance, et déjà mort. Il tient le temps des municipales, le temps pour les centristes de rejoindre LREM, ou de s’allier avec LREM, comme le fait le maire d’Angers Bechu, qui a quitté les LR pour obtenir le soutien implicite de LREM, rayant de facto les LR de la carte sur l’agglomération angevine, en tant que force politique motrice.
Les cicatrices de ces heurts demeurent. Face au macronisme, dans le cas de majorités LR défaillantes, même sans certitude de réponse positive, il faudra proposer la reprise de propositions pleinement droitières et favorables à la France modeste de la périphérie, pour par exemple voter un budget qui n’aurait plus de soutien majoritaire, donnant donnant, de manière politique et publique. Certains diront : ‘’trahison, vous sauvez les LR’’. Il est pourtant facile de comprendre qu’ils seront placés face à leurs responsabilités : admettre les élus de droite souverainiste et populaire, ou finir leur mandature dans un blocage dont ils porteront l’échec. Rassembler c’est créer des passerelles, unir ponctuellement sur des idées claires. Le dire maintenant participe de la clarification nécessaire. Le refus suicidaire de leurs dirigeants, devant leurs électeurs qui exigent majoritairement l’Union, ouvrira la voie à des listes ou des solutions alternatives, favorisées par l’atonie du RN comme force de rassemblement vers d’autres ; rassembler n’est pas absorber, ni rallier, c’est coopérer dans des différences maintenues et actées, comme cela se fait à droite en Italie, ou en Autriche, ou en Pologne.
Votre situation est-elle isolée ou bien d’autres faits similaires existent-ils au plan national ?
Nos amis demeurés au RN nous disent que nous nous sommes suicidés : il y a deux manières de mourir en politique, soit dans le sommeil de l’inconscience confortée par l’espoir de promesses de réinvestitures, soit en demeurant dans la constance de ses principes. J’ai reçu le soutien de nombreux élus et cadres RN, qui pressentent l’impasse : ils attendent quelque peu désabusés un changement dont ils doutent, pensant que pour l’instant, faute de mieux, etc… Aux LR, se font jour également des projets de constitution de mouvements internes de droite, autorisés par leurs statuts, au contraire du RN. Cela témoigne d’un commencement de libération de la parole.
La région Pays de la Loire a une tradition de droite populaire et non uniquement de centre-ville et ‘’bourgeoise’’ : les LR se savent fragiles dans la France périphérique de 6 ou 7 très larges zones des 5 départements, où le vote national les supplante, inutilement, puisque sans reports réciproques. Il y a là un élément de complémentarité qui existe dans d’autres régions françaises de la France périphérique : l’état-major du RN interdit que soit abordée une telle éventualité. Jusqu’à quand le pourra-t-il ?
Il existe dans d’autres assemblées régionales des élus issus du RN qui ont exprimé leur différence de droite, et ont quitté le RN pour cette raison. Souvent sans doute pour refuser de se soumettre au caporalisme parisien dans la gestion des fédérations où ils conservent de forts réseaux personnels. Certains ont rejoint d’autres partis, et ils ont déploré l’échec d’une liste d’union aux européennes autour de Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Frédéric Poisson, et Oliver North du CNIP. Nous allons construire avec ces élus une coordination des élus ‘’nationaux’’, transpartisane, pour mettre en commun nos expériences et conserver le lien initial, le lien primordial : celui d’avoir été élus dans un parti se définissant encore en 2015 comme de droite nationale, mais qui depuis a dérivé à gauche en s’enfonçant dans le brouillard sur fond de clanisme et de communautarisme. Nous devons, ils doivent animer et participer localement à toutes les initiatives, y compris électorales locales lors des départementales et des régionales prochaines : face au progressisme macronien, il faut se reconnecter à la société et à ses composantes. Un forum d’écriture d’un programme commun de la droite est en préparation et chacun, élus ou non, doit y participer.
Gabriel Kotarak, un jeune élu régional de la région AURA, qui a quitté La France Insoumise récemment pour rejoindre le RN a excellement résumé ce dilemme : « Il vaut mieux trahir son parti que trahir la France ». Il a fait une partie du chemin en quittant la gauche. Avec mes 4 collègues régionaux, Jean-Claude Blanchard, Pascal Nicot, Samuel Potier et Bruno de la Morinière, nous avons décidé de parcourir l’autre moitié en quittant la confusion du RN et en participant au mouvement de recomposition de la droite, qui aura lieu INELUCTABLEMENT, avec ou sans Marion Maréchal pour laquelle j’ai une très grande estime (j’étais à la Convention du 28 septembre) avant 2022, soit ensuite. Il n’y a pas que les élus à devoir y participer : défendre nos libertés est le devoir de chacun. S’engager dans les listes municipales locales, RN, LR, ou autres est une autre manière de préparer cette reconstruction. Les élus ne naissent pas dans les choux mais dans l’engagement local.
Pour moi qui suis catholique et revendique le droit de l’affirmer, (désolé Julien Odoul je ne participe pas à la pensée régressive magique de négation de nos racines qu’est le laïcisme), Jacques Maritain dans ‘’ Le Paysan de la Garonne’’ aborde la politique plus directement qu’on ne le pense :
« La charité a affaire aux personnes ; la vérité aux idées et à la réalité atteinte par elles. »
Il serait désolant pour les gens de droite qu’ils ne comprennent pas que les Français sont en attente d’une espérance autre que le progressisme cosmopolite macronien. Que la société française est entrée en dés-espérance, et qu’ils possèdent la clef, celle du réel. C’est cette adéquation, cette positivité inéluctable qui doit resurgir.