Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, met en garde le nouveau candidat officiel LR :
"[…] François Fillon devra tout d'abord compter avec l'hostilité de la gauche et de ses relais culturels et médiatiques. Avant le premier tour, sa position en retrait lui avait valu d'être épargné. Mais le concert d'imprécations qui s'est élevé durant l'entre-deux-tours, souvent grotesque (la une de Libération : «Au secours, Jésus revient!»), parfois ignoble (Pierre Bergé qui évoque le retour de Vichy), ne fera pas silence de sitôt. Réac, catho, homophobe, antisocial, misogyne… ce n'est qu'un début! Il devra vivre avec. Et tenir bon quand l'orchestre rose exigera qu'il renonce à l'interdiction du burkini, à l'uniforme à l'école ou à la réécriture de la loi Taubira. Son refus impavide d'entrer dans le jeu des amuseurs cathodiques comme de céder aux diktats des mandarins médiatiques n'a pas peu compté dans son succès. Le moindre signe de faiblesse, de complaisance ou de connivence serait aussitôt vécu comme une trahison par ces électeurs dont l'exaspération, qu'il a fort justement diagnostiquée, se nourrit aussi des prétentions moralisatrices de ceux qui font l'opinion - ou qui croyaient la faire…
Pour lui, le danger viendra aussi de ses «amis» politiques. Non pas tant qu'il ait à redouter une résistance organisée - le score des juppéistes et les perspectives de victoire à la présidentielle devraient décourager les vocations -, mais il lui faudra prendre garde aux ouvriers de la onzième heure qui, très vite (sans doute le siège a-t-il déjà commencé), viendront lui conseiller, pour son bien et au nom du «rassemblement» , de mettre beaucoup d'eau dans le vin un peu trop corsé qui lui a permis de remporter la primaire. Les mêmes, si la victoire est au rendez-vous, reviendront à la charge au lendemain de la présidentielle. Il s'agira alors de le convaincre de pratiquer «l'ouverture» au nom de la lutte commune contre le Front national. Au motif - pont aux ânes de l'analyse politique - «qu'il ne faut surtout pas refaire l'erreur de Jacques Chirac qui n'a pas su tirer les leçons du second tour contre Jean-Marie Le Pen»… alors qu'on voit mal en quoi l'entrée de deux ou trois ministres socialistes aurait pu rendre Jacques Chirac plus réformateur!
Dans les deux cas, il faudra résister et ne pas oublier les ressorts de la victoire d'hier soir. François Fillon a gagné la primaire parce qu'il a exprimé avec modération des convictions fortes, pas parce qu'il aurait cédé aux sirènes d'un centrisme massivement rejeté en la personne d'Alain Juppé. La «radicalité» hautement revendiquée du projet victorieux ne doit pas se perdre une fois de plus dans l'éternel triangle des Bermudes de la vie politique.
[…] Vu le programme de réformes qui est le sien, François Fillon n'échappera pas aux grèves de fonctionnaires ni aux cortèges syndicaux, dont il serait illusoire de croire qu'il pourra les apaiser aux prix de quelques concessions - la loi El Khomri l'a bien montré. Mais s'il a le peuple avec lui - et que la majorité reste solide -, il en viendra à bout. La question pour François Fillon n'est donc pas de se ménager les bonnes grâces des privilégiés du système, qui bénéficient le plus souvent d'un emploi à vie, elle est d'associer les classes populaires à son ambition réformatrice. Cette bataille - que Nicolas Sarkozy a perdue: la «France qui souffre»l'a soutenu puis très vite abandonné - est décisive pour le succès d'un (possible) quinquennat Fillon. […]"