Dans Valeurs Actuelles, l’abbé Danziec revient sur la polémique entre son hebdomadaire et l’émission de Yann Barthès :
[…] Au fond : Yann Barthès et ses chroniqueurs n’ont-ils pas le droit de rire de « la droite des valeurs » ? Tenter de répondre à cette question réclame, avant toute chose, d’en définir les termes. Car faudrait-il encore savoir de quel rire nous parlons ? Il en est du rire comme d’une voiture, suivant sa catégorie les sorties de piste, les tête-à-queue ou les carambolages menacent plus ou moins d’advenir. Et ce n’est pas sans raison que l’Eglise s’est toujours défendue de béatifier le rire en soi, au risque d’ailleurs de passer pour rabat-joie. Dans sa Règle monastique, qui servit de matrice sociétale à tout l’Occident chrétien, Saint Benoît mettait en garde le moine contre le rire bouffon « Quant aux bouffonneries, aux paroles frivoles et faites pour provoquer le rire, nous ne permettons pas au disciple d’ouvrir la bouche pour de tels propos ». Ce que Saint Paul résume dans l’une de ses nombreuses lettres « De même pour les grossièretés, les inepties, les facéties : tout cela ne convient guère » (Éphésiens 5, 4). Bernanos, dans son très enlevé Dialogue des carmélites, rappelle la parole grave du Christ dans l’une de ses apparitions à une mystique italienne du milieu du XIIIème siècle, Angèle de Foligno : « Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée ». Pour le chrétien, la vie est en effet une affaire sérieuse. Si elle n’exclue pas la joie, le divertissement sans barrières peut hélas troubler en l’homme sa raison comme son intériorité. Sous des dehors potaches, on a vite fait de se moquer du monde. Philippe Muray a qualifié de désastre contemporain cette époque où « le risible fusionne avec le sérieux ». Une société dont le curseur des repères est volatile devrait se méfier d’elle-même. Selon le philosophe, l’Homo festivus, le citoyen moyen de la post-histoire, se croit libéré des dettes que ses ancêtres pouvaient avoir envers le passé. Désinhibé à mort, il fait la fête, se rie de tout et surtout se fiche pas mal des autres. Bienvenu dans le logiciel de Quotidien.
Bien entendu, il ne s’agit pas de jeter ici l’anathème sur le rire en soi. Depuis toujours, il sert aux hommes de catharsis face aux scandales de la souffrance et aux désolations de l’existence. Roberto Benigni dans son film La vie est belle le démontre avec une force indéniable : le rire permet en certains cas la plus formidable des évasions. Les prisonniers de guerre ont d’ailleurs fréquemment témoigné qu’en plus du souvenir de leur famille, c’est l’humour qui leur a donné les ressorts pour, du fond de leur cellule, vaincre le découragement. A lire la vie des saints, ces derniers n’ont pas manqué de traits d’esprit dans leurs épreuves comme dans leur désarroi. Souvent en riant d’eux-mêmes ; l’humour devenant tout à la fois une occasion de manifester leur humilité et un moyen de la conserver. Il n’en reste pas moins que face à la dureté de la vie, si le rire peut adoucir le quotidien d’un homme, il peut aussi endurcir son cœur. La dérision ne saurait constituer à elle seule un passe-droit pour s’amuser de tout et de n’importe quoi. La vulgarisation de la moquerie a ses effets délétères. La banalisation de l’irrévérence, ses conséquences funestes. Se gausser d’une personne ou d’une conviction avec jubilation, quand bien même ce ne serait que pour divertir, relève d’un jeu dangereux. Loin du couple idéal, quand l’humour se marie à l’idéologie, le divorce de la pensée n’est pas loin. Chez les jeunes générations, on ne l’observe que trop, le rapport avec la politique, les institutions, le sacré, le solennel s’est passablement désenchanté. Sous l’égide du décalé, Yann Barthès se rend-il compte qu’il entretient chez elles un cynisme inquiétant ?