Analyse d'Antoine de Lacoste sur Boulevard Voltaire :
"Les dernières visites européennes de Vladimir Poutine ont fait couler beaucoup d’encre.
Le président russe s’est d’abord rendu à Vienne, le 18 août, au mariage du ministre des Affaires étrangères autrichien Karin Kneissl. Le jeune chancelier conservateur (ÖVP) Sebastian Kurz était présent, ainsi que le vice-chancelier Strache (FPÖ) et de nombreux ministres. Le secrétaire général de l’OPEP, le Nigérian Mohammed Barkindo, faisait également partie des invités. Poutine prononça un discours dans un allemand impeccable, valsa avec la mariée et laissa ses accompagnateurs cosaques animer la soirée.
Les réactions ne se sont guère fait attendre. Une partie de la classe politique et de la presse autrichiennes vitupéra pour dénoncer une soi-disant rupture de la traditionnelle neutralité autrichienne. Et l’Ukraine, toujours en pointe dans l’escalade russophobe, annonça qu’elle rejetait dorénavant la médiation autrichienne dans la crise du Donetz. Tous oublient, sans doute, que c’est la droite (avec toutes ses composantes) qui a remporté les dernières élections en Autriche et que le nouveau chancelier a clairement appelé l’Union européenne à lever ses sanctions contre la Russie. On ne savait, d’ailleurs, pas que ces sanctions s’appliquaient également aux mariages !
Le président russe était déjà loin de tout cela car, le soir même, il rencontrait Angela Merkel pour un long entretien en tête-à-tête. Aucun communiqué n’a été diffusé ensuite, mais on sait quels sont les points qui furent abordés : la reconstruction de la Syrie (Poutine réclame une aide financière de l’Europe), l’accord nucléaire en Iran (que les deux partenaires veulent sauver malgré Trump) et, surtout, le projet de transit gazier Nord Stream 2.
Actuellement, les exportations de gaz russe vers l’Allemagne passent en mer Baltique par Nord Stream 1, inauguré en 2011. Elles assurent 40 % de l’approvisionnement allemand et 30 % de celui de la France.
L’Allemagne, qui aura de plus en plus de besoins en gaz compte tenu de la fin programmée de son programme nucléaire, souhaite augmenter ses importations de Russie. Elle est donc un partenaire résolu de Nord Stream 2, qui doublera les capacités de Nord Stream 1. Les travaux ont commencé en mai et devraient s’achever début 2020.
Mais les Américains ne l’entendent pas ainsi et font une pression très forte sur l’Europe pour que ce projet n’aboutisse pas. Le prétexte est l’indépendance gazière de l’Europe, qui ne doit pas trop dépendre du méchant Russe (touchante sollicitude américaine). La vraie raison est le surplus de gaz liquéfié américain que seule l’Europe pourrait absorber. Mais à un prix nettement plus élevé que le gaz russe…
Le Congrès américain n’y est pas allé par quatre chemins : il a voté une loi permettant des sanctions contre toute entreprise européenne participant à la construction ou au financement du projet ! Trump a confirmé cette position et prévient que ses décrets d’application durciront encore les sanctions.
Mais l’Allemagne n’entend pas céder à la menace et plusieurs dirigeants européens ont protesté contre l’ingérence américaine.
Pour une fois que l’on pourra soutenir Merkel…"