Environ 900 personnes ont assisté ce matin à la messe pontificale célébrée par Dom Louis-Marie, père abbé du Barroux, en l’église Saint-Roch à Paris, à l’occasion du 40e anniversaire de l’association Notre-Dame de Chrétienté. En attendant la diffusion de l’homélie, voici le mot prononcé par le père de Blignières, supérieur de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier, lors du dîner anniversaire, qui s’est déroulé vendredi soir :
Chers amis,
Pour évoquer ces 40 ans d’aventures, il m’est venu un mot : celui de beauté.
1° Notre-Dame de Chrétienté, c’est d’abord la beauté d’un défi. Il y a un côté chevaleresque dans ce qu’ont fait depuis quatre décennies les fondateurs, les organisateurs et les aumôniers de NDC. À contre-courant du doute universel, ambiant dans la société et hélas dans de larges secteurs de l’Église, proposer de fortes certitudes, c’est bien un défi courageux. Fonder, en 1982, un pèlerinage reposant sur le triptyque « chrétienté, tradition et mission » c’était une belle provocation. Elle était le fait d’une juste rébellion contre la médiocrité de la civilisation de consommation, contre la déconstruction sociétale, contre l’apostasie immanente. Je dirais que le pèlerinage est un acte de foi posé par de jeunes catholiques contre la médiocrité de l’hédonisme technocratique et contre la veulerie de la démission progressiste. C’est l’une des facettes de cette « insurrection des hommes libres », qui refusent d’abdiquer la dignité de leur nature humaine, la grandeur de leur héritage historique, la noblesse de leur condition de Fils de Dieu. Le pèlerinage, c’est une équation étonnante : l’approfondissement de la doctrine, l’exigence de l’effort, la splendeur de la liturgie… joints au professionnalisme inventif de l’organisation ! Il n’était pas évident du tout que cela réussisse à motiver des centaines de dévouement inlassables de cadres et de prêtres, des dizaines de milliers de courageux pèlerins durant 40 ans. En fait ce défi a été relevé. C’est là une première beauté, celle d’un sage anticonformisme, à l’école de Charles Péguy et d’André Charlier, qui disait : « Il faut accepter d’être seul, et lorsque l’on a accepté, on s’aperçoit qu’on ne l’était pas ».
2° Un autre aspect est celui de la beauté sensible comme reflet de l’ordre et de la vérité. Le pèlerinage est organisé de belle façon, avec des services divers et prudemment coordonnés. C’est une belle édification de le voir fonctionner, au prix de tant de sacrifices et dans une discipline consentie. Les aumôniers, les responsables, les chefs de chapitre, se soutiennent (sans laïcisme et sans cléricalisme…) dans leurs tâches respectives… La beauté de cette harmonie est visible dans l’ordonnance de la colonne et l’organisation des bivouacs. Le pèlerinage marche de belle façon, par régions et chapitres organisés, sous de belles bannières flottant au vent. Il traverse les belles régions du cœur de notre pays, l’Ile de France. Les pèlerins chantent, souvent juste et toujours unanimement, ce qui est bouleversant dans une société dépressive où le chant populaire est devenu très rare. Et ils chantent de beaux cantiques. Ils marchent vers l’un des plus beaux bâtiments du monde, la cathédrale de Chartres. Ils y déploient une liturgie somptueuse et émouvante. Le rite, c’est « ce qui rend sensible la vérité ». La beauté de la liturgie de la tradition latine est de mettre sensiblement sous les yeux des participants, de façon éloquente, un triple aspect de la vérité. La vérité sur Dieu, par le sens aigu du sacré, manifesté notamment dans l’orientation et la langue sacrée. La vérité sur l’homme, par l’attitude des assistants durant la célébration des mystères et à la communion. La vérité sur le Christ par la dimension sacrificielle, véhiculée de façon incomparable par le plus ancien des rites catholiques. Les témoignages de conversion sont innombrables. L’ordonnancement joyeux de cette belle marche sacrée dispose les âmes à découvrir qu’il existe un monde au-delà de la triste banalité matérialiste. La beauté du rite est pour elles le Porche qui introduit à la beauté du mystère divin.
3°. Il y a une troisième facette de la beauté qu’évoque pour moi le pèlerinage de Chartres : c’est la beauté morale et spirituelle. Faire marcher ensemble 15 000 jeunes et moins jeunes de tous les horizons ; faire travailler ensemble dans l’organisation des adultes aux forts tempéraments ; former doctrinalement des chefs de chapitre et des adjoints souvent de « sensibilités » différentes ; donner à des prêtres de divers Instituts et de diocèses variés la possibilité d’exercer ensemble leur ministère. Tout cela dans le respect des « pédagogies traditionnelles de la foi » : voilà qui suppose de beaux renoncements et une belle charité ! Oui, le pèlerinage est un lieu de vraie catholicité. Il est beau notamment qu’il ait mis en œuvre sans faillir depuis quarante ans deux aspects de cette catholicité. La fidélité à la messe grégorienne qui constitue la colonne vertébrale de la catholicité latine et qui fait partie de son patrimoine inamissible et indisponible. La pratique de la communion hiérarchique avec les Pasteurs (si déficients ou irritants soient-ils parfois) qui appartient de droit divin à la profession catholique. Le rite des messes matinales célébrées par les aumôniers souligne le premier aspect. La célébration ou la prédication des messes principales par des évêques ou des cardinaux met en lumière le second.
J’ajoute une note plus intime. Il a la beauté des confessions. J’ai fait une dizaine de pèlerinages et c’est ce qui m’a le plus ému. Comme le disait Pierre Vaquié, nous avons, au pèlerinage, des « confessionnaux » ambulants. Entre deux chapitres, dans un espace vide sur la route, le prêtre est isolé du monde et du bruit par la grâce sacerdotale comme dans un invisible cristal. Il écoute, conseille, absout durant des heures. Les confessions, préparées par les topos des chapitres, semble facilitées par l’émulation de la ferveur et par la marche, comme la pensée des aristotéliciens au Lycée l’était par la camaraderie intellectuelle et la déambulation. Elles sont magnifiques. Lorsque la main se lève sur un visage baigné de larmes pour absoudre un pèlerin qui ne s’est jamais confessé ou ne l’a pas fait depuis trente ans, il est difficile de retenir ses larmes devant la beauté spirituelle de cette renaissance !
Mes chers amis, disons merci à Dieu, par Notre-Dame du Rosaire. Merci pour la beauté du défi relevé par le pèlerinage ; merci pour la beauté sensible qui y véhicule la vérité ; merci pour la beauté morale d’une démarche profondément catholique.
L.-M. de Blignières
Prieur FSVF