Dans le numéro d’octobre de l’Action Familiale et Scolaire, Yves de Lassus analyse le dernier Motu Proprio, qui fait l’unanimité contre lui :
[…] Traditionis custodes est parfaitement clair : il y a incompatibilité entre l’Usus antiquior et le Novus Ordo Missae ; ils ne peuvent coexister au sein d’un même rite.
Les livres liturgiques promulgués par les saints pontifes Paul VI et Jean-Paul II [!], conformément aux décrets du concile Vatican II, sont la seule expression de la lex orandi du rite romain, dit l’article 1 du Motu proprio.
Ainsi, depuis Vatican II, l’Usus antiquior n’est plus l’expression de la lex orandi, alors qu’il l’était de façon continue depuis de nombreux siècles. On aurait aimé savoir pourquoi. Qu’est-ce qui a changé ? Car s’il l’était avant Vatican II, mais ne peut plus l’être après, c’est qu’un changement s’est opéré entre-temps. Ce changement ne peut venir de l’Usus antiquior puisque, précisément, il refuse de changer. S’il y a changement, il ne peut donc venir que de l’Église elle-même. Dès lors, ne serait-ce pas ce refus de changer qui le rendrait justement incompatible ? Et quel est le statut de l’ancien rite ? Ceux qui l’utilisent encore ont-ils perdu la qualité de catholique ? Quel partie de ce rite a perdu le caractère catholique le rendant impropre à rester lex orandi ?
Le Motu proprio esquive ces questions. Quant à la lettre de présentation qui l’accompagne, elle se contente d’affirmer que la motivation principale est le maintien de l’unité, la présence de deux formes au sein d’un même rite risquant de la briser. C’est exactement l’inverse de ce qu’affirme Querida Amazonia qui, à propos de « la multiple richesse des dons et des charismes que l’Esprit répand dans la communauté », dit : « L’Eucharistie, source et sommet, exige que cette richesse multiforme se développe » (n° 92) et précise :
« La diversité légitime ne nuit pas à la communion et à l’unité de l’Église, mais elle la manifeste et la sert, ce dont témoigne la pluralité des rites et des disciplines existants » (n° 111).
Pourquoi la diversité amazonienne ne nuit pas à l’unité mais au contraire la renforce, alors que la diversité au sein du rite romain lui nuirait ? De même, dans la déclaration d’Abou Dhabi, il est affirmé :
« Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine.»
Pourquoi la diversité des rites ne le serait pas ?
La lettre de présentation du Motu proprio ajoute que sa démarche est comparable à celle ayant inspiré la bulle Quo primum tempore de saint Pie V. Il y a là une contre-vérité manifeste, car saint Pie V a éliminé le nouveau (à savoir tout ce qui avait moins de 200 ans) pour ne conserver que l’ancien (à savoir tout ce qui pouvait justifier d’un usage continu depuis au moins 200 ans), alors que Traditionis custodes élimine tout ce qui est ancien (c’est-à-dire ce qui a plus de 50 ans) pour imposer que ce qui est nouveau (c’est-à-dire ce qui a été créé de toutes pièces il y a à peine 50 ans). Ainsi, en suivant les critères définis par saint Pie V, le nouvel Ordo Missae (NOM) aurait été interdit, puisqu’il ne peut justifier d’un usage continu depuis 200 ans. Dès lors, comment peut-on se prévaloir de ce qu’a fait le saint pape pour justifier l’imposition du NOM ?
2. Deux Églises ?
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui l’Usus antiquior ne peut plus être lex orandi ; l’Église a donc changé, au moins sous certains aspects. C’est ce que constatait en son temps Mgr Bennelli qui parlait de l’ “Église conciliaire”. Mais s’il existe une Église conciliaire, il existe nécessairement une “Église non conciliaire”. Car tout comme le désordre n’est concevable que par rapport à un ordre, une “Église conciliaire” ne peut se concevoir que par rapport à une “Église non conciliaire”.
Y aurait-il deux Églises? Le concept choquerait plus d’un théologien. Jésus-Christ n’a fondé qu’une seule et unique Églisequi se maintient grâce à la succession apostolique. Pourtant des révélations privées récentes ont parlé de deux Églises. Dans les années 1960, saint Padre Pio dit un jour avec tristesse à Don Amorth : « Vous savez, Gabriele ? Satan s’est introduit au sein de l’Église et, dans très peu de temps, il arrivera à gouverner une fausse Église » (voir le n° 263 de la revue). Certes, Padre Pio ne parle pas d’ “Église conciliaire”, mais de « fausse Église ». Quoi qu’il en soit, il eut la révélation qu’à court terme nous verrions la naissance d’une fausse Église à côté de la vraie.
3. De l’incitation à l’interdiction
Fausse Église ou pas, deux conceptions de l’Église s’affrontent. Certains ont voulu y voir le fruit d’une évolution continue, d’autres y voyant une rupture. Mais qu’il y ait ou non rupture, Traditionis custodes établit désormais une nette séparation entre deux catégories de fidèles: ceux qui restent attachés à la forme traditionnelle du rite romain et les autres. Et la crainte exprimée, aussi bien dans le Motu Proprio que dans la lettre de présentation, est la contagion des seconds par les premiers, contagion qui avec le temps est jugée de plus en plus grave, situation justifiant des mesures de plus en plus drastiques.
Car pour commencer, il n’y eut qu’une forte incitation sous la forme d’un souhait du pape de voir le NOM remplacer l’ancien Ordo, incitation qui ne tarda pas à se transformer en obligation (obligation illégale, mais bien réelle dans les faits). Puis un indult octroya une autorisation limitée, curiosité juridique puisque l’indult autorisait une pratique légitime et jamais interdite ; très limitée au début, l’autorisation fut élargie cinq ans plus tard. Il y eut enfin une cohabitation autorisée, avec la reconnaissance que l’Usus antiquior n’ avait jamais été interdit, mais avec aussi l’espoir que cette cohabitation entraînerait une attirance des fidèles de l’Usus antiquior vers le NOM. La séduction joua effectivement, mais dans le sens inverse de celui souhaité. C’est pourquoi, pour éviter la poursuite de la contagion, toutes ces tactiques ayant échoué, il ne restait plus que l’interdiction ou la suppression pure et simple.
4. Les lépreux de l’Église conciliaire
L’époque étant aux “mesures barrières”, le Motu proprio établit que le rite ancien n’ a plus aucun droit de cité dans les églises paroissiales, et ce immédiatement, tant le risque de contagion semble devenu grand. La célébration de l’ancien rite ne pourra se faire que dans de rares lieux dûment certifiés par l’évêque. Ainsi, comme les lépreux autrefois, pour éviter toute contagion, les fidèles contaminés par l’Usus antiquior seront tenus soigneusement à l’écart des communautés paroissiales.
Et pour éradiquer définitivement le mal, les nouveaux prêtres auront désormais l’interdiction de faire usage de l’ancien Ordo, vouant à l’extinction les fidèles attachés à la Tradition. Ceux-ci sont devenus en quelque sorte les lépreux de l’Église conciliaire. Peut-être devront-ils un jour sonner une clochette pour se rendre à la messe ? Nous n’en sommes pas encore là, mais l’avenir peut nous réserver des surprises. Attendons le prochain Motu proprio.
Quoi qu’il en soit, on en vient à ce paradoxe que le gardien suprême de la Tradition, le Traditionis custos par excellence, rejette cette tradition et ordonne à tous les gardiens sous ses ordres d’en faire autant.