"Mgr Bruno Forte, secrétaire spécial du synode, a déclaré lors d’une conférence de presse en début de semaine :
« Étant entendu que l’on ne doit pas attendre de ce synode des modifications de la doctrine, il convient de dire avec beaucoup de clarté que ce synode ne se réunit pas pour ne rien dire. Ce n’est pas un synode doctrinal, mais un synode pastoral. »
Reste à savoir ce que de tels propos présupposent quant à l’articulation entre doctrine et pastorale. Par exemple, changer la discipline concernant l’admission des divorcés remariés aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie peut-il se faire sans modifier la doctrine ? C’est ce que semble laisser entendre Mgr Forte, puisque lui-même a explicitement déclaré à plusieurs reprises son souhait que l’Eglise change de position sur un tel sujet. Est-ce réaliste ou bien est-ce contradictoire ?
De fait, de nombreux partisans d’une telle évolution prétendent ne pas vouloir toucher à la doctrine de l’indissolubilité du mariage mais considèrent qu’il faut rejoindre les fidèles là où ils sont et qu’à ce titre, dans certains cas, « une pastorale de la miséricorde » pourrait permettre de les faire accéder aux sacrements. Comment soutenir que donner l’absolution à des personnes dans une telle situation maritale ne remette pas en cause la doctrine de l’indissolubilité du mariage ? En effet, la réconciliation sacramentelle signifie et réalise que la personne adhère pleinement au dessein de Dieu sur elle et par là même rejette tout ce qui en elle s’y oppose. L’évolution de la discipline signifierait ainsi que cette situation maritale apparût comme légitime ; cela présupposerait que vivre conjointement selon deux liens de type « conjugal » fût béni par Dieu ! On voit là l’aporie à laquelle les partisans de la solution pastorale sont confrontés.
Reste donc à envisager que ce qui est appelé par beaucoup « miséricorde » doive être nommé en vérité « tolérance ». Au sens strict, tolérer signifie supporter un mal, la répression de ce mal étant perçue comme causant un mal plus grand. Les « novateurs » considèrent effectivement que demander à des couples remariés soit de se séparer, soit de vivre « en frère et sœur », soit d’accepter la discipline sacramentelle en les invitant à grandir dans un chemin de pénitence, engendrerait un mal plus grand que leur situation actuelle. De quelle nature serait ce mal pour les partisans d’une évolution? En discutant vendredi dernier à Strasbourg avec Mgr Vesco, j’ai mieux saisi que ce plus grand mal serait pour eux de scandaliser les hommes et les femmes d’aujourd’hui, d’être une sorte de contre-témoignage, comme une sorte d’infidélité de l’Eglise envers la miséricorde infinie de Dieu ; le fait de faire porter aux fidèles un fardeau insupportable et donc d’engendrer des souffrances psychiques et spirituelles. Tout cela est bien sûr à entendre et doit inciter à un surcroît d’écoute et d’accompagnement, mais cela confirme que l’on est bien ici devant une approche relevant de la tolérance d’un mal que l’on considère moindre que celui qu’engendrerait le respect de la discipline actuelle, discipline considérée comme l’application pratique de la nature du mariage et des sacrements.
Les novateurs répondent alors que la légitimation de l’exception dans certains cas rares ne remettrait pas en cause la validité de la doctrine et de la norme morale. Je crois qu’il y a ici une illusion sur la manière dont fonctionne l’esprit humain sur des sujets si sensibles. L’être humain désire fondamentalement vivre dans l’unité et dans la cohérence. Dès lors toute brèche ouverte entre deux éléments opposés de sa vie tend à se résorber au profit de l’un et au détriment de l’autre. La célèbre phrase de Paul Bourget demeure d’actualité : « si l’on ne vit pas comme on pense, on finit par penser comme on vit ». De plus, ce qui est vrai pour un individu est vrai pour une collectivité. Le meilleur exemple récent est offert par l’évolution de la loi Veil sur l’avortement. Votée comme une loi de tolérance légitimant des exceptions dans certains cas dramatiques et présentée comme ne remettant pas en cause la dignité de toute vie humaine innocente, elle est devenue le fondement d’un droit central de la condition féminine et par là même a engendré la négation de toute reconnaissance du caractère absolu de la vie humaine. Pourquoi ce qui n’était au début que toléré est-il apparu peu à peu pleinement légitime ? Parce que la loi Veil contenait une contradiction insupportable pour l’esprit humain qui cherche toujours la logique.
La doctrine et la pastorale ne sont donc pas deux registres étanches. Elles sont intrinsèquement articulées. On est bien là devant un enjeu systémique. D’où les très fortes tensions actuelles au plus au sommet de l’Eglise."