Partager cet article

Culture

Peut-être n’y a-t-il pas de vertu sans courage

Peut-être n’y a-t-il pas de vertu sans courage

François Sureau prononçait jeudi 1er décembre le traditionnel « Discours sur la vertu » fait chaque année par un membre de l’Académie française lors de la séance annuelle. Il a choisi de faire l’éloge du courage à travers le portrait de quatre hommes ayant manifesté un courage moral exceptionnel dans l’histoire : Thomas More, Auguste Scheurer-Kestner, André Gide et Jean Cavaillès. Extrait :

En matière de vertu, comme on sait, on parle plus volontiers de ce qu’on ne possède pas. L’hypocrisie n’est pas le seul hommage qui naisse du vice, le sermon et la propagande en viennent aussi. Ainsi Julien Green prétendait-il que les livres pieux étaient écrits par le diable. Les États despotiques invoquent la liberté, les peuples luxurieux la chasteté, les nations violentes le pacifisme. La vertu, c’est peut-être avant tout un regret, et ce regret prend toutes les formes que l’imagination, personnelle, religieuse ou politique, lui donne.

L’exercice n’est pas facile : la vertu, au sens privé, inquiète ou fait sourire, et, n’étant ni moraliste ni théologien, je ne m’aventurerai pas à en parler. La vertu, au sens public, elle, terrorise. C’est le mot dont la Révolution s’est enivrée, celui, dit Valéry, de la « dictature des abstractions dans le délire clair desquelles une foi toute vierge engage les esprits » . Il n’y a pas si longtemps que cette vertu s’incarnait pour nos contemporains dans les figures rêvées de Staline ou de Mao Tsé-toung. Arthur Koestler a décrit de manière définitive ces intellectuels qui défailliraient à la vue d’un chien crevé mais parviennent sans effort à justifier les massacres qu’ils ne seront jamais appelés à contempler au nom des chimères dont la poursuite justifie leur rôle public. À la fin, disait Orwell, qui, lui, en avait vu, un charnier n’est qu’un charnier, et pas une étape dans l’avènement d’un monde meilleur. Laissons là la vertu majuscule, qui nous dépasse, nous accable et nous assassine.

La vertu dont je voudrais vous entretenir aujourd’hui est à mi-chemin entre l’espace privé et l’espace public. Il s’agit du courage. Peut-être n’y a-t-il pas de vertu sans courage. N’étant que médiocrement doué pour l’abstraction, je voudrais méditer avec vous sur le courage pris en quelque sorte à sa source, et peut-être en tirer quelques leçons pour le temps présent. J’ai choisi pour ce faire quatre figures du courage, afin qu’en les contemplant nous puissions nous faire une idée de ce que le courage demande. Je vous parlerai de Thomas More, d’Auguste Scheurer-Kestner, d’André Gide et de Jean Cavaillès.

Le courage physique, au moins sous sa forme militaire, est un composé indéfinissable où l’individuel se mêle au collectif dans des proportions difficiles à déterminer, qui ne sont jamais les mêmes pour chacun et d’ailleurs varient au gré des circonstances. La solitude ne revient qu’avec le choc, la blessure, qui font passer d’un coup au-delà du courage immédiat, dans le domaine obscur et douloureux des conséquences, où désormais la patience, et non l’acte décisif, tient la première place. Dans le courage moral, c’est au contraire l’impression de grande solitude qui frappe. J’en connais peu d’exemples aussi frappants que celui de Thomas More, emprisonné à la Tour de Londres pour n’avoir pas accepté les évolutions conjugales de Henry VIII. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’il n’accepte pas. Juriste, lorsqu’il a comparu, il s’est continûment refusé à ce qu’on appellerait aujourd’hui une défense de rupture et n’a cessé de protester de son obéissance au roi. Quant à la soumission à Rome, bien qu’il fût opposé au luthéranisme, elle prenait chez lui des formes complexes d’où l’esprit insulaire n’était pas absent. Que défend-il, à la fin ? L’impossibilité pour lui de prêter l’un après l’autre deux serments contradictoires, le premier au roi en tant que roi, le second au roi en tant que chef de l’Église d’Angleterre ; son hostilité, que l’on peut aujourd’hui juger prophétique, à voir réunis dans une seule main le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Entré à la Tour le 17 avril 1534, par une porte qu’on appelle « la porte des traîtres » , Thomas More s’y trouve absolument seul. Érasme se tait, son ami Tunstall a signé le serment ainsi que William Roper, son gendre, qui poursuit sa carrière au Parlement. On sait par ses lettres qu’il avait peur du supplice et de la mort. C’est alors qu’il écrit le célèbre Dialogue du réconfort, où il fait apparaître dans sa cellule, comme pour remplacer ses amis absents, un maître et son disciple engagés dans un dialogue platonicien. Il restera seul jusqu’au bout. Son humour ne l’abandonnera pas, et l’on sait qu’en montant à l’échafaud il demandera l’aide du lieutenant de la Tour en ces termes : « Merci de m’aider à monter. Pour la descente, je me débrouillerai tout seul. » […]

Partager cet article

5 commentaires

  1. le pédophile GIDE comme modèle de courage ??
    on est au fond du gouffre et des égouts;
    le courage, selon st Thomas d’ Aquin, est une vertu grâce à laquelle un homme fait son devoir malgré le risque de mort.
    un soldat qui monte au front est courageux : il risque sa vie pour défendre sa patrie , le Bien commun.
    l ‘exaltation du pédophile GIDE comme modèle prouve l ‘inversion absolue des valeurs.
    le triomphe de la décadence de mai 68.
    le vicieux , le luxurieux , le débauché , le sodomite, est honoré comme un surhomme ;
    les saints et les héros sont méprisés.
    les valeurs sont inversées.

  2. Je crois qu’André Gide appréciait le commerce des jeunes adolescents du côté de la rive sud de la Méditerranée : un grand courage en effet. On peut ajouter aussi le compte-rendu admiratif à son retour d’URSS : quel grand courage à nouveau. J’aurais bien cité quelqu’un qui a eu un grand courage pour mettre en garde contre le danger de l’immigration : il s’appelle Jean-Marie Le Pen. Mais il est toujours de ce monde, et c’est donc pour cette raison certainement que François Sureau ne l’a pas cité, bien entendu. Bien évidemment, ce manque sera comblé dans le futur lors d’un nouveau discours sous la Coupole, on ne doit pas en douter du tout.

  3. La Reine Marie Antoinette, le Roi Louis XVI, Madame Elizabeth et les victimes héroïques montant à l’échafaud pour le courage et même plus.
    Mais André Gide. Comment ose-t-il ? Il veut faire plaisir au locataire de l’Élysée qui s’est fait photographier avec un volume de cet auteur ?
    Il n’a pas osé les “Dialogues des Carmélites “.

  4. Petite caresse dans le sens du poil, évidemment : on ne mord pas la main qui nourrit.
    A-t-on les noms des académiciens courageux depuis 1958, au hasard ?

  5. Gide : beurk !
    Il eut été plus judicieux d’évoquer le courage d’Arnaud Beltrame.

Publier une réponse

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services