Interrogé dans Le Parisien, le Général Jean-Claude Gallet, commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, revient sur le drame de la rue de Trévise, dans lequel deux de ses hommes sont décédés le 12 janvier (un hommage national sera rendu jeudi matin au première classe Nathanaël Josselin et au caporal-chef Simon Cartannaz), ainsi que sur la hausse des agressions contre les gendarmes :
[…] Il y a eu une explosion due au gaz, qui part du sous-sol et dont l’origine sera vraisemblablement bientôt déterminée par l’enquête de la police judiciaire. Les deux sapeurs-pompiers ont été projetés à plusieurs mètres par une explosion d’une très forte intensité, avec la rupture de deux conduites de gaz. Ils ont épargné des vies en demandant aux gens de rester chez eux et en effectuant un périmètre de sécurité avant de mourir. Ils ont épargné une vingtaine de vies, dans ce quartier très passant, avec trois hôtels aux abords bourrés de touristes.
Un dessinateur de la brigade, qui avait interrogé deux camarades survivants, a réussi à localiser sur un croquis l’endroit où pouvait être ce pompier. A ce moment, le temps joue contre nous, des débris tombent, le feu se propage et il ne faut pas mettre trop d’eau pour ne pas alourdir la structure. C’est le chaos, l’immeuble va peut-être tomber. Est-ce que la brigade accepte de perdre six pompiers pour le localiser, sans savoir s’il est encore vivant et qu’il a déjà deux camarades tués sur le coup ? La question est implicite, la décision, collective. Cela se fait au regard. Et ça se traduit par : on y va, et on assume. Celui qui y va va risquer sa vie. Il passe sur une échelle, une autre, cherche, ne trouve pas, ça s’écroule… Il continue à chercher, le feu baisse suffisamment d’intensité pour écouter les bruits. Les chiens se brûlent les pattes, cinq ont d’ailleurs été blessés. Le pompier rescapé emprisonné sous les gravats se voyait mourir, il respirait les gaz chauds, sous 50 cm de gravats. On trouve un homme enseveli. A sa tenue, on sait que c’est lui ! La seule solution était le déblaiement des gravats à la main, mais on entend craquer l’immeuble et on voit des fissures horizontales, la structure est atteinte.
Saviez-vous si l’immeuble allait tenir ?
A ce moment on est incapable d’évaluer s’il y a encore des piliers porteurs, en fait, ça ne tenait plus sur rien. Le sapeur-pompier a pu être extrait verticalement, en barquette. une équipe de huit hommes étaient autour de lui et une dizaine d’autres réunis pour le recueillir. On a quatre personnes décédées dont deux pompiers mais lui est vivant, sauvé dans des conditions inouïes… C’est une victoire contre la mort.
Comment va-t-il ?
Il est sorti d’affaire sur un plan physique, il a été sauvé par ses camarades. Mais il a vu la mort. Il va falloir l’accompagner. Il sera présent à l’hommage.
Après la mort du sergent Jonathan Lassus-David, 28 ans, dans un incendie à Choisy-le-Roi, et celle du première classe Geoffroy Henri 27 ans, poignardé à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), la brigade paye un lourd tribut.
C’est une infinie tristesse. Les pompiers sont toujours prêts à y aller quand il s’agit de sauver une personne. Mais à Villeneuve-Saint-Georges, l’un des nôtres a été assassiné. C’est une fin tragique, absurde, et la brigade en porte encore les stigmates.
C’est un traumatisme ?
Pas un traumatisme, mais une appréhension nouvelle et une colère qui concerne l’ensemble de la brigade, pas seulement le Val-de-Marne. Parce que, contrairement au policier ou au gendarme, le pompier n’est pas un régulateur de violence. Pour nous, la personne à secourir est une victime. Les agressions ont augmenté de 60 % en 2018 : il y a pratiquement un pompier agressé par jour, et très souvent par la victime secourue. Deux tiers des agressions ont lieu sur fond d’alcoolémie.
[…]
Comment s’explique l’augmentation des interventions ?
La brigade est calibrée pour 450 000 interventions par an. En 2018, on a dépassé les 522 000. Ça s’accélère depuis 2015 et ça s’explique par le faible réseau de médecine de ville et de maisons de santé. Les sollicitations se reportent sur les sapeurs-pompiers, notamment, avec une augmentation des secours à personne (blessures, chutes…) : ce sont 80 % de nos interventions. Ça ne va faire qu’augmenter avec le vieillissement de la population. Et parallèlement, il y a 100 000 interventions qui ne nécessitent pas de gestes de secouristes, mais qui répondent à une inquiétude, à un problème d’orientation médicale, une détresse psychologique.
Y a-t-il une désaffection pour la carrière de sapeur-pompier ?
Pas en termes de recrutement mais depuis un an, on est passé de 83 % à 52 % de demandes de renouvellement de contrat après cinq ans. Les jeunes sont prêts à risquer leur peau, mais pas à intervenir pour tout et n’importe quoi. […]
F. JACQUEL
Le CCH Cartannaz est originaire d’un petit village du Parc naturel régional de Chartreuse. Il est d’une famille de pompiers de père en fils depuis des générations. Ses funérailles seront célébrées dans son village natal samedi prochain en présence du Préfet de Savoie et du Président de la région Auvergne Rhône-Alpes.
Toute la vallée porte le deuil de ce garçon dynamique et dévoué.
F. JACQUEL
J’ai oublié de préciser qu’il est originaire d’Entremont-le-Vieux.