Petit cours d’histoire de l’Eglise par Claves :
Le mode de désignation des papes avant le XIe siècle
Le mode d’élection à la papauté n’est pas fixé par le droit divin : après la désignation du premier pape par le Christ, on ne trouve pas de prescription claire quant au mode de choix de son successeur.
Dans l’antiquité chrétienne, les évêques étaient élus par le peuple, le clergé et les évêques de leur province ; cette coutume qui semble remonter (au moins) au temps de saint Clément de Rome (3e successeur de saint Pierre) faisait intervenir à des titres différents les fidèles et les membres de la hiérarchie (le peuple et le clergé présentant un candidat que les évêques confirmaient ou non dans l’épiscopat).
Il semble que ce mode de désignation ait bien été appliqué à l’évêque de Rome dans les premiers siècles. Saint Cyprien raconte ainsi au IIIe siècle les circonstances de l’élection du pape Corneille. Cependant il rencontra bientôt des difficultés avec l’émergence des grandes hérésies (arianisme notamment), menant même à la désignation d’antipapes concurrents. Après la fin des persécutions, le pouvoir civil fut de plus en plus tenté d’intervenir dans la procédure d’élection du pape. Au début du VIe siècle le pape Symmaque chercha un moyen de prévenir ces désordres et publia une décrétale qui défendait à quiconque de « faire campagne » pour le trône pontifical du vivant du pape régnant, et essayait de prévoir une élection restreinte aux seuls membres du clergé. Les interférences politiques se poursuivirent cependant : celles de la cour de Ravenne puis des empereurs d’Orient (avec même un impôt levé par l’empereur sur l’Église à l’occasion de l’élection et une approbation explicite exigée par l’empereur). Les élections populaires se poursuivirent dans les siècles suivants, alors que les liens avec l’Orient se distendaient de plus en plus.
Après la relative paix permise par la protection de la dynastie carolingienne, l’élection papale connut au Xe siècle de nouveaux troubles au milieu des rivalités de la féodalité italienne : on compta en un siècle près de trente papes et antipapes. Les empereurs germaniques se mêlèrent bientôt de la partie, empirant encore la situation et multipliant les schismes. Pour y mettre fin, le cardinal Hildebrand (futur saint Grégoire VII, grand réformateur de l’Église après ces années terribles), réunit à Sienne un collège resserré de membres du clergé romain, qui désigna le pape Nicolas II. En 1059 (bulle In nomine Domini) celui-ci décida de réserver l’élection pontificale aux seuls cardinaux évêques : la voie était ouverte aux conclaves modernes.
XIe-XIIIe siècle : Pas facile d’élire un pape…
En 1179, le IIIe concile du Latran avait étendu le corps électoral à l’ensemble du Sacré Collège, exigeant également que l’élu obtienne deux tiers des voix. En raison des rivalités des partis et des familles romaines, les périodes de vacance du siège se prolongeaient cependant, et de nouvelles mesures devinrent nécessaires. Ainsi l’élection d’Urbain IV (1261) avait duré plus de trois mois, celle de Clément IV (1265) plus de quatre. Quant à son successeur Grégoire X, son élection fut précédée d’une vacance de plus de 34 mois.
On rapporte que saint Bonaventure, supérieur de l’ordre franciscain, aurait fini par conseiller aux habitants de Viterbe, cité où étaient réunis les 18 cardinaux, de les enfermer étroitement au palais épiscopal, pour qu’ils puissent se déterminer à en finir en toute indépendance. La pratique avait déjà été utilisée un demi-siècle auparavant par les habitants de Pérouse pour l’élection du successeur d’Innocent III (1216), ou par les Romains après la mort de Grégoire IX (1241). À Viterbe cependant, malgré la clôture forcée, l’élection continua d’être retardée : les autorités civiles décidèrent alors de faire enlever la toiture du palais et de ne plus nourrir les cardinaux qu’au pain et à l’eau. Ceux-ci envoyèrent proposer le pontificat à un tiers extérieur, (le futur saint) Philippe Béniti, supérieur des servîtes, qui refusa et partit se cacher dans les montagnes. Enfin, six cardinaux mandatés par l’ensemble du collège finirent par désigner Théobald Visconti, archidiacre de Liège, qui n’était pas cardinal mais avait été légat apostolique en Syrie : il accepta la charge et prit le nom de Grégoire X.
Ce dernier, considérant la longueur excessive de la vacance qui avait précédé son élection voulut empêcher le phénomène de se reproduire. Ayant convoqué le IIe Concile œcuménique de Lyon, il y promulgua une bulle (Ubi periculum, 7 juillet 1274) donnant un fondement juridique aux expédients dont avaient usé de manière cavalière les habitants de Viterbe à l’endroit du Sacré Collège.
Grégoire X invente le « conclave »
Grégoire X établissait qu’à la mort du pape, les cardinaux réunis dans la ville où avait expiré le pontife devaient attendre l’arrivée de leurs collègues durant dix jours (qui forment aujourd’hui le temps du “deuil” pontifical), puis s’enfermer sans retard (et sans plus attendre les absents) dans le palais qu’il habitait, en un lieu fermé appelé « conclave ». Du latin cum-clavis (“avec une clé” ou “à clé”) le terme désigne un objet ou un lieu protégé par une clef. Il en est venu à désigner le lieu puis le mode de réunion des cardinaux de l’Église catholique pour élire un nouveau souverain pontife. Il semble apparaître pour la première fois dans la constitution de Grégoire X.
Il prévoyait qu’on y loge les cardinaux dans une même salle, sans séparation ni cloisons (une règle qui fut bientôt tempérée par Clément VI, en 1351), que les clés du conclave soient conservées par un seul cardinal, appelé camerlingue, et par un homme de confiance extérieur (le « maréchal du conclave »). Aucune communication ni par oral ni par écrit ne pouvait bien sûr avoir lieu avec le dehors, sous peine d’excommunication. On demandait cependant de prévoir une ouverture en forme de fenêtre (suffisamment étroite pour qu’un homme ne puisse s’y glisser) afin de pouvoir ravitailler les cardinaux en nourriture, et on allait jusqu’à préciser que le menu devrait être réduit à un plat par repas si l’on n’était pas parvenu à élire un candidat après trois jours de scrutin, puis au pain et à l’eau après huit jours (règle également assouplie par Clément VI). On établissait encore que chaque cardinal devait prendre son repas à part, afin de ne pouvoir partager avec ses collègues. Les canonistes des siècles suivants s’emploieront à rédiger de longs traités précisant ce dont pouvaient être concernés les mets portés au cardinaux dans l’enceinte du conclave.
Pour urger encore l’élection du Souverain Pontife, Grégoire X prévoyait que la vacance du siège interrompe la plupart des fonctionnements ordinaires de l’Église : les cardinaux ne pouvaient toucher aux revenus du Saint-Siège, ni pourvoir à aucune autre affaire que celle de l’élection papale, la juridiction des tribunaux romains se trouvant entièrement suspendue. Afin d’éviter les pressions extérieures, il était précisé que tous pactes, conventions ou contrats consentis en vue de faire élire un sujet désigné à l’avance (comme toute forme de simonie) étaient interdits et par avance nuls.
Bien qu’elle connut par la suite des éclipses et des réformes, la sage règle établie à Lyon par Grégoire X fut observée au long des siècles suivants, pour aboutir dans la pratique actuelle – et analogue – du conclave romain.