Une quinzaine de personnalités signent une tribune publiée dans de nombreux quotidiens, dont Le Monde, intitulée Noël dans la crise : un rendez-vous pour l'espérance. La bonne nouvelle, c'est que le christianisme peut être revendiqué à nouveau comme inspirateur de la pensée politique et sociale, même mal interprété. Car les contradictions de ce texte sont importantes :
- les signataires sont tous hommes de l'Etat (énarques entre autres), et de son centralisme jacobin, qui plus est socialistes déclarés pour un certain nombre d'entre eux, ou socialistes de fait pour beaucoup. Ceci explique sans doute la suite.
- l'appel à l'impôt volontariste ("Les chrétiens […] sont appelés à […] accepter un niveau d’impôts volontariste pour une solidarité active") : cela sous entend que l'Etat doit créer la justice par la redistribution, ce qui contredit et le droit de propriété et la liberté d'autonomie qui s'y attache [CA n°11], et surtout le principe de subsidiarité dont ces signataires se réclament, en l'amputant d'une partie de sa logique, qui est que la société civile est à l'origine de l'Etat et non le contraire.
- il est notable que ce manifeste moralisateur (je suis chrétien donc charitable, donc je demande à la société de prendre en charge la charité, par des lois et réglements qui n'exigeront plus rien du corps social en tant que lieu de liens sociaux autonomes), passe sous silence les carences institutionnelles, causes de la progression de ce qui est le corollaire de la pauvreté : misère psychologique et morale de l'assistanat ["les plus faibles, dans la même ligne de la solidarité, ne devraient pas adopter une attitude purement passive" SRS n°39]. La charité ce n'est pas uniquement du pain, mais aussi la dignité qui permet d'accueillir la parole de Dieu : fait à son image, l'homme ne peut accueillir cette parole sans avoir une dignité minimale. On ne peut évangéliser des âmes amoindries durablement dans leur liberté. L'assistanat porte atteinte à cette dignité.
- se référer à Jaurès et Gorbatchev, et à Adam Smith pour faire équilibre, est consternant : entre les socialistes ''humanistes'' (deux hommes dont l'un fut communiste et chef du KGB et l'autre anticlérical franc-maçon) et Adam Smith, il a existé des penseurs sociaux chrétiens fondateurs du catholicisme social qui fixèrent précisément ce rapport entre libertés économiques et règles morales, nécessaires à touts société fondée sur le contrat.
- enfin, ils ne distinguent pas ce qu'est la société comme fait de nature de ce qu'est l'Etat comme instrument du politique : ils se condamnent donc au socialisme au nom de la morale, ce qui était déjà la pétition de principe de Lamennais, puis de Marx.
Rappelons les principes de la DSE : la dignité de la personne humaine sur lequel reposent tous les autres principes et contenus de la doctrine sociale, le bien commun, la subsidiarité et la solidarité.
Le Preux
Et bla bla bla et bla bla bla ! Toutes ces belles âmes qui sont au pouvoir depuis trente ans et ont livré le pays à l’argent roi par le biais de Bruxelles veulent en plus nous faire une mauvaise morale.
pmc
Eh oui, la sensibilité “chrétien de gauche” …
Merci à M.Janva pour son commentaire.
Rackam
Pour une fois, je trouve le commentaire de M.J. sévère.
Il n’y a rien de faux dans ce “manifeste”, sauf à y chercher des sous-entendus ou des présupposés. En tant que catholique (pas chrétien de gauche pour deux sous!) ce texte me parle, me donne à réfléchir. Certains de ses signataires m’irritent depuis des lustres, mais ce qu’ils signent sonne juste.
Amicalement, fidèlement, joyeusement.
Jean-Yves Naudet
QUESTIONS SUR UN MANIFESTE
On ne peut que se réjouir de la saine réaction, publiée par le salon beige au manifeste paru la veille de Noël dans la presse et signé par une vingtaine de personnalités, sur le sens donné à l’économie « en ce jour de fête chrétienne ». Ce manifeste s’intitule « Noël dans la crise : un rendez-vous pour l’espérance ». Il se présente clairement comme donnant un point de vue chrétien, sinon « le » point de vue chrétien, sur l’économie. Tout en respectant ce point de vue et ses auteurs, qui font référence à « la pensée sociale chrétienne », on peut légitimement se poser quelques questions. Bien entendu, on appréciera que des chrétiens prennent publiquement position et fassent référence à la pensée sociale chrétienne, même si le terme de « doctrine sociale de l’Eglise », souvent utilisé par Jean-Paul II, semble leur faire peur. Bien entendu aussi, il y a dans ce texte des vérités incontournables pour un chrétien, comme le fait que « l’économie est au service de l’homme et non l’inverse » ou le rappel des « références éthiques essentielles pour affronter la crise ».
– Ce texte a reçu un très bon accueil dans la presse, du Monde au Figaro, des grands quotidiens régionaux à la Croix. On s’en félicite, au moment où il est parfois difficile pour des chrétiens engagés de se faire publier, ne fut-ce que par un quotidien. On sera moins enthousiaste de voir l’Humanité publier ce texte, qui est donc acceptable pour le quotidien officiel du parti communiste français !
– La liste des premiers signataires est tout à fait honorable. On remarquera seulement qu’il y a fort peu de chefs d’entreprises, pourtant, semble-t-il, sollicités, mais beaucoup de hauts fonctionnaires et d’hommes de l’Etat ou des organismes publics internationaux, en général engagés à gauche, ainsi que des membres éminents du parti socialiste (Michel Rocard et Jacques Delors). Alain Juppé semble un peu isolé dans cette liste, par ailleurs très proche des organisateurs des Semaines sociales de France.
– Deux priorités sont affirmées : celle de l’homme sur l’économie (« L’économie est au service de l’homme et non l’inverse »), ce qui va de soi, et « celle des pauvres sur les privilégiés – l’équité condamne une trop grande inégalité entre les revenus ». Sur ce second point, le mot privilégiés est très ambigu : on peut être riche sans être privilégié, mais par ses propres efforts, et parce qu’on a développé ses talents. Est-ce en soi un privilège ? Quant à l’équité, elle est définie dans le Compendium de la doctrine sociale (document du magistère non cité par ce manifeste) au § 303 comme devant « permettre à tous d’avoir à sa disposition ce qui sert au développement et au perfectionnement de la personne » : l’équité implique donc la lutte contre la pauvreté, et non pas la suppression des écarts de revenus, s’ils proviennent d’un effort productif plus grand et d’un service plus grand rendu aux autres. Qui définira que l’écart est « trop grand » ?
– Selon ce manifeste, les chrétiens doivent « accepter un niveau d’impôts volontariste pour une solidarité active ». C’est confondre la charité, au sens plein du terme, et la redistribution étatique. Il y a plus de valeur éthique dans la solidarité spontanée que dans la redistribution obligatoire et, de toutes façons, ici comme ailleurs, le principe de subsidiarité doit être appliqué (comme rappelé par Jean-Paul II au §48 de Centesimus annus).
– La référence à Jaurès et à Gorbatchev, qui auraient reçu les textes de Léon XIII ou de Jean-Paul II comme des références pour fonder une société plus juste, laisse perplexe. On a connu mieux en matière de parrainage, et on ne voit pas en quoi l’appui du dernier responsable de l’URSS validerait la doctrine sociale ; si c’est un argument d’autorité, nous préférons celle du magistère.
– Le texte rappelle que le marché « ne peut fonctionner que dans des sociétés basées sur les valeurs morales ». Il s’agit donc « d’appeler à une indispensable régulation de leur fonctionnement », notamment par les autorités publiques. On ne voit pas le lien entre la régulation et la nécessaire éthique, sauf à imaginer que l’Etat est le garant de « l’ordre moral ». La morale est une chose, la régulation une autre, et on ne voit pas comment l’une pourrait résoudre le problème de l’absence de l’autre. Il y a ici une confusion entre la loi (la régulation) et l’éthique, qui va infiniment plus loin.
– Enfin, pour nous en tenir à l’essentiel, il est fait référence à juste titre aux corps intermédiaires, en l’occurrence « notamment » les ONG et les syndicats. Jean-Paul II, lui, avait dans Centesimus annus une liste autrement plus large (§13) : « Le caractère social de l’homme ne s’épuise pas dans l’Etat, mais il se réalise dans divers groupes intermédiaires, de la famille aux groupes économiques, sociaux, politiques et culturels qui (…) ont leur autonomie propre. C’est ce que j’ai appelé la personnalité de la société qui, avec la personnalité de l’individu, a été éliminée par le socialisme réel ». Le manifeste, lui, réalise le tour de force de présenter un texte sur l’enseignement social chrétien, surtout au moment de Noël, sans citer le mot « famille ».
Voilà quelques questions, posées sans aucune agressivité, mais dans le souci de faire, entre laïcs, avancer la compréhension de la doctrine sociale de l’Eglise
Jean-Yves Naudet
Président de l’Association des économistes catholiques (AEC)
JR (abcdetc)
Sans compter quelques formulations malheureuses comme la condamnation d’une trop grande inégalité de revenus ou la défense de la propriété privée, à laquelle l’attachement de Jésus est prouvé…
D’autre part, l’emploi du terme générique “les chrétiens” pour désigner une poignée de signataires a quelque chose d’un prosélytisme assez désagréable. J’ai comme une envie de me débaptiser pour éviter amalgame, confusion et récupération.
Pascal G.
@Rackham
Je trouve Michel JANVA très modéré, au contraire.
Ce qui est essentiellement faux dans ce manifeste est qu’il n’analyse pas l’origine de la pauvreté, qui est l’échec du matérialisme de l’économie administrée.
Aux USA, la crise financière des subprime est née de politiques sociales étatiques délirantes et de législations de régulation non applicables, alors que les organismes de contrôle de la Bourse et du monde financier ont des dizaines de milliers de salariés ; idem en France, où les structures de contrôle de l’économie sont encore plus puissantes et centralisées.
Les politique d’assistanat, de discrimination positive, de massification de l’enseignement, de baisse des standards éducatifs propres aux USA et à la France sous l’effet des courants de pensée infra marxistes et socialisanst de l’intelligentsia sont à l’origine de la croissance de la pauvreté, fortement structurelle en France, et plus susceptible de résorption aux USA, moins étatistes.
Ce manifeste n’aborde pas la faillite de l’Etat, parce que ses signataires, qui se disent chrétiens sociaux sont pour la plupart imprégnés de socialisme chrétien à la Marc SANGNIER : les plus à droite d’entre eux sont des lecteurs de Témoignage Chrétien.
Ils ne gardent de la Doctrine Sociale de l’Eglise qu’un aspect, qui est la critique du matérialisme de l’économie moderne privée, se gardant bien de relever que c’est l’Etat, qui par son égalitarisme de principe (jacobin ici, démocrate aux USA depuis ROOSEVELT) a poussé les pays industrialisés à faire de chaque citoyen un client du guichet étatique, particulièrement en Europe et en France.
Ces signataires ignorent que c’est la société civile et les corps intermédiaires qui ont la légitimité morale pour résoudre la pauvreté : en défendant la loi naturelle, l’Eglise défend une anthropologie qui fait de l’homme une créature programmée pour sa relation à Dieu et à ses semblables, dans une relation personnelle, qui passe aussi par les groupes sociaux naturels découlant de sa nature : famille, en premier lieu (mot ignoré par ce manifeste), entreprise, métier, école et lieux de formation, communautés locales (autres mots absents, remplacés par associations, c’est à dire subventions), etc…., ce mailllage qui aide chacun à être pleinement homme. Et qui permet, si on vivifie ces communautés naturelles, au lieu de les amoindrir au profit des administrations d’état, impersonnelles et a -relationnelles par définition, de porter secours et assistance, de soutenir, de réparer ce qui chez les plus fragiles de nature ou par accident, ôte une partie de la dignité des hommes dans une société.
Que la puissance publique doive intervenir en urgence est une nécessité souvent : qu’elle fasse de son intervention une règle, fondée sur une fiscalité confiscatoire, qui ôte aux corps intermédiaires tout moyen financier et légal d’autonomie, cela est contraire à la morale catholique.
En cette période de crise, si les familles, la natalité et les sociétés nationales n’avaient pas été fragilisées par le divorce, le vagabondage sexuel, l’avortement, la fiscalité qui empêche la constitution de patrimoines familiaux pérennes, un urbanisme délirant, une hausse du logement spéculative, touts maux créés et favorisés par l’Etat au nom d’idéologies anti naturelles, chacun serait moins fragile face à l’adversité : car si les moyens financiers peuvent diminuer la pauvreté, la solidarité naturelle peut permettre un soutien, qui n’est pas que matériel.
Tout cela, ce manifeste ne le dit : il est aussi matérialiste que le matérialisme qu’il prétend dénoncer, car il réduit l’homme et le citoyen à n’être qu’un rouage de l’Etat, lequel est par avance surqualifié par rapport à la société civile et aux corps intermédiaires naturels.
Derrière des mots chrétiens, il y a le bon vieux socialisme démocrate chrétien et keynésien : comme le dit aussi N. SARKOZY, vive la crise, elle va permettre d’accroitre la domination de la technostructure européenne et l’assistanat de l’Etat. Ce manifeste est une imposture intellectuelle, outre le fait que le flou de ses solutions ne masque pas l’égalitarisme matérialiste ( tout égalitarisme est toujours matérialiste, puisqu’il ne prend en compte que la quantité) et le socialisme de son inspiration.
Les signataires n’osent enfin dénoncer le travers de toute démocratie, déjà souligné par Aristote, qui est de se justifier par une démagogie d’égalitarisme qui tend à détruire ce qui est construit naturellement, afin de satisfaire la clientèle électorale du plus grand nombre : ce matérialisme là n’est pas non plus évangélique, si c’est l’Etat qui reçoit mission d’égalitarisme, parce qu’il use alors de moyens qui vont à l’encontre de la morale naturelle. Jean Paul II qui est utilisé dans ce texte abusivement, avait appelé à une insurrection morale, voire à la désobéissance civile, contre cette dérive de la démocratie.
Ces socialistes ”chrétiens” en sont loin : ils ont confondu les Béatitudes avec les paroles d’un croyant de Lammenais.
Ludovic
Au delà de l’Etatisme sous jacent, le gros problème de ce texte est qu’il fait l’impasse sur une des raisons majeures de la destructuration sociale: la culture de mort (avortement, divorce, éducation athée…).
Mais effectivement, on peut regarder le verre à moitié plein: on est déjà au delà de la pensée dominante purement matérialiste.
Regnum Christi Belgium
Je suis assez d’accord avec vous Rackam; ainsi, attention aux réactions épirdermiques par rapport à pensée sociale chrétienne de gauche: les auteurs ne se réfèrent pas à Jaures ni à Gorbatchev mais relève l’étonnante référence de ces deux derniers à Leon XIII et à JP2, tant ils sont incontournables.
Joyeux Noël à tous!
Philippe Edmond
Ce texte a l’intérêt de donner envie de se renseigner sur les acteurs et l’histoire des engagements chrétiens sociaux, par exemple à l’aide de ce dossier : http://unvoyageauliban.bafweb.com/index.php?2008/12/24/402-qu-est-ce-que-le-christianisme-social
Ce texte a toutefois le défaut d’être flou sur la question du rôle de l’Etat et de christianiser la redistribution socialiste en ne mettant pas assez en valuer le rôle des lois sociales et les combats pour la vie.
Le Preux
Ce texte est surtout faux dans sa démarche et dans son esprit : le peuple s’est exprimé à de multiples reprises sur ces sujets et on ne l’a pas écouté. Où est donc la susbidiarité tant invouée ? Et ce sont ceux-là mêmes qui ne l’ont pas écouté – à commencer par les eurocrates deloriens ou les financiers à la villeroy de galheu (que certains aillent lire sa “conférence de carême” à Notre Dame -Jésus en “supermanager !, une honte et unblapshème devant l’autel) – qui maintenant parlent d’en haut, à sa place qui prônent encore et toujours plus d’Etat pour sauver non pas l’homme mais le “capitalisme”. Ce qui nous fait deux maux au lieu d’un : on finira en Chine communiste : l’hypercapitalisme et l’Etat tout puissant.
Il serait plus judicieux – et espérons que Benoît XVI saute le pas dans son encyclique annoncée – de dénoncer le triomphe de l’esprit de lucre qui envahit et détruit le monde à partir de l’Occident infidèle. Et de cesser de l’encourager pour rappeler plutôt que “l’homme ne vit pas que de pain” et de consoles vidéo et qu’au contraire , “cherchez le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné de surcroît”.
Il est regrettable que la Conférence des évêques de France – ait apporté son soutien à ce texte qui pèche contre l’esprit de la doctrine de l’eglise, à ce point.
S’ils veulent vraiment défendre l’homme, qu’ils contrôlent la libre circulation des capitaux, qu’ils ordonnent la libre circulation des marchandises – qui, entre autres, saccage la petite agriculture spécialisée ou vivrière dans tous les pays -, qu’ils régulent la libre circulation des travailleurs, qui déracine des millions d’hommes dans le monde, déstabilise les sociétés qui ne peuvent les accueillir, etc
Donc, qu’ils remettent en cause l’euro et le marché unique, après on les écoutera!
L'ami du laissez-faire
On peu noter que le terme subsidiarité a fait l’objet d’une offensive sémantique de la part de Delors et consort pour en inverser le sens.
La subsidiarité au sens “Européen” est devenue un synonyme de jacobinisme où l’Etat/comission (souverain) laisse aux autres ce qu’il daigne pas faire.
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/ds00870.fr07.pdf
“Lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence partagée avec les États membres dans un domaine déterminé, les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l’exercer.”
Alors qu’il s’agit précisément de l’inverse. La norme de droit la moins étendue est aussi la plus haute dans la hiérarchie des normes
http://www.libres.org/francais/dossiers/pape/principe_subsidiarite.htm