Lu sur Cotignac 500 :
L'histoire a débuté en 1986. À l'époque, nous étions tous goumiers (personne participant à un raid de réflexion spirituelle créé par Michel Menu, pendant une semaine et dans une zone désertique) ; quand je dis « nous », j'entends la famille : père, mère, fille et garçons qui parcourions avec bonheur les mêmes déserts, croisant parfois nos routes, ou même marchant en solitaire…
À cette époque, le pèlerinage des pères existait déjà ; pèlerinage particulier en ce sens que seuls des pères de familles s'y retrouvent pour une marche de deux jours, d'Aix-en-Provence à Cotignac, lieu d'apparitions de la Sainte famille.
Or donc, aux premiers jours de juillet cette année-là, j'avais accompagné mon époux à l'aube et même un peu plus tôt, au point de ralliement dudit pèlerinage. Ces grands départs sont partout les mêmes, qu'ils soient pour le désert ou pour la plaine, toujours dans cette même ambiance de fraternité joyeuse ou grave, où chacun se reconnait de suite du même clan.
J'entendais bien rester aux côtés de mon époux jusqu'à Cotignac… mais j'essuyais immédiatement plusieurs refus : « marche trop dure pour une femme », « pèlerinage exclusivement masculin », etc. Je n'insistais donc pas, comprenant de suite que me targuer de mon expérience de goumière ne servirait à rien.
Déçue, je proposais alors à mon fils Alexandre qui s'apprêtait à rejoindre ses scouts au Puy-en-Velay, en vue d'une route vers Saint-Jacques-de-Compostelle, de le conduire au lieu de rendez-vous. Là-bas, l'ambiance était la même, avec un zeste de chahut en plus et une pincée de gravité en moins.
Ma nostalgie redoublant, je ne sus m'empêcher de m'apitoyer sur moi-même auprès de leur aumônier, le Père Stéphane Marie. Il eut la charité d'écouter les doléances de celle qui, après avoir conduit pour l'aventure son mari à l'aube et son fils au crépuscule, se résignait mal à rentrer au logis. « Eh bien », me lança-t-il en souriant happé par sa troupe qui piaffait d'impatience, « lancez-en un vous même… avec des mères de famille ! »
La route du retour me sembla courte. L'idée germait, et deux jours plus tard, lorsque je retrouvais mon époux à Notre-Dame de Grâces, la décision était prise. J'en parlais longuement avec le Père Marie Benoit, insistant surtout sur un point : la présence d'un prêtre. En effet, l'époque était telle que bien des femmes se découvraient « théologiennes », et je voulais absolument une autorité en la matière, afin d'éviter toutes discutions et tensions stériles. Le père Marie Benoit me demanda alors qui je voyais pour cela. Qui ? Mais voyons, celui qui m'en avait lancé le défi.
Cher Père Stéphane Marie, quand les kilomètres s'ajoutaient aux kilomètres, quand sa guitare se faisait lourde à force d'accompagner les rosaires le long des chemins, je me demande si sa pensée le ramenait vers le soir où nous nous sommes rencontrés au pied de Notre-Dame du Puy. Que de chemin il a fait faire à mes marcheuses, au sens propre comme au figuré !
Par ailleurs, je côtoyais dans les goums nombre de jeunes complètement incultes en matière religieuse, et je pensais : où mieux que dans leur famille auraient-ils dû recevoir une formation solide ? En formant mieux les mères, n'avions-nous pas là un moyen de mieux former les enfants ? Ainsi, naquit l'idée d'un pèlerinage-retraite itinérant en pleine nature, durant trois jours, loin de toute agglomération.
Le printemps qui suivit fut employé, semaine après semaine, à tracer un itinéraire boussole et carte en mains, à obtenir les autorisations de marcher et de bivouaquer sur des propriétés privées, à trouver des points d'eau, etc. Renouant avec les vieilles traditions, le pèlerinage se ferait à pied, repas tiré du sac et couchant à la belle étoile, utilisant de vieux sentiers muletiers, parfois cachés sous la végétation et oubliés, connus seulement des animaux dont nous suivions la trace.
À la mi-juin 1987, le premier pèlerinage des mères de famille partit de la petite église de Vauvenargues (Bouches-du-Rhône), dernière paroisse de notre diocèse, vers Notre-Dame de Grâces, chantant et méditant le Rosaire, des litanies et cantiques tout au long du chemin. La présence du Père permettait des célébrations eucharistiques si soignées et recueillies dans l'oasis silencieuse de la forêt, un sacrement de réconciliation moins facile à instaurer, et deux ans plus tard, le besoin s'en faisant sentir tout naturellement, une nuit d’adoration. Que de joies, que de rires, quelle jeunesse durant ces quelques heures, où ces femmes mère de famille se rencontraient et se laissaient conduire, confiantes et abandonnées à travers un paysage complètement inconnu.
La première année, nous fûmes sept. L'année suivante 13, puis 40. Très vite, Monseigneur Maurice Plano vint nous bénir fidèlement chaque année au départ. Plus tard, le 11 mai 1989, Sa Sainteté Jean-Paul II nous accordera de « tout son cœur, sa bénédiction apostolique, comme gage de grâces divines ».
Il est des moments si émouvants dans ce pèlerinage. Celui du tête-à-tête avec le Seigneur, la nuit à la clarté des étoiles, celui des larmes après la confession en marchant à côté du Père, celui des grands silences et des soirs paisibles face à l'immensité du ciel, quand après la prière, la guitare égrène ses dernières notes et que les pensées volent vers ceux qui sont restés derrière…
Puis c'est le dernier réveil à 5 heures avec devant nous, les Bessillons, le petit pour la dernière grimpette et le grand dont le chemin festonne toute la descente vers saint Joseph à qui nous avons confié les nôtres au départ. C'est là que plus tard tous les groupes qui sont nés de ce premier pèlerinage et cheminent à travers la Provence se retrouveront pour marcher en silence vers Notre-Dame.
Un guetteur discret prévient de notre approche et les cloches sonnent à toute volée. Lorsque le clocher du sanctuaire apparaît dans une trouée au milieu des pins, c'est genoux à terre que les mères alors rendent grâce d'être allées jusqu'au bout. Les larmes silencieuses coulent sur les visages fatigués et heureux. Autre tradition, un nombre de roses égal à celui des marcheuses à été commandé, c'est un peu plus loin que chacune recevra la sienne pour aller la déposer au pied de Marie.
Quelques minutes encore et c'est l'arrivée sur l'esplanade. Nous étions sept la première année à retrouver notre époux, et déjà que d'enfants, que de cris de joie, d'envolées de jupes fleuries, de petits mollets ronds qui accouraient vers nous pour retrouver chacun « sa maman », les plus grands impressionnés auprès de leur père, lequel parfois tient dans ses bras le dernier né, lui donnant le biberon ou rajustant une couche. Et c'est ensemble que nous entrons au sanctuaire et allons consacrer notre famille à Notre-Dame de Grâces.
C'était il y a trente ans…
Monique LOUZE, initiatrice du pèlerinage des mères de Cotignac